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littérature, société

Interdire, préserver ou modifier: que faire des livres offensants?

Par Tomas Vanheste, traduit par Thomas Lecloux
17 février 2020 15 min. temps de lecture

Irrémédiablement, notre jugement du caractère offensant d’une création est fonction de l’époque et de la culture. Le passé est un autre pays. Doit-on pour autant laisser intacts les vieux textes ? Pas si sûr. Surtout dans le cas des livres pour enfants. Car l’écrit est un instrument idéal pour instiller des idéologies pernicieuses dans de jeunes cerveaux, comme le montre l’exposition Foute boeken? (Livres offensants?) qui incite le visiteur à la réflexion jusqu’au 1er mars 2020 au Museum Meermanno de La Haye.

De verloren zoon (Le Fils perdu), un album de la série Jommeke (Gil et Jo en français), de Jef Nys, est la seule bande dessinée de mon enfance que je possède toujours aujourd’hui. À croire que j’y étais tellement attaché que je l’ai conservée toutes ces années. J’ai dû la lire vers l’âge de dix ans. Quand ma fille a eu le même âge, je lui ai donné le vieil album écorné qui m’avait coûté 15 francs. Et je l’ai regretté.

Elle a lu l’histoire. Un ancêtre de Mic Mac Jampudding, Écossais à moustache rousse, avait autrefois envoyé un de ses fils vers des contrées lointaines pour y fonder une nouvelle lignée de Jampudding. Jommeke part à la recherche des descendants de ce fils en compagnie de Mic Mac. Après moult péripéties, son perroquet parlant, Flip, se met à converser avec un de ses congénères sur une île. En voyant passer un insulaire muni d’un bouclier et d’une lance, il demande: «Sont-ils sauvages?» L’autre perroquet répond qu’ils sont au contraire très civilisés et arborent une belle moustache rousse sous le nez. Flip rapporte la bonne nouvelle à ses compagnons de voyage: «L’île en est pleine. Tous des nikkertjes (petits nègres) avec une moustache Jampudding!» Mic Mac Jampudding refuse d’abord de le croire, jusqu’à ce que le roi blanc de l’île le lui confirme. Ce dernier a échoué sur l’île il y a cinq cents ans. «Les indigène noirs m’ont considéré comme un dieu blanc.» Il a ensuite épousé «la fille du chef», avec qui il a eu beaucoup d’enfants (« mais ils étaient noirs »), et a survécu aux siècles en buvant une eau aux propriétés préservatrices. Le vœu de leur ancêtre est exaucé, fait remarquer l’un des Jampudding. «Mais il s’étonnerait de voir tous ces zwartjes (petits noirs)», rétorque l’autre.

Dans cet album, c’est l’homme blanc qui est roi et qui a apporté la civilisation sur l’île. Rien que dans les termes employés par les Blancs pour qualifier les Noirs – nikkertjes, zwartjes -, un sentiment de supériorité embarrassant se dégage.

Ma fille, d’origine rwandaise, a eu tôt fait de refermer l’album. Il ne lui plaisait pas, a-t-elle dit. Par curiosité, j’ai relu l’aventure. J’ai bien vite compris pourquoi elle n’avait pas eu de plaisir à le lire. Et j’ai rougi de honte. Parce que la couverture n’avait pas suffi à m’alerter. Parce que le caractère tout bonnement raciste m’avait apparemment échappé à l’époque. Parce que j’avais visiblement trouvé cette bande dessinée comique.

Les enfants noirs sont bêtes

Le Museum Meermanno – Huis van het Boek (Maison du livre) de La Haye consacre l’exposition Foute boeken? aux livres «devenus sujets à controverse avec le recul et l’évolution des esprits». Bert Sliggers, curateur de l’exposition, n’a pas voulu servir au visiteur des solutions et des jugements prémâchés, mais plutôt l’amener à réfléchir. Que jugeons-nous offensant, et pourquoi ? Et est-ce là une raison pour apporter des modifications à des textes aujourd’hui perçus comme obsolètes, ou pour les interdire complètement ?

