La culture du Nord et du Pas-de-Calais face aux incertitudes du Covid-19
La culture est touchée de plein fouet par les effets du Covid-19. Et malgré l’intervention du Président de la République mercredi, l’avenir est particulièrement brumeux.
Jeudi 23 avril, la Maison de la Photo à Lille a organisé un vernissage. Mais pour respecter les règles en vigueur, celui-ci était… virtuel ! Comme l’exposition : «Insolation», d’Alban Gernigon, se découvre uniquement sur le net… «Nous avons eu une centaine de personnes durant les quarante minutes du vernissage, confie Olivier Spillebout, fondateur de l’institution lilloise en 1997, dont des gens de Stockholm, Rennes ou Arles ! C’était une expérience intéressante. Je pense même refaire un vernissage virtuel toutes les deux ou trois semaines.»
Une illustration d’un secteur culturel qui a essayé d’innover pour ne pas se couper totalement de son public, confiné depuis le 17 mars. Plusieurs musées régionaux ont emboîté le pas au Getty Museum de Los Angeles en invitant le public à reproduire des œuvres de leurs collections à domicile; le festival Série Manias a proposé trois conférences en live autour de l’univers des séries ; le festival Waka Waka Dance s’est déporté en ligne, etc.
© N. Montard
Une liste non-exhaustive qui ne doit pas cacher le profond bouleversement des acteurs culturels. Dans le meilleur des cas, les programmations sont reportées. Ainsi, le festival de Wazemmes l’accordéon, prévu en mai : «Les deux tiers sont reportés du 19 au 27 septembre, indique Claude Vadasz, son directeur. En espérant qu’il n’y aura pas de bouleversement d’ici là.» Aux 4 Écluses, on a aussi reprogrammé ce qui pouvait l’être, «mais comme notre saison était riche d’artistes internationaux, et que les concerts chez nous sont généralement un maillon dans des tournées européennes, tout n’a pas pu être reporté», précise Aurélien Delbecq, directeur de la salle dunkerquoise. Initialement prévue jusqu’au 31 mai à la Piscine de Roubaix, l’exposition Marcel Gromaire se terminera fin août. Conséquence : la rétrospective Joseph Bernard initialement prévue cet été, est décalée au printemps 2021.
Pour d’autres événements, il n’y a aucune échappatoire. Le Main Square Festival d’Arras n’accueillera pas Black Eyed Peas, M, Sting, Nekfeu et 120 000 personnes. Même problème pour les Nuits Secrètes à Aulnoye-Aymeries.
Incertitude
Au-delà des reports et annulations, c’est surtout l’avenir qui interroge les acteurs culturels de la région. Dans l’immédiat, les structures dont le financement repose sur les subventions des collectivités ne sont pas en danger. La Région a sorti le chéquier en maintenant «les subventions pour les manifestations annulées ou reportées ou dont l’activité est réduite». La plupart des autres collectivités font de même. Au Théâtre de l’Aventure, à Hem, Céline Liagre reconnaît que «les institutions ont marqué leur soutien en payant les acomptes sur subventions et en garantissant le maintien des subventions accordées pour 2020». Les dispositifs, comme le chômage partiel, permettent de laisser passer l’orage.
La saison prochaine, il va falloir l’inventer
Mais un grand flou règne sur l’avenir. Dans la pratique, les galeries d’art, petits musées, bibliothèques et librairies peuvent de nouveau accueillir du public à partir du 11 mai, date de déconfinement général, mais les autres établissements (musées de taille plus importante, salles de concerts, théâtres, cinémas) sont toujours dans l’expectative. Difficile d’envisager le long terme, même au plus haut niveau de l’État. Ce mercredi 6, Emmanuel Macron a annoncé une série de mesures pour soutenir le secteur, mais il a bien précisé : «La saison prochaine, il va falloir l’inventer. Est-ce qu’on pourra revenir aux saisons habituelles ? Je ne sais pas.» Chacun travaille sur son plan de déconfinement et les protocoles sanitaires sans trop savoir à quoi s’en tenir. À l’Orchestre national de Lille, «les incertitudes sont telles que nous ne savons pas comment se déroulera le quatrième trimestre 2020, confirme François Bou, son directeur général. Si nous ne pouvons accueillir qu’un tiers du public dans notre salle, soit moins de 300 personnes, certains spectacles devront être déprogrammés.» D’autres pourraient aussi être annulés ou reconfigurés à cause de la distanciation physique qu’il faudra imposer aux musiciens.
La crise financière
Les conséquences financières vont se faire sentir plus rapidement pour les structures moins subventionnées ou déjà en difficulté. «Nous avions terminé l’année 2019 avec notre premier déficit en 18 ans, explique Patrick Poulain, fondateur de la galerie Lasécu de Lille. Cette année était charnière. Nous devions absolument trouver de nouvelles ressources financières pour pérenniser nos activités.» Avec l’annulation d’événements, de recettes du bar et des repas pendant les vernissages, les objectifs ne seront pas atteints. Côté Maison de la Photo, la situation est aussi problématique. La structure dépend à 60% de ses recettes de billetterie et des événements avec les entreprises. La situation était déjà fragile, Olivier Spillebout se demande s’il pourra ouvrir à nouveau : «Les obligations sanitaires à appliquer dans des établissements comme le nôtre vont être telles que je n’ai pas forcément intérêt à accueillir du public tout de suite.» Rendez-vous en septembre au risque de fragiliser encore plus la partie économique ?
© N. Montard
Être fortement subventionné n’exclut pas les questionnements. Les recettes des semaines passées sont perdues, et après la crise sanitaire viendra la crise financière qui pèsera sur le financement de la culture, mais aussi sur les portemonnaies du public. Tout l’écosystème est menacé : «La filière des musiques actuelles est faite d’une majorité de TPE (très petite entreprise, moins de 10 salariés) qui vont être très impactées, reprend Aurélien Delbecq à Dunkerque, si nous n’avons plus d’interlocuteur qui organise les tournées des artistes, nous loue du matériel, produit les disques des artistes à promouvoir par des tournées etc., ça va être fort compliqué». Le monde de la culture s’inquiète déjà des futures créations, qui vont forcément fonctionner au ralenti, tandis que les jeunes spectacles n’auront pas les festivals pour se faire remarquer. Emmanuel Macron a annoncé «un grand programme de commandes publiques (…) que ce soit (pour) les métiers d’art, les spectacles vivants, la littérature, les arts plastiques».
Faire revenir le public
Les pratiques elles-mêmes doivent être complètement réinterrogées. Pour respecter les mesures, faudra-t-il que le Théâtre de l’Aventure de Hem fasse des ateliers théâtre masqués ? Sa directrice pense déjà aux retransmissions des spectacles, si le public ne peut plus être accueilli. «Nous pensons à sortir un programme au trimestre afin d’avoir la possibilité d’ajuster et de modifier au fur et à mesure si nécessaire». Aurélien Delbecq, lui, voit une situation semblable aux attentats du Bataclan. «Il fallait des expertises en sécurité et des garanties pour que nos publics se sentent en sécurité. Ça va être assez semblable ici. Nous avions des règles d’hygiène de base, mais il va falloir tout revoir et communiquer pour que le public revienne avec un niveau de confiance qui sera le même qu’ailleurs.» Faire revenir le public, pas le moindre défi d’un monde culturel qui risque d’être bouleversé bien au-delà des deux mois de confinement.