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arts

Les archives dominent notre vie: Fiona Tan au MAC’s du Grand-Hornu

Par Marc Holthof, traduit par Jean-Philippe Riby
2 mai 2019 6 min. temps de lecture

Dans
l’ exposition L’Archive
des ombres
,
au
musée des Arts contemporains (MAC’s) du Grand-Hornu, près de
Mons, Fiona Tan montre sa fascination pour la manière dont la
culture occidentale met en archives et en images le monde pour le
dominer.

Fiona
Tan (° 1966), qui est née en Indonésie et a grandi en Australie,
est l’une des artistes les plus internationales des Plats Pays.
Elle a présenté avec un grand succès son œuvre dans le monde
entier, que ce soit à Yokohama, Berlin, la Documenta de Kassel, New
York ou São Paulo. En 2009, elle a également représenté les
Pays-Bas à la Biennale de Venise.

«Je
regarde comment on regarde», indique Tan pour résumer son œuvre.
Pour cela, elle fait appel à la photo, au cinéma et à la vidéo.
En 1999, elle a travaillé pour la première fois avec un centre
d’archives visuelles: le Nederlands
Filmmuseum

(musée néerlandais du Cinéma) à Amsterdam.

Elle
a alors utilisé des films ethnographiques du début du XXe
siècle pour analyser le regard que nous portions sur des peuples
qualifiés alors de «primitifs». Ce travail a donné Face
to face
,
une vidéo remarquée par Denis Gielen, directeur du MAC’s, qui a
finalement abouti à cette exposition.

Fiona
Tan est venue au Grand-Hornu avec deux vidéos ou installations vidéo
existantes, mais aussi avec deux nouvelles réalisations en rapport
direct avec le site et son environnement. Elle n’a pas manqué, en
effet, de se laisser inspirer par l’architecture circulaire de
l’ancien complexe minier de charbon.

L’Archive
des ombres
débute
par deux œuvres anciennes. Depot
(2015) offre d’admirables images des musées de sciences naturelles
de Leyde et de Berlin, dans lesquelles Tan montre toutes sortes
d’animaux dans du formol. Une revue plutôt esthétique et colorée
de victimes de la propension occidentale à classer la matière,
morte de préférence.

Les
aspects étranges de la collectionnite apparaissent également dans
Inventory
(2012), une installation vidé évoquant l’intérieur du Sir
John Soane’s Museum

à Londres sur six écrans à la fois. C’est une belle vidéo, mais
en l’occurrence la réalité dépasse l’enregistrement. Soane,
un architecte néoclassique du XIXe
siècle, a entassé dans sa demeure, devenue plus tard un musée,
tant de fragments et d’éléments d’architecture classique que
les visiteurs ont aujourd’hui encore du mal à se frayer un chemin
pour visiter ce labyrinthe.

Dans
une installation réalisée cette année, Circular
Ruins
(2019),
Tan évoque l’ancien charbonnage du Grand-Hornu. Les tenues de
mineurs étaient accrochées à des cordes avant et après le
travail. Tan a utilisé des cordes de ce type pour former un grand
cercle rappelant la forme circulaire du bâtiment minier. Sur chaque
corde, elle a disposé des nœuds qui renvoient au système
d’écriture à nœuds des anciens Incas. Un extrait de la nouvelle
de Jorge Luis Borges Les
Ruines circulaires

est diffusé durant la projection.

Plus
déroutante est l’autre installation récente, Archive
(2019),
entièrement consacrée au Mundaneum,
le musée
et fonds d’archives de Paul Otlet (1868-1944). Otlet était le fils
d’un magnat des tramways bruxellois. En réaction au capitalisme de
son père, il préféra le pacifisme et tenta d’établir une
bibliographie universelle. L’œuvre de sa vie, en collaboration
avec Henri La Fontaine, fut le Mundaneum.
Ce bâtiment devait réunir toutes les connaissances humaines,
collectées et classées. Afin de pouvoir travailler avec ces
archives universelles, Paul Otlet créa le code CDU que nous
utilisons encore dans les bibliothèques et centres d’archives. On
considère généralement que les archives universelles papier de
Paul Otlet préfigurent Internet. Ce n’est pas tout à fait exact,
car Otlet avait conçu une organisation extrêmement centralisée des
connaissances, alors qu’Internet, de par son origine militaire, est
totalement décentralisé.

La
tentative la plus utopique


Le
Mundaneum
avait aussi un objectif spirituel. Le bâtiment qu’Otlet voulait
faire construire par Le Corbusier sur la Rive droite d’Anvers était
conçu comme une pyramide au sommet de laquelle un entonnoir
aboutissait à un seul et même espace, le sacrarium,

toutes
les connaissances et religions
devaient se rencontrer pour former une unité spirituelle.

Dans
l’exposition, Fiona Tan rend évident le lien qui existe entre
Otlet et Internet, faisant même référence dans le catalogue à
Facebook
et
Google,
entreprises de moindre respectabilité aujourd’hui. Elle introduit
également un personnage plus inattendu: Giordano Bruno qui, au XVIe
siècle déjà, voulait rassembler toutes les connaissances dans un
diagramme circulaire et finit pour cette raison sur le bûcher.

Dans
un superbe film d’animation et les images fixes qui en sont
extraites, et qu’on pourrait prendre pour des photographies
anciennes, Tan procède à une reconstruction virtuelle du Mundaneum
sous
la forme d’un espace rond et ombreux, rempli d’armoires
d’archives, mais sans aucune présence humaine. Une installation
composée de nombreuses vitrines exposant les dessins visionnaires et
notes manuscrites dans lesquels Paul Otlet présentait son centre de
connaissances universel complète cette vidéo.

Ces
quatre installations montrent bien la fascination de Tan pour la
façon dont la culture occidentale met en archives et en images le
monde afin de le dominer, le Mundaneum
de
Paul Otlet en étant la tentative la plus utopique. Une tentative qui
se solda, du reste, par un échec: les collections du Mundaneum
durent
quitter en 1934 la halle du palais du Cinquantenaire, qui y abrite
aujourd’hui le musée de l’automobile Autoworld.
Plus tard, les documents furent détruits en partie par l’occupant
allemand. Ceux qui échappèrent à la destruction sont conservés
depuis 1993 à Mons, avec le soutien financier de Google.

Fiona
Tan n’est pas la seule artiste à s’intéresser aux archives et
aux musées, mais son exposition L’Archive
des ombres
,
par son ancrage local, est l’une des
plus belles approches que je connaisse de ce thème.
Ce n’est pas une rétrospective de plus, mais une série d’œuvres
parfaitement sélectionnées autour du thème des archives et de la
façon dont celles-ci jouent maintenant un rôle dominant dans notre
mode de vie. Dans le catalogue de l’exposition, Fiona Tan raconte
l’anecdote d’Otlet, âgé, se promenant en compagnie de son
petit-fils sur la plage d’Ostende. L’enfant trouva une méduse
morte. Paul Otlet sortit aussitôt un bout de papier sur lequel il
griffonna le code CDU qui convenait et le colla sur le cadavre de
l’animal.

Marc-Holthof

Marc Holthof

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