De verloren zoon
n’est pas abordé dans l’exposition, mais nombre d’exemples semblables montrent à quel point les stéréotypes racistes étaient répandus dans les livres pour enfants qui, dans mon enfance, jouissaient d’une grande popularité. Principalement, indique une panneau d’explication, «parce que les enfants noirs y faisaient souvent preuve de bêtise. Ils n’apprenaient rien et continuaient de faire les mêmes erreurs.» Se gausser de la bêtise (supposée) de l’autre a toujours été une activité flatteuse d’égo.

Le plus déconcertant a été pour moi l’explication sur La Case de l’Oncle Tom (1952) de Harriet Beecher Stowe, un livre que j’avais considéré comme un bon livre quand je l’avais dévoré étant enfant. Je me vois encore courir vers mes parents, tout indigné qu’une pratique telle que l’esclavage ait pu exister. Mais ce que je ne voyais pas, c’est que le livre est loin d’être exempt de stéréotypes racistes. Ce n’est pas pour rien qu’« oncle Tom » est devenu une injure qualifiant une personne noire qui affiche une attitude de soumission à l’égard d’une personne blanche prétendument supérieure.

La propagande antisémite exposée au Meermanno est, elle aussi, épouvantable. Dans de nombreux livres pour enfants tels que Levi de boekenjood (Lévi le vendeur de livres juif), des Juifs entrent en contact avec la chrétienté. Parce qu’ils veulent se convertir, ils sont répudiés et maltraités par la communauté juive. L’histoire Het jodenjongetje (Le Petit Garçon juif), qui figurait dans un manuel de langue destiné aux écoles primaires catholiques, en est un triste exemple. Dans cette histoire, un petit garçon juif entre par accident dans une église et va y communier. Quand son père l’apprend, il le jette dans un four ardent, ivre de colère. Plus de 350 000 exemplaires de ce manuel ont été imprimés entre 1935 et 1956. Après la Seconde Guerre mondiale, il a simplement continué d’être diffusé.

Ce n’est qu’en 1952 qu’une discussion s’est ouverte sur la question. Lors d’un débat à la Chambre, le ministre compétent a certes reconnu que l’histoire était «inadaptée à l’éducation intellectuelle et morale», mais il a aussi estimé qu’une interdiction était contraire à la Constitution, qui imposait «le respect du choix des outils pédagogiques». Quand, en 1956, l’écrivain Godfried Bomans a rouvert le débat en première page du journal de Volkskrant, la Seconde Chambre est arrivée à une conclusion différente: l’histoire contrevenait à l’interdiction, inscrite au Code pénal, de l’incitation à la haine envers un groupe de population. Au début de 1957, le ministre de la Justice annonçait le retrait du livre de la vente.

Janneke fait si bien le ménage

Bon nombre de visiteurs de l’exposition s’étonneront, tout comme moi, de constater qu’un antisémitisme manifeste a continué de contaminer les livres pour enfants et manuels scolaires néerlandais bien des années après l’Holocauste. Pour la plupart de nos contemporains, l’antisémitisme est un exemple limpide de contenu «offensant». Quelques-uns soutiendront bien qu’interdire n’a pas de sens, ou constitue une entrave la liberté d’expression, mais eux aussi seront sans doute d’accord pour taxer de manque de jugeote l’éditeur qui publierait encore de telles choses aujourd’hui, et l’enseignant qui les utiliserait comme matériel scolaire.

Mais à mesure que l’éloignement historique et culturel s’amenuise, il devient plus délicat de porter des jugements fermes. La partie de l’exposition consacrée au sexisme présente cet extrait de Turks fruit (Les Délices de Turquie) de Jan Wolkers: «Moi, je sautais une nana après l’autre. Je les traînais dans mon antre, j’arrachais leurs vêtements et leur rentrais dedans comme un forcené. Puis je m’en débarrassais après leur avoir offert un verre. Parfois trois le même jour. D’énormes nichons pendant comme des outres remplies de bouillie et pourvues de pis à sucer. Des petits tétons ratatinés, trop pitoyables pour être caressés. Il valait mieux que celles-là gardent leur soutien-gorge.»

Les uns diront que Wolkers «n’est qu’un sexiste» qui n’a pas sa place dans le canon littéraire néerlandais; les autres, qu’«il a beau être sexiste, il n’en a pas moins une sacrée plume, et est donc incontournable».

