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histoire

La Belgique libérée : bien plus que des «cigarettes for papa» et «chocolates for mama»

Par Dirk Musschoot, traduit par Jean-Marie Jacquet
9 septembre 2019 5 min. temps de lecture

Les commémorations de la libération de la Belgique, il y a 75 ans, font revivre le souvenir d’une période de liesse où les chars alliés parcouraient nos rues en triomphateurs. Les scènes de joie d’alors sont aujourd’hui reproduites en plus grand et rejouées tous azimuts. Mais elles ne racontent qu’une partie de l’histoire de la libération.

La libération de la Belgique en septembre 1944 signifiait la fin de quatre années d’occupation allemande et de leur cortège de misères. L’entrée de combattants alliés, qu’il s’agisse de Britanniques, d’Américains, de Polonais ou de Canadiens, a tout naturellement déclenché des débordements d’enthousiasme. Les libérateurs apportaient, en même temps que la liberté, des cigarettes for papa et du nylon ou des chocolates for mama.

Des centaines de jeunes filles se sont suspendues au cou de ces héros en uniforme pleins de santé, et certaines y sont encore pendues aujourd’hui: l’idylle avec leur tommy s’étant conclue par un mariage, elles ont depuis lors vécu sur le sol britannique plus longtemps qu’elles n’ont jamais habité en Belgique.

«Collateral damage»

L’automne 1944, époque de réjouissances? Pour les Zonneman, qui habitaient rue Abeel à Renaix, le 3 septembre, le jour de la libération de leur ville, restera à jamais le jour où leur petit Eric a été abattu par un Allemand. Le garçonnet, âgé de neuf ans à peine, était simplement sur le seuil en train de regarder l’occupant qui se retirait.

Le 7 septembre, alors que la fête battait déjà son plein dans maintes villes et communes belges, la maison de la famille Vandepitte à Gits, en Flandre-Occidentale, s’est trouvée prise sous le feu des belligérants. Deux grenades polonaises ont touché la maison. Le fils, Georges Vandepitte, a été mortellement atteint. Plus tard, la famille a compté les impacts de balles dans la façade: il y en avait quarante. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui des dommages collatéraux: des dommages en marge.

Deux jours avant le 12 septembre, date de la libération de la cité limbourgeoise de Hechtel, les Allemands y ont sorti de la cave de leur maison Pieter Evers et son fils Jef pour les exécuter froidement devant leur porte.

Autre exemple effrayant de dommages collatéraux: le drame qui s’est déroulé le 16 septembre à Kaprijke (près de la frontière belgo-néerlandaise, au nord de Gand). Parce que les Allemands ne tenaient pas à se laisser chasser sans réagir par les Canadiens et que des tirs nourris continuaient de s’échanger, les jeunes mariés Omer et Lima Neyt se réfugièrent dans un abri creusé de leurs mains dans une prairie près de la ferme des parents de la jeune femme, Wauterstraat. Les Canadiens ont cru que le refuge abritait des Germans. Omer et Lima ainsi qu’une voisine ont été brûlés vifs. La mère de Lima est décédée deux semaines plus tard. Ce mois-ci, une statue à la mémoire du jeune couple sera dévoilée tout près du lieu du drame.

Retrouvailles

Une époque de réjouissances? Ils étaient alors des centaines à pouvoir enfin, et publiquement, commencer à pleurer ceux qu’ils avaient perdus sous l’occupation, des centaines à pouvoir commencer à espérer le retour d’un être cher dont ils étaient sans nouvelles depuis longtemps: mis au travail forcé en Allemagne, déportés vers un camp de concentration, ou ‘simplement’ disparus.

Le 29 avril 1945, Johan Eekman, de Schaerbeek, a été retrouvé plus mort que vif sous une fenêtre dans le camp de concentration de Sandbostel dans le land allemand de Basse-Saxe. Il pesait moins de quarante kilos et il fallut un an pour qu’il soit remis sur pied.

