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pays-bas français, société

La frontière franco-belge, terminus de ce bus

Par Christophe Boval, traduit par Michel Perquy
3 septembre 2020 9 min. temps de lecture

Peu après la levée du confinement, la presse locale se faisait l’écho du fait que depuis la réouverture des frontières, les bus de la ligne reliant la gare de Dunkerque à celle de La Panne (De Panne) faisaient demi-tour à la frontière française. La survie de l’unique ligne de bus transfrontalière semblait mise en péril.

‘Un train peut en cacher un autre.’ Aucun voyageur en France n’ignore ce panneau d’avertissement aux passages à niveau à double voie. Au début de cet été, une variante de ce panneau semblait de mise à la frontière franco-belge entre Adinkerque et Bray-les-Dunes : ‘Une fermeture peut en cacher une autre.’ Si la frontière a bel et bien été rouverte le 15 juin après le confinement dû au Covid-19, la ligne 20 de la société de transport dunkerquoise DK’BUS n’a pas repris le trajet jusqu’à la gare de La Panne, les bus faisant simplement demi-tour à la frontière. Voilà que l’existence de l’unique ligne de bus qui traverse la frontière entre la Flandre et la France était menacée.

Il était écrit dans les étoiles que Dunkerque solliciterait tôt ou tard une contribution financière de la part des Belges pour le prolongement de cette ligne 20

Finalement, on n’en est pas arrivé là. Sous la pression des réactions indignées dans les médias (sociaux), le bourgmestre de La Panne et son collègue, le maire de Dunkerque, ont élaboré une solution provisoire, conduisant à la reprise de de ce trajet dans le courant du mois de juillet. Du côté belge, la promesse a été faite de chercher un moyen d’assumer une partie équitable des coûts d’exploitation de cette ligne.

Car, pour éviter tout malentendu, le bus qui traverse la frontière et poursuit jusqu’à la gare d’Adinkerque (La Panne), n’est pas une liaison commune ou binationale entre deux villes de part et d’autre de la frontière, mais simplement le prolongement transfrontalier d’une ligne française, plus précisément de la ligne 20 des transports publics urbains de Dunkerque. Les nombreux arrêts en cours de route, le détour vers Bray-les-Dunes et Zuydcoote Hôpital Maritime et le changement obligatoire sur une des lignes Chrono C1 ou C2 pour Dunkerque, tout cela fait que le trajet d’Adinkerque à Dunkerque, une distance d’à peine 20 km, prend bien une heure. Mais… le transport est gratuit pour le voyageur depuis que DK’BUS a introduit il y a deux ans les transports publics gratuits sur tout son réseau (voir aussi).

Il était écrit dans les étoiles que Dunkerque solliciterait tôt ou tard une contribution financière de la part des Belges pour le prolongement de cette ligne 20 jusqu’à la gare d’Adinkerque. Tout comme il était prévisible que l’on manifesterait un certain attentisme de ce côté-ci de la frontière. Car à qui revenait-il de contribuer ? La Communauté urbaine de Dunkerque a adressé un courrier laconique à De Lijn, à la municipalité de La Panne et au parc d’attraction Plopsaland, mais ces trois parties ont chacune leurs raisons de ne pas se sentir concernées : De Lijn n’a rien à voir avec les lignes de bus françaises, la ville elle-même n’organise pas de transport public et tout comme les autres entreprises en Belgique, Plopsaland ne contribue pas directement aux transports publics, contrairement aux entreprises en France où l’on prélève un ‘versement de transport’ sur la masse salariale.

En plus, la ligne de bus de Dunkerque n’a pas toujours été accueillie en fanfare à La Panne. Il y a quelques années, les arrêts à Moeder Lambik et à Plopsaland ont été supprimés pour cause de nuisances. Pour se rendre à Plopsaland en DK’BUS ou pour poursuivre son voyage avec le tram du Littoral, il faut rester dans le bus jusqu’au terminus à la gare et revenir ensuite sur ses pas.

