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La folie, le deuil et le chagrin émanent de «La Mort de la Vierge» d’Hugo van der Goes

Par An Faems, traduit par Caroline Coppens
19 décembre 2022 7 min. temps de lecture

La Mort de la Vierge, chef-d’œuvre du XVe siècle réalisé par Hugo van der Goes, a été restaurée. Le résultat peut être admiré à Bruges dans le cadre de l’exposition multidimensionnelle Face à face avec la Mort articulée autour du panneau. Le jeu combiné de maîtres anciens et nouveaux invite le visiteur à bien regarder, mais aussi à se laisser émouvoir.

Quiconque arrive à l’exposition Face à face avec la Mort à l’hôpital Saint-Jean de Bruges se retrouve confronté à la folie. Un homme portant lâchement ce qui pourrait être un habit religieux est assis, recroquevillé, sur un trône en bois, les mains crispées, le regard fou transperçant le spectateur. Cet homme, c’est Hugo van der Goes.

Ou du moins, Van der Goes tel que le peintre Émile Wauters le voyait au XIXe siècle. Wauters a dépeint le peintre de la fin du Moyen Âge comme un malade mental dont la souffrance était soulagée par la musicothérapie. Sur ce tableau, Van der Goes est flanqué de quatre choristes accompagnés de quelques musiciens.

Actuellement, on n’accorde plus guère de crédit au mythe du génie tourmenté du XIXe siècle. Les contemporains étaient pleins d’admiration pour la virtuosité de Hugo van der Goes (vers 1440-1482). Et aujourd’hui, les historiens de l’art le considèrent comme un maître au même titre que Jan et Hubert van Eyck ou Rogier van der Weyden. L’œuvre étrange de Wauters, où dominent les tons bruns, offre dès lors un vif contraste avec le panneau de Hugo van der Goes qui figure littéralement au centre de l’exposition: La Mort de la Vierge.

Marie, d’une pâleur de marbre, gisant sur son lit de mort, est entourée d’apôtres en deuil. Au-dessus de sa tête, son fils apparaît dans une vision. Le bleu est omniprésent: le bleu de la robe de Marie, le tissu bleu dont est recouvert le lit, les nombreux bleus dans la vision, les robes de certains apôtres, un rideau bleu, dans des tons chaque fois différents.

Le silence est assourdissant. L’un des apôtres protège de sa main la flamme d’une bougie. Les mains parlent, tout comme les regards. Le chagrin se lit sur les visages. La Mort de la Vierge est une œuvre poignante qui, près de 550 ans après sa réalisation, parvient encore à nous émouvoir.

Universel

Il est difficile de déterminer pourquoi cette œuvre intrigue et fascine. Les couleurs fraîches et surprenantes attirent l’attention, tout comme les visages individualisés. La composition ajoute également à la puissance du panneau: on croirait assister en personne aux derniers instants de Marie. Le thème du deuil et du chagrin est universel et donc reconnaissable. Malgré la retenue et l’indéniable tristesse qui émane de l’œuvre, elle évoque aussi l’espoir.

Après des années de restauration de ce chef-d’œuvre de l’art flamand, l’exposition Face à face avec la Mort aborde le tableau sous cinq angles. Ce sont des indices qui permettent de mieux éprouver et comprendre La Mort de la Vierge. Ils établissent un dialogue entre, d’une part, l’art ancien et les objets historiques qui placent le panneau dans un contexte plus large et, d’autre part, les émotions qui nous interpellent encore aujourd’hui.

l’exposition aborde le tableau sous cinq angles afin de faire éprouver et comprendre "La Mort de la Vierge" aux visiteurs

Des thèmes tels que «l’adieu», «le sens» ou «l’icône mariale» sont évidents. Les sujets de la «virtuosité» ou de l’«expérience» paraissent plus surprenants. Chacun des thèmes sur lesquels repose l’exposition est complété par une réflexion ou un témoignage d’un artiste actuel. Ces noms sont évocateurs: il s’agit des auteurs Ilja Leonard Pfeijffer et Sholeh Rezazadeh, du metteur en scène Ivo van Hove, de la plasticienne Berlinde De Bruyckere et de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. Dans de sobres vidéos en noir et blanc, ils et elles expliquent ce qui les frappe dans le panneau et établissent des liens avec leur propre vie ou travail.

Memento mori

Les thèmes sont évoqués à travers quelque septante œuvres très différentes: sculptures, peintures, manuscrits, documents d’archives, vases liturgiques, une partie de chape, ainsi que des perles de prière et un berceau de Noël. À certains endroits, les visiteurs peuvent également écouter de la musique.

