L’«Afsluitdijk Wadden Center» raconte comment la digue préserve les Pays-Bas des inondations
Mis à part la Grande muraille de Chine, l’Afsluitdijk, soit la digue de fermeture, est l’unique ouvrage de réalisation humaine qui serait visible depuis l’espace. Le barrage long de 32 kilomètres reliant les provinces de Hollande-Septentrionale et de Frise protège une partie importante des Pays-Bas contre des inondations. Pendant longtemps, cette prouesse d’ingénierie hydraulique ne suscita guère d’intérêt. Depuis 2018, l’Afsluitdijk Wadden Center rompt avec cet état de choses grâce à une exposition où l’on apprend en jouant et en expérimentant.
Des toits arrachés, des engins et du matériel de pêche enchevêtrés, des poutres fracassées comme s’il s’agissait de simples allumettes, des maillots de corps pendant dans l’eau tels des fantômes, des chaises, meubles et équipements ménagers déchiquetés devenus pour ainsi dire méconnaissables. Le bateau à vapeur quittant Zwolle ce matin du 14 janvier 1916 et s’engageant dans le Zuiderzee (la mer du Sud) parvenait difficilement à se frayer un chemin à travers toute cette dévastation. Une demi-heure après, il a été possible de se rendre compte que tous ces débris provenaient de l’île de Marken, qu’une tempête monstrueuse avait ravagée et presque entièrement rayée de la carte au cours de la nuit précédente. Une combinaison de marée haute et de vent force dix sur l’échelle de Beaufort avaient amené d’incroyables quantités d’eau de la mer du Nord dans le Zuiderzee et ouvert partout des brèches dans les digues. On a déploré au total 53 morts, dont 16 dans l’île de Marken.
Cent ans après, le déferlement de 1916 s’est évanouie de la mémoire collective et a été en grande partie éclipsée par l’inondation beaucoup plus catastrophique encore de 1953. La tempête de 1916 ressurgit toutefois à nouveau à Afsluitdijk Wadden Center, à la hauteur du village Kornwerderzand situé le long de la digue de fermeture. Avant que les visiteurs accèdent à l’espace d’exposition, un film les plonge dans des effets d’eau, de vent et de mouvement hyperréalistes susceptibles de provoquer une sensation du mal de mer.
Que cette violente tempête historique joue ici un rôle de premier plan n’est pas un hasard. C’est en effet l’inondation de 1916 qui donna le branle aux projets de l’Afsluitdijk. Au cours de la même année encore, l’ingénieur Cornelis Lely termina son projet d’un barrage long de 32 kilomètres. Cinq ans plus tard, les milieux politiques prirent la décision de faire construire effectivement la digue, et l’ouvrage d’art fut achevé en 1932.
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Contrairement à ce qui fut le cas des ouvrages du plan Delta, où fut inauguré immédiatement le parc d’information et d’attraction Neeltje Jans, il ne fut aucunement question d’une quelconque forme d’exploitation touristique concernant l’Afsluitdijk pendant plus de quatre-vingt ans. Un monument sous la forme de tour d’orientation que jouxtait une cafétéria fut érigé près du Vlieter (nom de ce qui était précédemment un chenal), l’endroit où les deux parties de la digue se sont rejointes en 1932, mais il n’attira guère de public.
Il s’agit d’une lacune plutôt remarquable dans les Pays-Bas où les musées sont légion, surtout si l’on considère l’impact qu’a eu l’Afsluitdijk. Depuis sa construction, les inondations périodiques appartiennent au passé, la sécurité s’est considérablement accrue et la porte a été ouverte à la poldérisation, c’est-à-dire l’assèchement de Flevoland, une partie du Zuiderzee.
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La population des villages côtiers comme Volendam et Huizen a toutefois vu disparaître sa principale source de revenus, la pêche, et a dû massivement patir à la recherche d’un autre emploi. Le barrage sonna également le glas de la fonction de route maritime du Zuiderzee, qui devint l’Ijsselmeer (le lac de l’IJssel), où la navigation de plaisance a pu s’épanouir pleinement.
Ces récits se rapportant à l’histoire de la culture ne sont abordés que marginalement à l’Afsluitdijk Wadden Center. Plutôt que sur le passé, l’accent est mis davantage sur la signification et l’expérience actuelles du chef-d’œuvre de Cornelis Lely. La forme et le contenu du centre coïncident parfaitement. L’édifice plat rectangulaire a une façade blanche et, à une certaine distance, fait penser à une vague venant s’écraser sur la digue. Le toit ne dépasse pas la hauteur de quatorze mètres, ce qui correspond à la hauteur maximale des faîtes dans le proche petit village de Kornwerderzand, de sorte que le centre ne détonne ni ne domine.
© Afsluitdijk Wadden Center
Au moment d’y entrer, les visiteurs n’ont pas à réprimer leur penchant naturel à chercher d’emblée l’endroit d’où l’on peut contempler le panorama: un escalier et un ascenseur mènent immédiatement à un passage circulaire à l’étage supérieur. L’espace fonctionne comme un establishing shot dans un film ou une série, la séquence d’ouverture qui vous indique tout de suite où vous vous trouvez et pourquoi. À gauche le brun de la Waddenzee (la mer des Wadden, au sens de mer des brumes), à droite le bleu acier de l’IJsselmeer. Et au milieu, sous un ciel qui aurait pu être peint par Ruysdael, se profile la route asphaltée rectiligne de l’A7. Les fenêtres hexagonales donnant sur le panorama évoquent les blocs de basalte hexagonaux avec lesquels a été construite l’Afsluitdijk ainsi que les cristaux de glace qui permettaient le patinage et même les rallyes automobiles sur l’IJsselmeer lors d’hivers rigoureux.