Prenons les histoires de Jip en Janneke, de l’auteure de livres pour enfants Annie M.G. Schmidt (1911-1995), qui restent des classiques inoxydables avec lesquels ont grandi d’innombrables enfants néerlandais et flamands. Mais dans les histoires de Schmidt, la répartition des rôles entre Jip et Janneke est pour le moins traditionnelle. L’exposition met en relief ce passage de l’histoire Jip en Janneke gaan trouwen (Jip en Janneke vont se marier): «Quand je serai grand, dit Jip, je serai aviateur. Et toi, que feras-tu quand tu seras grande ? Moi, je serai mère, dit Janneke.»

Ce n’est pas, loin de là, la seule histoire dans laquelle Schmidt, un esprit pourtant libre, étale des conceptions classiques sur la répartition des rôles entre filles et garçons. L’histoire Moeder helpen (Aider mère), dans le quatrième recueil, en est une autre illustration. La mère a été malade, le ménage doit être fait et elle n’est pas encore en état de travailler. «Mais ce n’est rien. Parce que Janneke est à la maison. Et Janneke fait si bien le ménage. Elle sait prendre les poussières. Elle sait aussi laver les vitres, s’il le faut.» Jip veut aider aussi. Il va passer l’aspirateur, mais il ne tarde pas à aspirer des fleurs.

La scène du doberman

Est-ce grave? Devons-nous accepter ces tristes rôles traditionnels dans l’œuvre par ailleurs délicieusement et typiquement hollandaise de Schmidt? Dans la dernière salle de l’exposition, le visiteur est confronté à cette question et invité à commenter une série de dilemmes. En réponse au dilemme «Lévi le vendeur de livres juif dans la bibliothèque», quelqu’un pousse ce cri du cœur: «Mais non!!! On n’aurait alors tiré aucune leçon de l’histoire! Conservons plutôt ce livre dans un recoin sombre pour montrer à nos petits-enfants à quel point l’homme peut avoir des idées étranges, et parlons-leur de tous ces morts.» En réponse à «Retirer de la bibliothèque de l’école les livres contenant des rôles stéréotypés», quelqu’un commente: «Pas de censure svp.»

Ces deux réactions opposées tiennent probablement à des évaluations différentes de la gravité de la question. Pour la plupart des Néerlandais, l’antisémitisme relève de l’erreur impardonnable, tandis que les rôles stéréotypés sont dépassés, sans plus. Ils voient également l’antisémitisme comme un phénomène d’une autre époque ou d’une autre culture, mais considèrent que Jip en Janneke font partie de leur propre culture.

De ce point de vue, il est regrettable que le seul exemple contemporain de «livre offensant» présenté dans l’exposition soit le fruit d’une idéologie provenant d’une autre culture, et dont nous pouvons par conséquent nous distancier. Dans les vitrines sont exposés les travaux du prédicateur musulman Abu Ameenah Bilal Philips, interdit de territoire aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans bien d’autres pays en raison des idées extrêmes qu’il prêche, selon lesquelles, par exemple, les homosexuels méritent la peine de mort, ou le viol dans le mariage n’existe pas.

La plupart des visiteurs de l’exposition, moi compris, rangeront sans hésitation les travaux de ce salafiste dans la catégorie des écrits «offensants». Je me suis cependant demandé s’il n’existait pas de livres contemporains classables comme tels qui soient l’œuvre d’écrivains et de penseurs s’inscrivant dans la tradition culturelle européenne.

Si je puis en suggérer un, je citerai Le Grand Remplacement de Renaud Camus, l’«idéologue de l’extrême droite». Selon la théorie du complot défendue par de cet auteur, les élites occidentales s’emploient à remplacer sciemment la population blanche pour provoquer l’effondrement de l’État-nation et instaurer l’ordre mondial dont ils rêvent. Sous des formes plus ou moins camouflées, ces idées sont largement diffusées par des Dries Van Langenhove, président du mouvement de jeunes d’extrême droite Schild & Vrienden (Bouclier & Amis) et député Vlaams Belang, et autres Thierry Baudet, président du parti néerlandais Forum voor Democratie.

