La chapelle de Hem, une perle architecturale bien cachée
Pour remédier à la morosité de cette période de grisaille, rien ne vaut un bonne dose de lumière et de couleur que l’on retrouve notamment en deux endroits. La chapelle de Hem représente en soi une grande fête de couleurs dans un endroit de recueillement. Par ailleurs, La Piscine à Roubaix consacre actuellement une exposition à cette chapelle étonnante ainsi qu’à l’œuvre de son créateur : Alfred Manessier.
J’ai fait un peu par hasard la découverte de la chapelle de Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face. Lors d’une promenade dans les quartiers verts résidentiels de Roubaix et de Croix, mon compagnon français me proposa de passer brièvement de l’autre côté de la voie expresse qui sépare la commune de Hem de Roubaix et de Croix. Un peu à l’écart de cet endroit qu’on ne peut qualifier d’idyllique surgit une perle inattendue : la chapelle de Hem.
© Dirk Van Assche
L’aspect extérieur tout simple – on dirait presque un entrepôt – ne laisse pas présumer de ce qui se cache derrière ces murs : une fête de couleurs et de lumière. L’entrée décorée de mosaïques donne accès à un lieu plongé dans la pénombre où une immense paroi est constituée d’un vitrail multicolore qui joue avec le soleil. Si l’occasion d’y entrer se présente : ne pas hésiter une seconde ! Les heures d’ouverture varient, mais le dimanche, la chapelle est souvent ouverte.
Cette chapelle est née d’une idée de Philippe Leclercq, industriel et grand amateur d’art. Au début des années cinquante, il sollicita son ami Alfred Manessier pour qu’il crée un espace dans lequel se conjugueraient l’art et la spiritualité. À cette époque, Manessier était surtout peintre. Après sa formation à Amiens, il travaillait surtout à Paris, réalisant outre des tableaux, des costumes de théâtre, des aquarelles et des tapis.
L’exposition à La Piscine à Roubaix explique bien dans quelle phase de son évolution Manessier a créé cette chapelle. À l’aide des œuvres exposées, l’on découvre comment son langage visuel s’est formé au fil du temps, évoluant du figuratif vers le non-figuratif, dont le point culminant est sans aucun doute cet immense vitrail et l’architecture intérieure de la chapelle de Hem.
© Bart Noels
Dans une exposition parallèle, « Traverser la Lumière », La Piscine associe d’autres peintres de cette époque à l’œuvre de Manessier : Jean Bazaine, Roger Bissière, Elvire Jan, Jean Le Moal et Gustave Singer. Cinq de ces six artistes entretenaient des liens d’amitié sans qu’ils se présentant pour autant comme un collectif. Mais à La Piscine, l’on perçoit bien combien chacun d’eux cherchait passionnément à saisir les émotions dans les mouvements abstraits de la lumière et la couleur.
Pour Manessier, la chapelle de Hem a représenté une étape importante dans son évolution artistique. Elle devait porter dans son ensemble la signature de l’artiste par un jeu cohérent entre l’édifice, le mobilier, la couleur, le vitrail et les sculptures. La Piscine nous donne aussi à admirer les chasubles créés spécialement par Manessier pour cet endroit. Aucun détail n’a échappé à la concertation.
© Bart Noels
Manessier proposa de travailler avec l’architecte suisse Hermann Bauer qui s’était déjà fait un nom par ses nombreuses églises pour lesquelles il se servait de béton et d’autres matériaux nouveaux. Bauer était issu de l’école de Le Corbusier, et cela se manifeste clairement dans la chapelle de Hem : marquée par la simplicité, l’architecture est sobre, austère. L’extérieur ferait plutôt penser à une grange s’il n’y avait pas ce campanile frappant à quelques mètres de l’entrée monumentale.
© Dirk Van Assche
Au moment de l’inauguration, cette construction était en avance sur son époque : la disposition de la chapelle prévoyait que l’officiant fît face au public, ce qui n’était pas du tout la coutume. Ce n’est que des années plus tard que le Concile a modifié cet état de choses.
Le vitrail évoque de manière abstraite la vie de sainte Thérèse. « Je pense que nous sommes les primitifs d’un langage nouveau, qui est un langage aussi souple que celui que les musiciens ont depuis longtemps à leur service »,
notera plus tard Manessier. Il a trouvé une âme sœur auprès de sculpteur Eugène Dodeigne qui a pourvu le sanctuaire de formes organiques toutes simples. Tout a l’air spontané jusqu’à ce que l’on prenne connaissance des nombreuses études préliminaires, tout aussi bien pour l’entrée en mosaïque que pour les fonts baptismaux ou la représentation de Jésus au-dessus de l’autel. Une œuvre d’art total infailliblement réfléchie, chaleureuse et élaborée jusque dans les moindres détails. « Je crois de moins en moins au vitrail fenêtre mais à la création simultanée d’un ensemble architectural lumineux, pensé et réalisé en un tout unique », déclarait Manessier en 1955. Mission accomplie !
© Dirk Van Assche
Le ‘client’ Philippe Leclercq a été particulièrement ravi de sa chapelle et il a entretenu jusqu’à la fin de sa vie des liens d’amitié avec l’artiste Alfred Manessier. Il aurait même proposé à ce dernier et à son épouse d’être inhumés à ses côtés dans la chapelle. Leclercq se considérait lui-même comme un intermédiaire : « L’un des rôles qui m’est assigné par la Providence est d’être l’intermédiaire, bienveillant et amical, entre les artistes et la population. » Ce qui explique finalement aussi l’emplacement de la chapelle dans la périphérie de Hem. Leclercq souhaitait en effet poser un acte artistique dans ce quartier, « au milieu des maisons ouvrières, pour que les habitants se sentent absolument chez eux », comme il le déclara plus tard. Une forme de mécénat avec un beau résultat. Même plus de soixante après, la chapelle se trouve encore toujours comme si elle avait été construite la veille.