Les frères Richard et Armand Carlier, de Gand, ont été envoyés par les Allemands en 1943 à l’usine Junker de Leipzig. Lorsque la ville a été bombardée par les alliés en février 1945, ils se sont enfuis de l’usine et, après une équipée d’enfer – à pied et en ‘pyjama’ -, ont rejoint le secteur américain. Avec une ration alimentaire bien insuffisante, ils ont été embarqués dans un convoi pour Namur. En mai 1945, ils étaient de nouveau chez eux et les larmes ont pu couler sans retenue. Le bonheur retrouvé à Gand, huit mois après la libération de la ville.

Encore des V-1 et V-2

La libération de la Belgique s’est échelonnée du 2 septembre 1944 au 4 février 1945 (la libération de Krewinkel, hameau de Manderfeld, province de Liège). La Deuxième Guerre mondiale n’a pris fin qu’avec la capitulation des Allemands le 8 mai 1945.

Anvers, libérée le 4 septembre 1944, s’est réjouie trop tôt. Des bombes allemandes V-1 et V-2 ont provoqué de sérieux dégâts matériels et fait de nombreuses victimes.

Le premier V-2 dans l’agglomération anversoise est tombé le 7 octobre 1944 sur Brasschaat, le dernier le 30 mars 1945 sur Ranst. Au total, 4.483 personnes ont perdu la vie et 7.266 ont été blessées.

L’attaque la plus meurtrière et qui parle le plus à l’imagination est celle du V-2 qui s’est abattu le 16 décembre 1944 sur le cinéma Rex, faisant 567 morts.

Dans le mauvais camp

Les jours de la libération ont-ils été une période de réjouissances? Tout dépend du camp dans lequel on se trouvait. Le père de la petite Lieve Bogaert de Sint-Amandsberg (près de Gand), alors âgée de dix ans, dirigeait un camp de travail en Normandie et ne pouvait, au lendemain du débarquement, évidemment pas rentrer en Belgique. Il s’est enfui avec sa famille en Allemagne. De là, le 1er mai 1945, les Américains les ont renvoyés chez eux. Un voyage singulièrement traumatisant pour la fillette, qui se demandait dans quel film on la faisait jouer. En Belgique, ses parents ont été incarcérés. Elle-même a été placée dans un orphelinat, son frère dans une institution pour enfants abandonnés. On ne leur a rien expliqué.

Le 4 septembre 1944, Alfons Van Opstal a été transféré du village-frontière de Koewacht au quartier-général de l’important groupe de résistants Witte Brigade à Anvers. Là, il a avoué avoir travaillé pour la Luftwaffe et avoir fait partie du groupe de collaborateurs Zwarte Brigade. Après quoi il a été roué de coups.

En octobre 1945, la Louvaniste Martha Claessens est tombée des nues en entendant le conseil de guerre de Bruxelles condamner à mort sa soeur Jetje. Celle-ci avait été dirigeante des Dietse Meisjesscharen (section féminine de la jeunesse collaboratrice). Sa peine a été ensuite commuée en réclusion à perpétuité et, plus tard encore, elle a émigré vers l’Argentine – solution élégante pour un problème gênant.

À la libération de Moerbrugge, près de Bruges, un garçonnet de neuf ans, Robert De Groote, a dû dire adieu à Karl Maier, un soldat allemand qui avait pris ses quartiers dans la maison familiale et qui était devenu pour lui une sorte de grand frère. Ce 8 septembre, Karl a sangloté, disant qu’il craignait que les tommies ne l’abattent. Après cette séparation, Robert n’a plus eu aucune nouvelle de Karl. Jusqu’au jour où, en 1980, il verra son nom sur une petite croix dans le cimetière allemand de Lommel. Karl Maier n’avait que 18 ans quand, le 9 septembre 1944, il a été tué durant la bataille de Moerbrugge. Cela aussi, c’était la libération.

Dirk-Musschoot

Dirk Musschoot

journaliste

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