Les éditions Arfuyen publient en une version bilingue deux cent vingt-huit fragments de l’œuvre de la Juive néerlandaise Etty Hillesum (1914-1943), des extraits qui mettent en lumière le combat contre la résignation, la quête spirituelle et le message d’amour qui irriguent son journal, ses lettres de Westerbork écrites entre 1941 et 1943.
Jeune femme juive née en 1914 à Middelbourg, chef-lieu de la Zélande, elle traverse les années les plus sombres de la guerre avec lucidité et avec une foi qui n’a jamais vacillé. Celle qui sera assassinée à Auschwitz en novembre 1943 à l’âge de 29 ans, dont presque toute la famille périra dans les camps, nous a laissé un des témoignages les plus poignants sur l’extermination des Juifs.
Au cœur du désastre, pressentant l’anéantissement des siens, aidant sans relâche les prisonniers du camp de Westerbork où elle choisit de travailler afin de leur porter secours, elle a réussi à maintenir intacte la flamme d’un amour de la vie, opposant à la systématisation nazie de la haine l’amour du prochain, du monde, de Dieu. Comme l’a écrit Philippe Noble(1), la force prodigieuse des textes d’Etty Hillesum vient de leur témoignage éthique, métaphysique, humain.
Ayant publié en 2007 un remarquable ouvrage, Etty Hillesum, histoire de la fille qui ne savait pas s’agenouiller, donnant à découvrir trois lectures de son œuvre (une lecture juive par Claude Vigée, chrétienne par Dominique Sterckx et laïque par Charles Juliet), l’éditeur et poète Gérard Pfister (cousin de Liliane Hillesum, seule survivante de la famille Hillesum) donne à voir dans ce nouveau livre la place centrale qu’occupait la méditation spirituelle dans la vie de la jeune femme. Sa passion pour Rilke – un guide, un maître -, pour la beauté du monde, les fleurs, sa lecture de la Bible, de saint Augustin, de Maître Eckhart, son altruisme s’inscrivent dans le cadre d’une quête de sens à l’heure où le monde sombre dans l’immonde.
© «Kamp Westerbork».
La foi qui se révèle à elle au cœur de la tourmente, au cœur de l’Holocauste, ne s’affilie à aucun dogme, à aucune religion mais relève d’un dialogue spirituel avec un Dieu qui se confond avec «la couche la plus profonde» d’elle-même. Sa quête refuse les réponses au profit d’un questionnement qui ne recule devant aucun effroi, qui s’aventure dans la pensée du mal.
Dans son essai Etty Hillseum, Sylvie Germain avait interrogé la singularité des méditations de la jeune femme, le fait que, loin d’accuser Dieu d’abandonner les hommes, loin de lui reprocher son silence, elle s’adresse à un Dieu blessé, vulnérable, mis à mort au travers des humains exterminés. En chaque créature assassinée, Dieu est poignardé, atteint dans sa chair. Ses écrits, ses soutiens aux prisonniers du camp de Westerbork (avant qu’elle ne soit à son tour déportée) sont autant d’abris afin de secourir un Dieu qu’elle perçoit dans les créatures les plus démunies. Dans le camp de détention nazie de Westerbork, servant de camp de transit vers les camps d’extermination, vers Auschwitz, Edith Stein, juive convertie au catholicisme, transita avant d’être gazée à Auschwitz-Birkenau le 9 août 1942.
Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne peux rien garantir d’avance (…) ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider - et ce faisant nous aider nous-mêmes, «Prière du dimanche matin», 12 juillet 1942.
Sa pensée, ses élans mystiques et ses actions se placent sur deux plans, sur le plan terrestre, visible et sur le plan céleste, invisible. Loin de se réfugier dans une réalité intérieure, dans une prière mue par l’appel à la seule éternité, elle tient les deux dimensions, l’immanent et le transcendant, l’attention à l’Histoire et à l’éternité. Comme l’écrit Gérard Pfister, la force intérieure de ses écrits nous apporte une lueur qui éclaire les pires situations, une lueur qui ne concède rien à la résignation ni à la haine et qui retentit comme un appétit de vivre que rien ne peut ébranler.
La voix d’Etty Hillesum est celle de la liberté qu’elle brandit à la face des bourreaux, sans se laisser contaminer par la haine. Une liberté ardente, sans repos, qui caractérise son rapport si personnel à la foi, hors de toute Église, de toute confession, de tout rattachement au judaïsme ou au catholicisme.
Sans relâche, elle analysera l’étau qui se resserre sur les Juifs des Pays-Bas. Sans relâche, elle aura aidé les siens avant d’être happée dans l’enfer de la déportation, assassinée à Auschwitz le 30 novembre 1943, un an avant Anne Franck et sa famille qui furent déportés de Westerbork vers Auschwitz dans le dernier convoi du 13 septembre 1944.