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Pour désigner le fil rouge invisible présidant à l’installation, les concepteurs de l’exposition permanente ont recouru au sigle SOS: Storm, Oplossing, Stilte (TSS: Tempête, Solution, Silence). Une évocation immersive de 1916 prélude à l’évocation de la construction de l’Afsluitdijk et de tout ce que l’agence exécutive Rijkswaterstaat (Gestion des eaux d’État) entreprend encore de plus pour que les Pays-Bas ne soient plus exposés à des inondations catastrophiques. Sont également mis en évidence les travaux de rehaussement de deux mètres et de renforcement de digue en cours, qui doivent faire en sorte que la digue doit puisse empêcher des débordements sur toute sa longueur. Et nous voilà aussitôt confrontés à la crise climatique, aux potentielles conséquences désastreuses d’un pays situé en grande partie au-dessous du niveau de la mer et aux interventions que les ingénieurs mettent en place pour y faire face.
On a également profité de la rénovation de l’Afsluitdijk pour corriger une petite erreur dans le concept de Lely. Il avait en effet oublié de prévoir et d’aménager un passage pour la faune marine, mais une nouvelle rivière destinée à la migration des poissons permet à ceux-ci de nager depuis la mer des Wadden au lac de l’IJssel et son arrière-pays et vice-versa. L’exposition attire également l’attention sur l’écosystème particulier autour de cette séparation entre l’eau douce et l’eau salée ainsi que sur les nouvelles formes d’énergie basées sur les forces naturelles. Ainsi un moulin sous-marin produit-il de l’énergie bleue. L’Afsluitdijk Wadden Center même est construit avec des matériaux composites durables, comme le bois et la pierre naturelle. Il est muni de panneaux solaires et son fonctionnement est absolument neutre en énergie.
© Afsluitdijk Wadden Center
Ces histoires sont présentées avec un minimum d’objets –le bureau originel de Lely est un fleuron absolu – et d’une multitude d’écrans et de projections. Sur les parois ne figure pas le moindre texte mais des textes explicatifs peuvent être visualisés via des codes QR et les visiteurs intéressés désirant approfondir l’information sont renvoyés vers des sites web. Les visiteurs peu à l’aise avec le numérique trouveront un coin-bibliothèque où ils pourront consulter toute information souhaitée sous forme imprimée. On songe alors principalement à des grands-parents emmenant leurs petits-enfants en excursion. Car c’est à une telle formule que l’Afsluitdijk Wadden Center se prête le plus spontanément. Les enfants peuvent par exemple scanner un poisson dessiné pour l’aquarium interactif et apprendre ainsi des choses sur la migration des poissons ou imiter sur une maquette visuelle la migration des oiseaux au-dessus de l’IJsselmeer. L’Aqua Vista Show aussi est adapté à leur univers mental et présente une simulation 4D d’un vol de deltaplane au-dessus des environs.
Des attractions de ce genre trahissent l’esprit d’un exploitant commercial. Le Dutch Experience Group a assumé un tiers des coûts de la construction –le reste étant à charge de la province de Frise– dans l’espoir qu’un nombre important des 400 000 véhicules qui empruntent chaque année l’Afsluitdijk feront une halte à cet endroit et visiteront le centre. Avec la Heineken Expérience à Amsterdam et le FutureLand sur la Tweede Maasvlakte à proximité de Rotterdam –soit la seconde plaine de la Meuse, un projet consistant à créer une nouvelle zone d’activités sur environ 1 000 hectares, en liaison directe avec les eaux profondes de la mer du Nord–, l’entreprise avait déjà testé avec succès la formule combinant éducation, patrimoine culturel et divertissement.
L’Afsluitdijk Wadden Center est pourtant moins un parc d’attractions que ne l’est le site Neeltje Jans dans l’Escaut occidental, par exemple. L’accent est davantage mis sur le transfert d’information, mais d’une manière ludique accessible à tous. Que l’espace d’exposition donne discrètement accès à un resto-bar au décor agréable constitue certes un plus à cet égard.
© Afsluitdijk Wadden Center
Les concepteurs de l’Afsluitdijk Wadden Center ont parfaitement prévu que le recours à la technologie comporte le risque d’être vite dépassé par l’évolution rapide. Aussi l’exposition est-elle rénovée tous les cinq à six ans et le logiciel est-il régulièrement mis à jour, de sorte que l’information concernant le renforcement de la digue reflète toujours l’actualité. Ainsi peuvent également être pris en considération d’autres changements qui interviennent dans les environs –et ils sont nombreux. Au Kazemattenmuseum (musée des Casemates) tout proche viennent s’ajouter chaque année de nouveaux éléments.
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Il y a des projets en cours à différents stades d’exécution, notamment pour l’agrandissement des écluses, une piste cyclable du côté de la mer des Wadden, une liaison ferry vers Makkum et des pistes de randonnée. Le centre sur la digue, cette vague de pierre sur les blocs de basalte, nourrit l’ambition de devenir un but de voyage à part entière plutôt que de rester une simple halte avant qu’on entre en Frise ou la quitte.