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histoire, pays-bas français

Il y un demi-millénaire, un Camp du Drap d’Or fastueux

4 juin 2020 5 min. temps de lecture

À la fin du printemps 1520, la campagne calaisienne s’est transformée en une véritable petite ville éphémère sortie de nulle part. Le Camp du Drap d’or est resté dans les mémoires… plus pour son faste que pour ses conséquences politiques.

Un palais de bois qui paraît comme de la pierre et de la brique avec de coûteux vitraux sur la moitié de la surface et d’immenses tapis byzantins au sol. Une fontaine qui distribue du vin blanc et du vin rouge. Des centaines de tentes à perte de vue, en bois de pin, chêne, noyer et sapin venus d’Auvergne et de Forez. Elles sont décorées de pommes d’or et de bannières, mais la plus magnifique est bien celle du roi de France. Elle s’élève à 36 mètres de haut. Réalisée en soie de Tours, elle est recouverte de fleurs de lys brodées de fil d’or… en Italie. Une statue de saint Michel, protecteur du royaume, la surmonte…

Au printemps 1520, la campagne calaisienne se drape d’un visage inédit dans l’histoire du territoire. Entre Guînes et Ardres, sur la frontière franco-anglaise (de 1347 à 1558, le Calaisis est sous la domination britannique), une véritable petite ville sort de terre à l’aide de milliers de petites mains venus de France et d’Angleterre.

L’objet de ce déploiement de moyens ? Une rencontre au sommet entre Henry VIII, le roi anglais, et François Ier, son homologue français. À l’époque, les théories pacifistes ont plutôt le vent en poupe. De plus, François Ier, qui a raté l’élection impériale au profit de Charles Quint l’année précédente malgré des dépenses importantes, a tout intérêt à négocier la paix pour ses finances. L’idée sous-jacente est aussi d’empêcher que le monarque anglais s’allie à Charles Quint, ce qui isolerait de facto le royaume de France.

Un étalage de luxe

D’où l’idée de se retrouver pour cette rencontre diplomatique. Avant l’été, car la reine de France est enceinte et ne pourra plus voyager ensuite. Cette rencontre est avant tout un immense tournoi, où chacun des monarques (François a 25 ans, Henry 28) pourra montrer sa puissance, son art de la guerre, sa bravoure, sa magnificence.

Du 7 au 24 juin, pendant la durée effective du Camp du Drap d’or, l’étalage de luxe et de faste est inégalable, rapportent les chroniques d’époque. «C’est peut-être la première fois que l’on voit autant de richesses», confirme Charles Giry-Deloison, professeur d’histoire moderne à l’Université d’Artois qui a consacré un livre au camp en 2012 («1520, Le Camp du Drap d’Or : La rencontre d’Henry VIII et de François Ier», Somogy). On l’a vu avec le palais et les tentes, mais l’alimentation est à la hauteur de l’événement… pour les quinze à vingt mille personnes présentes. Les repas sont gargantuesques et les livres de comptes étudiés par les historiens évoquent deux mille moutons, sept cents congres rien que pour un week-end. Les vins viennent de Bourgogne et de Gascogne, on boit de la bière et de l’hypocras sans compter.

On danse, on joute à pied ou à cheval, on tire des feux d’artifice… «La musique est aussi particulièrement importante avec des concours entre musiciens, note Pascal Brioist, professeur d’histoire moderne à l’Université de Tours, qui publie une biographie de François Ier chez aux Presses Universitaires de France en juin 2020. François Ier est venu avec Jean Mouton, Henry VIII avec Robert Fayrfax. Cette rencontre est presque un roman de chevalerie…» Des bals ont lieu, parfois costumés.… Les habits, d’ailleurs, en général, sont magnifiques, rappelle Charles Giry-Deloison : «Les seigneurs se font tailler des habits d’or et de soie, alors que d’habitude, ils n’en ont pas le droit: le port des habits de luxe est très cadré et réservé aux plus puissants du royaume.» On s’échange des cadeaux entre les deux camps : vaisselle d’or et d’argent, bijoux, armures. Ce grand acte de propagande coûte une fortune : le roi de France et quelques seigneurs ont dû réaliser des emprunts pour impressionner leurs homologues britanniques.

Le Camp du drap d’or, «grand moment diplomatique» n’a servi à rien…

Derrière la rivalité franco-anglaise, l’ambiance est plutôt bonne, renchérit le professeur artésien: «Avant la rencontre, il y avait énormément de méfiance, les entourages craignaient des affrontements. Mais finalement, tout se passe plutôt bien, les deux monarques s’entendent». Au point qu’ils se font même quelques plaisanteries : le 17 juin, François Ier
débarque ainsi dans la chambre d’Henry VIII pour une visite surprise au petit matin ! «Henry fera de même quelques jours plus tard.»

Des conséquences quasi nulles

Reste que le résultat de ce déploiement de luxe… est nul. Une vague promesse de mariage entre le Dauphin (3 ans à l’époque) et Marie Tudor (4 ans) est signée, mais elle ne sera jamais honorée. Aucune alliance particulière ne ressort de cette entrevue. Est-ce à cause de la partie de lutte entre François Ier et Henry VIII que le second aurait perdue ? «Je n’arrive pas à savoir si c’est apocryphe, reconnaît Pascal Brioist. J’ai de gros doutes sur cette anecdote». Quoi qu’il en soit, une poignée de jours plus tard…, Henry VIII rencontre Charles Quint à Gravelines, avec qui il conclura une alliance l’année suivante ! Le Camp du drap d’or, parfois qualifié comme le premier sommet européen de l’histoire – certainement une exagération, note Pascal Brioist, il est plus juste de parler «d’un grand moment diplomatique» – n’a donc servi à rien… «Il faut se replonger dans le contexte,
reprend Charles Giry-Deloison. Giraudoux disait que ‘la paix est l’intervalle entre deux guerres’. À l’époque, nous sommes dans un monde de guerre, de rapport de forces». Même si les souverains peuvent s’apprécier et se rencontreront d’ailleurs une nouvelle fois en 1532 entre Calais et Boulogne. Ce sera la dernière entrevue de monarques français et anglais avant… 1843 et la visite semi-officielle de la Reine Victoria à Louis-Philippe dans son château d’Eu (Normandie) !

Aujourd’hui, il n’en reste rien

Du Camp du Drap d’Or, aujourd’hui, il ne reste rien puisque tout a été démonté ensuite. Le bois a notamment servi à renforcer les fortifications d’Ardres en prévision des futures attaques de Charles Quint. L’artillerie de François Ier réutilisera aussi l’armature des tentes et pavillons. Une stèle plus tardive a été érigée à Balinghem sur les lieux supposés de la rencontre, pendant que la Tour de l’horloge à Guînes consacre un espace de son musée à cette mémorable rencontre d’il y a exactement un demi-millénaire.

Un spectacle son et lumière était théoriquement prévu les 5, 6 et 7 juin à Guînes, mais l’épidémie de Covid-19 est passée par là. Il est reporté à des jours meilleurs.

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Montard

Nicolas Montard

Journaliste free-lance et cofondateur du magazine en ligne DailyNord.

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