On aurait sans doute tergiversé encore quelque temps pour répondre à Dunkerque s’il n’y avait pas eu soudain la crise du Covid-19 et la fermeture des frontières nationales. Du coup, le trajet de la ligne 20 était raccourci jusqu’à Bray-les-Dunes. La réouverture de la frontière s’est avérée l’occasion idéale pour DK’BUS de mettre quelque peu la pression en limitant le trajet de la ligne 20 à la frontière. Message reçu!

Vers une ligne interurbaine ?

Du côté flamand, on s’est donc engagé à chercher une solution. Théoriquement, le nouveau décret de mobilité flamand prévoit pour les régions de transport nouvellement créées – dans ce cas-ci, la région de transport Westhoek – de prendre des initiatives locales de mobilité indépendamment de De Lijn. Du moins à condition que toutes les communes de la région marquent leur accord. Il reste par ailleurs la question de savoir s’il est possible de payer par ce biais des sommes à une société de transport étrangère. Enfin, dans les transports publics flamands sur mesure, il n’est pas prévu de transport public gratuit pour l’utilisateur, de sorte qu’on risquerait donc de créer un précédent.

Afin de contourner tous ces aspects, on se met déjà à rêver par-ci par-là d’une contribution flamande qui consisterait à organiser une ‘vraie’ ligne interurbaine Dunkerque-La Panne, en complément de la ligne de banlieue de DK’BUS. Dans cette option, le voyageur désireux de se rendre rapidement d’une ville à l’autre paierait un billet pour un trajet en bus rapide qui pourrait même emprunter l’autoroute. Ce serait une manière de ranimer en quelque sorte l’ancienne ligne ferroviaire Adinkerque-Dunkerque. Ce qui a l’air très beau en théorie, mais ce scénario est-il réaliste ?

En Flandre-Occidentale, De Lijn organise aujourd’hui une seule ligne de bus transfrontalière à part entière, à savoir entre Bruges et Breskens en Zélande, qui traverse donc la frontière des Pays-Bas. La ligne relie la gare de Bruges à l’embarcadère du bac pour piétons et cyclistes traversant l’Escaut occidental vers Vlissingen, en passant par le pôle d’attraction touristique de Sluis et l’hôpital régional d’Oostburg, tous deux aux Pays-Bas. À Westkapelle il y a une correspondance en bus pour l’hôpital AZ Zeno et Knokke. Le succès commercial de cette ligne est suffisamment intéressant pour que De Lijn souhaite la maintenir en collaboration avec le coexploitant néerlandais Connexxion. Mais le seul maintien de la ligne existante représente une lutte quotidienne. Non à cause de grandes différences d’opinion ou de visions stratégiques divergentes, mais à cause des petites questions quotidiennes et concrètes qu’il faut résoudre.

Le tracé exact, l’établissement des horaires avec des accords clairs concernant les nœuds et les correspondances garanties, les accords concernant la tarification et la répartition des recettes, l’échange d’informations, les appareils de compostage à bord (recherche en collaboration sur l’interopérabilité de systèmes ou accords clairs sur la présence et les responsabilités de l’appareillage), les liaisons radio avec le dispatching de l’autre opérateur, la communication et le marketing, les informations et les annonces dans les véhicules et aux arrêts, l’influence des feux de circulation sur les territoires réciproques, la sécurité sociale, le contrôle des voyageurs, etc. : dans le contexte d’un seul pays, ce sont des choses qui se font quasiment d’elles-mêmes ou pour lesquelles il existe des procédures, mais pour une ligne transfrontalière, toutes ces choses font l’objet de discussions et d’accords séparés. Ce travail sur mesure cadre de moins en moins avec les efforts de rationalisation et de standardisation des processus que les sociétés de transports publics sont contraintes d’appliquer pour des raisons d’efficacité.

La plupart des zones d’activité sont surtout joignables en véhicule automobile

Il n’est donc pas étonnant que De Lijn se montre peu empressée de créer des lignes transfrontalières, surtout dans le contexte des coupes budgétaires imposées ces dernières années à la société de transport. La première difficulté se présente dès avant la mise en route, notamment dans la phase du planning. Dans le contexte intérieur d’un seul pays, une estimation du potentiel d’une ligne est réalisée à l’aide d’un maximum de données statistiques et du modèle de circulation flamand. Il existe évidemment aussi des données et des modèles au-delà des frontières, mais elles ne sont pas tout à fait comparables.