Ainsi, le thème de l’«adieu» évoque l’omniprésence de la mort au XVe siècle et la manière dont les gens pouvaient s’y préparer. Une statue grandeur nature de saint Christophe –censée offrir une protection contre une mort soudaine– est accompagnée d’une peinture représentant le Jugement dernier ainsi que d’une lettre d’indulgence.

Un diptyque de Jan Provoost, représentant un Christ portant la croix et un frère mineur, attire également l’attention. Les panneaux extérieurs forment un memento mori, avec un rébus et une tête de mort. À proximité se trouve un chapelet sur le même thème. Un manuscrit contient la liturgie funéraire d’un évêque. On découvre par ailleurs une peinture émouvante d’une femme ordinaire sur son lit de mort, ainsi que le manuscrit de Gruuthuse, temporairement revenu à Bruges. On peut y lire la chanson d’Egide, le célèbre rondeau sur le deuil d’un ami décédé.

Entre ces œuvres, Sholeh Rezazadeh, auteure irano-néerlandaise, parle de l’adieu à son pays natal lorsqu’elle l’a quitté pour les Pays-Bas en 2015. Elle attire également notre attention sur l’espoir qui se dégage de La Mort de la Vierge, sur la flamme de la bougie et la lumière qui illumine le tableau. Elle relie ainsi, en tant que «nouveau maître», l’œuvre de Van der Goes au visiteur contemporain. Il est toutefois dommage que les vidéos présentant les artistes contemporains soient structurées autour de leur personne –aussi intéressante soit-elle– et qu’aucune de leurs œuvres ne soit présentée.

Chefs-d’œuvre

Le panneau de Hugo Van der Goes est le point de départ et le centre de l’exposition, mais plusieurs autres chefs-d’œuvre y sont montrés. C’est le cas, notamment, du Christ de douleur d’Albrecht Bouts, du polyptyque avec La Vie et la Mort de la Vierge de Barend van Orley, ainsi que de l’extraordinaire panneau Saint Jean-Baptiste au désert de Gérard de Saint-Jean.

Hans Memling est représenté avec le diptyque de Maarten van Nieuwenhove et avec le reliquaire de sainte Ursule. Par ailleurs, l’hôpital Saint-Jean abrite d’autres œuvres magnifiques de Memling, que l’on peut aller voir après la visite de Face à face avec la Mort.

Tous les aspects de l’exposition ne sont pas aussi convaincants. Le thème de l’«expérience» est le moins élaboré et n’est évoqué que par quelques objets. Il est relié à la théâtralité suggérée par les rideaux de la chambre de Marie. En même temps, il fait référence au théâtre du Moyen Âge tardif, comme les Joies de Marie, qui évoquent également les derniers jours de la Vierge.

Grâce à la disposition des œuvres, le visiteur revient automatiquement, à plusieurs reprises, à La Mort de la Vierge. L’expo encourage le visiteur à regarder (de nouveau) attentivement, à s’émerveiller devant les visages réalistes des apôtres, à repérer des détails qui lui avaient échappé auparavant, et à comparer. Après tout, nous savons peu de choses sur Hugo van der Goes et nombre de ses œuvres sont perdues, mais ses contemporains le connaissaient comme un innovateur, dont le travail fut copié. Certaines des œuvres qu’il a ainsi inspirées sont reprises dans l’exposition.

Éclatant

On est sans cesse surpris par les couleurs du panneau, qui sont d’une fraîcheur éclatante depuis la restauration. La restauration elle-même est décrite dans un court-métrage méditatif. Avec une patience infinie, la restauratrice a retiré le vernis et les repeints ultérieurs et fixé la couche de peinture originale, avant d’effectuer les retouches qui s’imposaient.

Face à face avec la Mort est une exposition riche et complexe, mais parfois un peu trop dense et trop fragmentaire. Il n’y a pas de parcours imposé, le visiteur peut donc déterminer son propre parcours entre les œuvres, objets et vidéos très variés. Il peut regarder, lire, écouter; l’expo tente de l’atteindre et de le séduire de nombreuses manières différentes, ce qui, parfois, conduit littéralement à la polyphonie: à certains endroits, plusieurs vidéos présentant les réflexions des «nouveaux maîtres» retentissent en même temps.

Le final de l’exposition est lié à la musicothérapie de Hugo van der Goes. Sous le titre Music is my medicine, le visiteur découvre des témoignages sur le pouvoir de guérison, de réconfort et d’inspiration de la musique. Il peut lui-même ajouter un morceau de son choix: une dernière façon de se laisser émouvoir et d’inspirer les autres.

Face à face avec la Mort. Hugo van der Goes, un nouveau regard sur les anciens maîtres. Bruges, Hôpital Saint-Jean. Jusqu’au 5 février 2023.
An-Faems

An Faems

spécialiste de culture médiévale

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