La désertification des campagnes? Ou non?
La région transfrontalière rurale du Westhoek est en difficulté. Le projet Interreg Partons 2.0 crée de nouveaux instruments pour revitaliser des villages du Westhoek, côtés français et belge.
Des maisons et des villages sont abandonnés et il en coûte de gros efforts pour essayer d’attirer de nouveaux habitants. Pourtant, la situation du Westhoek belge n’est pas comparable à celle du côté français. Mais le souci de maintenir des villages vivables et vivants est une préoccupation commune. Le projet Partons 2.0 prouve qu’il est possible de trouver des réponses intéressantes, sans devoir pour cela aménager de nouveaux lotissements ou faire appel à d’autres méthodes classiques.
«Un boulanger d’Oostvleteren constate de plus en plus de solitude pendant sa tournée», titre la radio régionale flamande Radio2 sur son site web en début d’année. Un boulanger d’Oostvleteren parle à la radio de ses tournées et de l’accueil chaleureux que lui font les gens, le plus souvent des personnes d’un certain âge, quand il leur apporte le pain chez eux. Deux jours plus tard, la chaîne Radio2 évoque le problème des villages autour de Popering(h)e qui éprouvent tant de mal à attirer de jeunes ménages. «Je ne comprends pas. On peut vivre ici comme ‘Dieu tout près de la France’», soupire le bourgmestre Christof Dejaegher.
La campagne, c’est pour les vaches
Quelques années auparavant, lors du congrès sur les campagnes qu’il avait organisé lui-même au Parlement flamand, le même Dejaegher avait déjà fulminé de longues minutes sur le manque d’intérêt systématique pour les régions rurales. L’architecte du gouvernement flamand, le Mobiscore (un calcul de l’impact environnemental des déplacements à partir de la maison)…: rien n’avait échappé à sa critique.
Le bourgmestre était d’avis que les communes rurales flamandes devaient pouvoir enfin compter sur des compensations parce que les aménagements y sont fatalement plus coûteux du fait de leur situation en périphérie et de l’habitation dispersée. À juste titre d’ailleurs. La région de transport public Westhoek, installée récemment, se débat avec l’ambition de pouvoir réaliser un solide réseau de transport public, et continue à se heurter à la dispersion de l’habitation et à une faible densité. Il faut de l’argent «supplémentaire» de Bruxelles.
«La campagne, c’est pour les vaches», déclarait le premier architecte du gouvernement flamand, Bob Van Reeth. La place des humains est en ville. Ce qui n’est pas une évidence dans la réalité du Westhoek. Il n’y existe pas de véritables «villes». Popering(h)e ne compte même pas 20 000 habitants et, selon les normes en vigueur en Flandre, le centre n’est pas davantage qu’un gros bourg avec ses 13 000 habitants. Le reste habite autour. Tout comme à tant d’autres endroits en Flandre, le caractère rural n’est pas tout à fait rural. Il suffit de faire le test en essayant de trouver un point de vue d’où on n’aperçoit aucune construction en pivotant à 360 °.
© Bart Noels
En Flandre, on arrive lentement à se mettre d’accord sur le fait qu’il n’est pas possible que n’importe qui puisse aller habiter n’importe où. On ne peut pas aller s’installer «à la campagne» et s’attendre à disposer des mêmes équipements que dans un centre-ville. C’est pour toutes ces raisons que le développement régional se focalise depuis un certain temps sur les villages: des entités spatiales avec une certaine densité et qualité de vie. Dans ces centres, il faudrait bien pouvoir trouver une offre suffisante de sorte à ne pas être contraint de faire un grand déplacement pour tout et n’importe quoi.
Le professeur Frans Thissen définit le village vivable et vivant comme un endroit proposant de l’habitation de qualité, avec des lieux de rencontre et aussi un «capital social», c’est-à-dire des citoyens disposant de réseaux sociaux et disposés à s’engager dans la communauté. La province de Flandre-Occidentale se concentre depuis un certain temps déjà sur ces aspects spatial et social et a projeté ces deux dernières décennies des réhabilitations de centres de village, dont un quart a été réalisé entre-temps. Un espace public attrayant constitue une base pour ces fonctions sociales importantes.
