Kiriko Mechanicus: Je la cadre comme ça
Dix-huit jeunes auteurs et autrices ont donné vie à des objets du XIXe siècle provenant du Rijksmuseum. Ils et elles se sont inspiré·es de la question suivante: que voyez-vous lorsque vous regardez ces objets en portant attention au travail invisible? Avec Kiriko Mechanicus, nous nous intéressons au tableau Fille en kimono blanc peint par George Hendrik Breitner en 1894. «Nous n’avons pas besoin de mots, pas vrai, poupée. Enlève-moi donc ce truc.»
© Collectie Rijksmuseum, Amsterdam
Je la cadre comme ça
#1
Merci beaucoup, brave petite.
Tu es magnifique.
Combien de temps as-tu posé pour nous? Ma pauvre.
Ce n’était sans doute guère confortable, mais nous t’en sommes reconnaissants. Tu es un amour.
La pose est réussie et l’image, un succès. Ton tableau est accroché dans la grande salle!
Nous allons te regarder.
#2
Belle robe, à propos. Magnifiques, ces plis. Si je pouvais choisir un recoin dans l’immense habit, je me nicherais dans ta manche tombante, qui pendouille, inerte, le long de tes hanches. On dirait une sorte de bon et long chausson aux pommes. Ta pâte feuilletée satinée ne demande qu’à être farcie de corps chaud, à nous d’y remédier.
#3
Pardon d’être si direct. En tant que spectateur, je m’applique en priorité à remplir ma mission, bien sûr, c’est-à-dire convoiter ta poche ventrale. Peux-tu m’offrir le nid chaud et douillet de ta manche?
Chérie.
Je veux aménager ma chambre dans tes habits.
Je veux des murs de soie et vivre sous ton aisselle.
Je veux transformer ta tenue en tapis et je veux m’étendre dessus. Je veux m’étendre sur toi.
#4
Tu es une poche ventrale et
je veux être en toi.
#5
Entre tes dents, tu nous chuchotes encore quelques mots inintelligibles que nous ne comprenons pas. Peu importe. Personne ne sait ce que tu as dit, mais ce que disent tes yeux me suffit. Fille en costume.
Peut-être vas-tu nous montrer tes épaules, tout à l’heure.
Tout ce qu’on demande à un kimono, c’est de pouvoir l’enlever à la fin, non?
#6
Tu es un grand tissu de soie doté de deux yeux sombres qui me considèrent avec complaisance. Je ne peux te comprendre, mais tes yeux veulent savoir si tu peux transpirer pour moi. Bien sûr, trésor. Il suffit de demander. Pardon, tu ne me comprends pas, bien sûr. Si seulement tu avais pu me le demander. Mais tes yeux disent tout.
Nous n’avons pas besoin de mots, pas vrai, poupée. Enlève-moi donc ce truc.
Au fait, mon nom est Tom.
Ou Ewart.
Ou Berend.
Ou Sander.
Ou Florian.
Ou Mark.
Ou Felix.
Ou Bas.
Ou Abel.
Ou Roderick.
Ou Freek.
Ou Geert.
Ou Karel.
Ou Storm.
Ou Vincent.
Ou Dick.
Mais bien sûr, tu ne comprends rien de tout ça non plus.
Je m’en vais te le raconter quand même.
Un jour, j’avais rendez-vous avec la fille en kimono. Enfin, elle ne portait pas de kimono, mais ses longs cheveux noirs et ses grands yeux marron innocents me donnaient l’impression qu’elle aurait pu
être la fille en kimono blanc. Elle était avec moi, mais surtout très loin d’ici. Elle était ce que je n’avais pas encore eu, ses yeux aussi grands et marron que les tiens. J’ai toujours voulu épouser une femme en kimono blanc.
Peut-être que ça a commencé avec toi, poupée.
Tu as de beaux yeux. Mais bien sûr, tu ne comprends pas.
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