Un autre candidat serait le roman Sérotonine, de Michel Houellebecq, dont le personnage principal (que nous ne pouvons pas confondre avec l’auteur) considère les femmes comme des prostituées. Le sommet de sa misogynie est atteint lorsqu’il regarde une vidéo de sa compagne ayant des relations sexuelles avec un doberman et un bull-terrier, scène qui le laisse contrarié principalement par empathie pour les chiens. «Ce qui me surprend peut-être le plus, c’est l’absence de critique avec laquelle son sexisme crasse est toléré», écrivait Cyrille Offermans dans De Groene Amsterdammer. «Si l’infiniment plus subtil Jan Wolkers est cloué, ici et là, au pilori du mouvement MeToo, comme on l’a vu récemment, le provocateur français ne mérite-t-il pas, au moins, la damnation éternelle? », interrogeait le critique. Dans le NRC Handelsblad, Margot Dijkgraaf jugeait, pour sa part, que Houellebecq écrivait d’une manière insupportablement négative sur les femmes», mais elle attribuait néanmoins cinq étoiles au roman. La qualité littéraire rachèterait-elle donc le sexisme à outrance ? Houellebecq est-il offensant, ou le confondons-nous avec son personnage ? Dans quelques décennies, tout le monde s’étonnera-t-il que des critiques sérieux aient laisser passer de telles infamies ?

S’ils avaient soulevé ces questions, et mis en lumière des livres d’un auteur européen que beaucoup rangent parmi les grands écrivains contemporains ou d’un penseur politique influent aux idées controversées, les commissaires de l’exposition auraient aiguisé le débat. Mais ils ont préféré la prudence. C’est toujours l’autre, celui d’une autre époque ou d’une autre tradition, qui offense. Or, tout l’enjeu est de détecter à temps les idées dangereuses qui couvent dans notre propre société.

Ils veulent tout réécrire!

À l’évidence, les œuvres du passé peuvent aussi se révéler de riches sources de controverse dans le présent. «Le passé est un autre pays, et à l’examiner à travers le prisme des valeurs d’aujourd’hui, plus rien ne pourra encore être lu ou joué», estimait Mia Doornaert dans une chronique, frémissant d’indignation à l’idée qu’aujourd’hui, certains iraient jusqu’à réécrire des pièces de Shakespeare supposément sexistes ou racistes. Dans ce même billet, la chroniqueuse et présidente de Literatuur Vlaanderen défendait la liberté d’expression du chirurgien esthétique Jeff Hoeyberghs, dont les propos misogynes avaient déclenché un formidable tollé. Pour Mia Doornaert, la réécriture de Shakespeare et la volonté de faire taire Hoeyberghs s’inscrivaient dans la même logique consistant à brider la liberté d’expression et à croire le lecteur et l’auditeur incapables de récuser un sexisme prétendu ou réel.

Bien évidemment, elle a mille fois raison d’affirmer qu’il est insensé de juger des personnages et des œuvres historiques à l’aune des valeurs morales actuelles. Que nous devons les lire dans le contexte de leur époque. Qu’il faut avoir confiance en la capacité du lecteur de se montrer critique envers le texte qui lui est soumis. Qu’il est désolant au plus haut point de reléguer des chefs-d’œuvre littéraires aux oubliettes parce qu’ils ne satisfont pas à nos critères contemporains.

Mais ce que l’exposition de La Haye montre avant tout, c’est que le diktat clair, et d’apparence convaincant, qui clame «Bas les pattes, pas d’interdiction, pas de censure!» ne tient pas toujours. Parce que le livre, comme l’a malheureusement prouvé le régime national-socialiste, peut être une arme d’une efficacité redoutable pour implanter une idéologie dans les cerveaux. Surtout chez les enfants. Les commissaires de l’exposition expliquent que les livres pour enfants jouent un rôle crucial dans la diffusion des religions et des idéologies. Ils peuvent fonctionner comme de petits programmes d’endoctrinement qui insufflent des idées douteuses dans des cerveaux encore très perméables.