On ne peut aller nulle part sans voiture
Est-ce différent de l’autre côté de la frontière? Est-ce que vivre du côté français, c’est «vivre comme Dieu en France»? La réalité est ambivalente, il n’est pas possible de faire une simple comparaison entre le Westhoek en Flandre et la partie française. D’abord, il y a la barrière linguistique, relativement haute et difficilement franchissable. Dans la région de Tournai, presque un quart de la population est d’origine française, tandis que dans le Westhoek, Français et Belges vont beaucoup moins habiter de l’autre côté de la frontière.
La Flandre française est aussi moins périphérique que le Westhoek belge, la région étant en effet située sur l’axe reliant Dunkerque à la métropole de Lille, avec même une autoroute comme lien principal. Les Français habitent aussi davantage dans des centres que les Flamands, l’habitation et l’activité y sont moins disséminées. Outre ces différences d’urbanisme, la population aussi est très différente. Dans le nord de la France, la population est plus jeune, on y fait davantage la navette et il y a plus de chômage. Dans le Westhoek belge voisin, la population est vieillissante et les ménages moins nombreux.
Mais ce que les deux régions ont bel et bien en commun: il faut une voiture pour aller quelque part. L’auto est indispensable pour traverser la frontière, pour se rendre en ville, pour rendre tout simplement la vie possible dans un village rural. L’étude «Analyse transfrontalière des services» réalisée par l’Agence d’urbanisme Flandre-Dunkerque dans le cadre de Partons 2.0 propose à ce sujet une profusion de données.
Comment rendre la campagne vivable?
Quelles stratégies peuvent être encore développées pour rendre la campagne vivable? Proposer de nouveaux lotissements a été pendant longtemps l’unique refrain des responsables politiques locaux. Dans la Flandre française, cette approche a été par trop privilégiée. En traversant la campagne française, le regard est de temps à autre choqué par de nouveaux lotissements dont on se demande comment ils ont pu être autorisés. Ces nouveaux développements contrecarrent le caractère villageois et, en plus, ils empiètent sur de bonnes terres cultivables. Du côté français, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) a réalisé une étude sur les développements entre 2006 et 2015. Plus de la moitié des 15 000 ha occupés étaient destinés au logement, créant tout simplement un excès de l’offre, conclut le DREAL.
© Bart Noels
Une autre critique vient d’Olivier Razemon. Dans son ouvrage Comment le France a tué ses villes, il part en guerre contre les grandes enseignes de super- ou hypermarchés qui se sont installées depuis les années 1960 à la périphérie des centres. Il y tient un fervent plaidoyer pour le commerce local, de proximité, dans les centres mêmes.
Le projet Partons 2.0 est un projet spécial parce qu’il teste de nouvelles stratégies pour renforcer des centres ruraux. Le projet Interreg élabore depuis 2016 une participation citoyenne, des réseaux sociaux et des concepts environnementaux innovants pour les villages. Il propose déjà une bibliothèque impressionnante de matériel d’études et a initié une belle série de projets pilotes.
Ces projets d’envergure modeste n’ébranleront certes pas le monde – il s’agit de repenser une mairie, de réaménager un poste frontière, de créer une communauté autour d’une maison de village, etc. –, mais ils sont innovants par le concept. Partons 2.0 va en effet au-delà des recettes classiques où seuls les pouvoirs publics orientent l’offre. Partons 2.0 élabore des dynamiques sur la base de forces existantes. Si les habitants d’Abe(e)le souhaitent aménager une petite place afin de rendre de nouveau possible les contacts sociaux, ils le font tout simplement. Avec en prime une petite tape sur l’épaule de la part des pouvoirs publics.
C’est peut-être plus que jamais la stratégie à suivre si les villages doivent redevenir des entités vivantes. C’est ainsi que le définit Partons 2.0 même: «Les communes et les habitants doivent faire preuve d’inventivité et de flexibilité pour imaginer des lieux avec une combinaison de services ou des endroits ‘hybrides’ combinant les services et les commerces. Car il semble d’ores et déjà établi que la survie des communes les plus rurales où il n’existe parfois plus de commerces, dépendra du maintien ou de l’aménagement de lieux de vie commune, où il y a des possibilités de contact social, où habitants et responsables politiques doivent assumer leur rôle main dans la main.»