En espérant une ligne Ypres-Armentières

Quoi qu’il en soit, le succès commercial n’est pas du tout garanti. Les transports publics, avec en tête le transport ferroviaire et dans une moindre mesure le transport par bus, sont principalement destinés à transporter au même moment un grand nombre de gens vers la même destination. Des exemples typiques en sont la navette (déplacements domicile-travail) et les déplacements domicile-école. Mais la frontière franco-flamande connaît à peine cette dernière forme de circulation. S’il existe bien des milliers de travailleurs frontaliers français qui traversent quotidiennement la frontière, ils habitent et travaillent en des endroits très dispersés et ils ont souvent des horaires de travail irréguliers. Les transports publics ne sont pas en mesure de répondre à cette situation, même pas dans le contexte de leur propre pays. La plupart des zones d’activité sont surtout joignables en véhicule automobile.

Il est d’ailleurs tout aussi difficile pour les transports publics d’apporter une solution au trafic commercial transfrontalier qui existe indéniablement à la frontière franco-flamande. Le shopping s’effectue souvent dans un contexte familial avec un coffre de voiture tout plein de marchandises au retour. Les acheteurs préfèrent alors se résigner à faire la queue à l’approche des centres commerciaux. Enfin, l’on constate en général qu’il y a moins d’échanges entre deux villes séparées par la même distance s’il y a une frontière entre les deux. Ce qu’on appelle l’effet frontière.

Mais il existe des exceptions. À la fin de l’année dernière à Genève, un réseau ferroviaire transfrontalier a été inauguré, ayant pour objectif de convaincre les dizaines de milliers de travailleurs frontaliers venant de la France voisine de prendre le train. Pour cette ville suisse, enserrée entre les contreforts du Jura, le lac Léman et la frontière française, c’est la seule issue pour éviter l’asphyxie totale. La ville de Luxembourg investit également dans l’augmentation de sa capacité ferroviaire au départ de ses voisines belges et françaises. Mais il s’agit dans ces deux cas d’une concentration d’activité professionnelle sur une surface limitée dans le secteur tertiaire (banques et assurances, services internationaux, diplomatie etc.). Ce qui n’est absolument pas comparable avec la situation à la frontière franco-flamande.

Néanmoins, une seule ligne de banlieue prolongée pour toute la frontière franco-flamande est une offre vraiment très maigre. Dans les réponses au projet pilote accessibilité de base pour la région de transport Westhoek, plusieurs communes et diverses organisations syndicales ont exprimé le souhait de voir la création de lignes supplémentaires. Aujourd’hui, il existe des deux côtés de la frontière franco-flamande une douzaine de lignes de bus qui vont jusqu’à la frontière, mais ne la traversent pas.

La ministre flamande de la Mobilité, Lydia Peeters, a réservé à la fin de l’année dernière un peu moins de 800 000 euros pour des expérimentations de mobilité dans le Westhoek et la part du lion de ce montant est destinée au prolongement, à titre expérimental pour la durée d’un an, de la ligne de bus Ypres-Le Bizet (Ploegsteert) jusqu’à la gare d’Armentières et simultanément à la création d’une ligne reliant Poperinghe à Hazebrouck.

Actuellement, la région de transports Westhoek entreprend d’établir des contacts avec les voisins français afin de pouvoir lancer ces lignes expérimentales. Les enjeux sont importants pour le Westhoek, car si jamais ces tentatives ne sont pas couronnées de succès, des transports publics transfrontaliers risquent de passer pour de nombreuses années aux oubliettes. Il faudrait surtout que la ligne Ypres-Armentières réussisse. Le trajet supplémentaire à partir du terminus actuel, littéralement à un jet de pierre de la frontière, jusqu’à la gare d’Armentières avec des correspondances (nombreuses) à destination de Dunkerque, Calais et surtout Lille, représente à peine 3 kilomètres. La liaison Poperinghe-Hazebrouck semble plus risquée, au vu du trajet plus long sur territoire français, qui plus est dans une région plus rurale.

Boval

Christophe Boval

Chargé de mission mobilité - province de Flandre-Occidentale

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