Bannir les livres jugés offensants est très rarement une solution. Qui devrait-on d’ailleurs investir de ce pouvoir? Un comité national de censeurs? Horreur! Les maisons d’édition, les librairies et les bibliothèques ont une responsabilité à assumer à cet égard: ce sont elles qui déterminent ce qui vaut la peine d’être publié et mis en rayon. Si l’on peut difficilement attendre d’un enfant qu’il ait des antennes morales pleinement développées lui permettant de détecter un racisme et un sexisme parfois larvé, on ne peut en attendre moins d’un adulte dont le métier est de publier et d’évaluer des livres.

Heureusement, les maisons d’édition assument cette responsabilité. Mais la tâche n’est pas aisée. La cinquantième édition de Jip en Janneke, imprimée en 2019, le montre bien. Celle-ci a été revue, lit-on dans les mentions légales. Aucune explication ou justification n’est toutefois fournie concernant les modifications. C’est toujours Jip qui veut être pilote, et toujours Janneke qui veut être mère. Les changements apportés à l’histoire Moeder helpen
(Aider mère), qui s’appelle désormais Mamma helpen (Aider maman), ne sont pas que d’ordre cosmétique, mais touchent aussi au fond. Désormais, après la phrase qui dit que maman est encore un peu faible et ne peut pas travailler, on lit: «Mais ce n’est rien. Parce que Jip et Janneke sont à la maison. Et ils peuvent aider. Janneke sait prendre les poussières. Elle sait aussi laver les vitres, s’il le faut.» On fait dans la demi-mesure. Jip et Janneke peuvent désormais aider tous les deux. La phrase «Janneke fait si bien le ménage» a été supprimée. Mais c’est toujours elle qui prend les poussières et lave les vitres.

La tâche est en fait impossible. Les textes d’un autre temps, qui reflètent l’esprit de leur époque, ne peuvent être modernisés par de menues retouches. Mais il est trop facile de critiquer l’éditeur de Jip en Janneke d’avoir eu le toupet de toucher au texte, ou au contraire de ne pas être allé assez loin en le faisant. C’est un exercice d’équilibre qui reste délicat. D’un côté, nous ne voulons pas que le texte renforce, dans la tête de jeunes enfants qui n’ont pas encore le bagage nécessaire pour y faire front, des préjugés et des stéréotypes déjà dans l’air. De l’autre, l’œuvre d’Annie M.G. Schmidt recèle tant de qualités que nous souhaitons aux prochaines générations de pouvoir encore s’en délecter; et le respect du texte exige que nous procédions avec extrême précaution.

Nous ne pouvons pas nous le permettre

Plus de quarante ans après l’avoir lu pour la première fois, je me suis rendu en librairie pour voir si De verloren zoon était toujours disponible à la vente, et si l’éditeur y avait apporté des modifications. L’album trônait en tête de la rangée des Jommeke. Le mot nikkertjes
avait été supprimé, mais zwartjes était toujours là. L’image de l’homme blanc qui apporte la civilisation reste. Il faut dire que l’album date de 1965. À cette époque, Jef Nys était loin d’être le seul à n’avoir pas encore laissé derrière lui la pensée coloniale. On peut se demander, en revanche, s’il était lucide sur lui-même quand il déclarait, dans une interview de 2003, qu’il était écrit dans son testament que Jommeke ne pourrait jamais entrer en contact avec de la violence, du sexisme ou du racisme.

J’espère seulement que le futur propriétaire de cet album sera plus perspicace que moi jadis. Mais en vérité, je trouve que la maison d’édition et la librairie auraient dû, dans ce cas-ci, avoir le discernement de ne plus l’imprimer ni le mettre en rayon. Le monde n’y aurait pas perdu un chef-d’œuvre, mais un album plutôt banal et daté.

Tant qu’il suffit de passer une heure dans une cour d’école ou sur un terrain de sport pour constater que le racisme est tout sauf éradiqué, et tant que les chiffres montrent que la discrimination est monnaie courante sur le marché de l’emploi et de l’immobilier, nous ne pouvons nous permettre de laisser s’insinuer des représentations racistes dans la tête des enfants en nous disant qu’ils sont assez malins pour en déceler le caractère offensant.

Tomas

Tomas Vanheste

journaliste indépendant et rédacteur en chef adjoint des publications de de lage landen.

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