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pays-bas français

Ils construisent un vaisseau de Louis XIV à taille réelle !

17 septembre 2020 5 min. temps de lecture

À Gravelines, il n’y a pas que des remparts de Vauban. La cité fortifiée accueille depuis deux décennies l’étonnant projet de construction du Jean-Bart, un vaisseau de l’époque de Louis XIV. Longtemps discret, ce projet d’archéologie expérimentale prend une nouvelle résonance à l’heure où le Dunkerquois mise sur le développement du tourisme.

Mardi 1er septembre. Malgré une météo menaçante, quelques silhouettes s’agitent derrière le portail de la Taverne du Jean-Bart, route de Calais. À gauche, dans une forge, trois hommes fabriquent des clous à l’ancienne. Pas les petits clous de nos grandes surfaces de bricolage, non, plutôt des pièces de 27 centimètres à quasiment deux mètres de haut ! À droite, deux charpentiers sont à l’ouvrage sur d’immenses pièces qui formeront les «allonges» de la coque, une fois posées. L’un d’eux prépare les emplacements pour les «papillons», ces pièces destinées à empêcher les fissures naturelles du bois de gagner en volume. Les gestes sont de ceux qui ont la force de l’habitude. Entre les deux ateliers, l’objet de leurs efforts semble les contempler : la coque d’un immense bateau de 57 mètres de long s’élève déjà à plusieurs mètres au-dessus des têtes. «Nous en sommes seulement à six mètres de haut, indique Albane Rebilly, médiatrice. Il faut imaginer que ce sera juste la partie immergée. À terme, il fera au moins le double de hauteur. Sans les mâts !» Le château arrière, lui, culminera à 17 mètres…

Bienvenue à l’Espace Tourville, lieu où se déroule l’un des projets les plus étonnants du nord de la France. Ici, on construit pas à pas un vaisseau de premier rang de l’époque de Louis XIV. Soit un navire de guerre de l’époque, capable d’embarquer 80 canons pour un poids total de 1400 à 1600 tonnes à vide. À l’époque, ce genre d’embarcation, qui nécessite plus de 3 000 chênes pour la construction, supportait jusqu’à 700 hommes à bord.

Des plans sommaires

Au dix-septième siècle, avec un millier d’ouvriers sur le chantier, de tels navires étaient fabriqués en trois à quatre ans. Au vingt et unième, à Gravelines, le projet prend un peu plus de temps. Dans les années 1980, Christian Cardin, ingénieur hydraulique, découvre des épaves de l’époque de Louis XIV dans le Cotentin. Cinq vaisseaux de l’amiral Tourville, qui ont rejoint le fond lors de la Bataille de la Hougue en 1692. Peu à peu, l’idée chemine jusqu’à envisager d’édifier pour de vrai l’une de ces cathédrales maritimes. Avant de démarrer la construction proprement dite, il a fallu établir des plans… qui n’existaient pas. Les secrets de fabrication de ces bateaux se transmettaient sur les chantiers. Un historien et un architecte naval ont d’abord reconstitué les plans à partir de sources archéologiques (les épaves) et de l’album de Colbert, un document conservé aux archives de la Marine de Vincennes constitué de planches à dessin présentant sommairement la construction.

Un prototype a ensuite été réalisé en petite taille pour identifier les éventuelles difficultés et faiblesses. Le chantier en lui-même n’a été lancé qu’au début des années 2000. Pour arriver au bout du navire, il faudra encore 7 à 10 ans de chantier ! «Mais nous avons réalisé les parties les plus délicates, celles de la coque», indique Jean-Edouard Cardin, fils de Christian, à la fois directeur d’exploitation et charpentier. Une fois terminé, le bateau rejoindra un bassin où il sera présenté au public. Il pourra aussi participer à des rassemblements européens.

S’il se réalise à l’aide d’outils modernes pour des questions de sécurité, ce chantier reste un véritable projet d’archéologie expérimentale dans la démarche. Il a fallu d’abord retrouver les formes et tailles des clous et chevilles utilisés. Apprendre à courber les immenses pièces de bois sans les casser. Chaque nouvelle étape permet de documenter les chantiers de construction navale d’antan. «Nous nous sommes rendu compte qu’à l’époque, le bois était encore vert sur de tels navires, car ces bateaux, si immenses soient-ils, n’étaient pas fait pour durer», rapporte ainsi Christian Cardin.

Un véritable projet touristique

Ce chantier n’aurait pas grand intérêt s’il n’était destiné qu’à quelques passionnés. «Je l’ai toujours envisagé comme un projet d’économie touristique», assure Christian Cardin qui s’est installé à Gravelines car on trouvait les arsenaux de Louis XIV à Dunkerque, à deux pas. Ainsi, on peut visiter le chantier, observer les charpentiers et forgerons à la manoeuvre avant de monter sur le bateau pour se rendre compte de son immensité et de sa complexité. Des visites-découvertes guidées (sur réservation, pendant les vacances scolaires ou les Journées du patrimoine pour les individuels, contacter l’Espace Tourville pour les groupes) permettent aussi de mieux appréhender le monde maritime de l’époque. Et ses à-côtés. L’Espace Tourville reproduit peu à peu les bâtisses qui pouvaient se trouver autour d’un chantier. Il y a déjà la taverne – où on peut manger et écouter des concerts certains soirs -, une saurisserie pour fumer le saumon, demain, il y aura une boulangerie, pourquoi pas une micro-brasserie ou un moulin, soit un véritable parc historique. Quant à ceux qui veulent donner un coup de main bénévolement sur le chantier, ils sont les bienvenus.

En France, le projet d’archéologie expérimentale le plus connu est le château fort de Guédelon, dans l’Yonne. Il accueille 300 000 visiteurs à l’année. La fréquentation du Jean-Bart est aujourd’hui bien plus modeste : 12 000 visiteurs en 2019, mais, hors pandémie de 2020, l’augmentation est régulière. Et surtout, Jean-Edouard Cardin en est persuadé, il peut largement atteindre les 200 000 visiteurs à terme. «Nous sommes à un carrefour, sur l’A16 entre l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas et la France. Le projet en a les capacités». Peu soutenu par les pouvoirs publics avant 2014, le chantier du Jean-Bart est passé dans une autre dimension avec l’arrivée du nouveau président de l’agglomération dunkerquoise, Patrice Vergriete, en 2014 et du président de Région Hauts-de-France, Xavier Bertrand en 2015. Les deux élus semblent plutôt convaincus de l’intérêt d’un tel projet pour un territoire qui s’oriente de plus en plus vers le tourisme (notamment autour de l’Opération Dynamo de 1940). Une étude est d’ailleurs en cours pour voir à quel degré les collectivités peuvent désormais s’impliquer afin de soutenir un étonnant chantier qui n’a pas encore fini de faire parler de lui.

Visites et animations pour les Journées Européennes du Patrimoine, voir le programme en détail ici.
Tarifs et horaires ici.
Montard

Nicolas Montard

Journaliste free-lance et cofondateur du magazine en ligne DailyNord.

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