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La «Huis van de Dichter», foyer chaleureux de la poésie à la frontière franco-belge

27 avril 2023 7 min. temps de lecture Nord de la France et Flandre en dialogue

Située dans le village flamand de Watou, à un jet de pierre de la frontière franco-belge, se trouve la Huis van de Dichter (Maison du poète). Cette bâtisse, érigée dans un écrin de verdure propice à la création, n’était autre que la demeure du poète flamand Gwy Mandelinck, trente années durant. Depuis 2018, la Huis van de dichter propose, quelque vingt semaines par an, des résidences d’écriture. Bien que réservée aux auteurs de langue néerlandaise, cette institution tend aujourd’hui la main, par le biais de divers projets transfrontaliers, vers ses voisins francophones.

En 1979, Gwij Mandelinck (°1937), de son vrai nom Guido Haerynck, et son épouse se sont installés dans le village frontalier de Watou, dans un ancien presbytère datant de 1840, rebaptisé par la suite Huis van de Dichter en l’honneur du poète. Grâce à ce couple à l’origine un an plus tard des Poëziezomers (Étés de la poésie) de Watou, cette bourgade champêtre du Westhoek est rapidement devenue incontournable aux yeux des amateurs de littérature, attirant quelque 10 000 à 15 000 visiteurs par an.

Des bâtiments insolites, comme des granges ou des écuries, se transformaient pour l’occasion en salles d’exposition où art et poésie se côtoyaient le temps d’un été. Ces lieux conservés en l’état et les champs à perte de vue conféraient au festival un charme sans égal.

Cette manifestation estivale a rapidement conquis les amoureux néerlandophones de la poésie contemporaine. Les francophones n’étaient cependant pas en reste. L’édition 2005 a notamment franchi la frontière pour rendre hommage à la littérature française. L’événement a entre autres mis à l’honneur des écrits d’Henri Michaux ou d’Henri Meschonnic. Trois ans plus tard, les Poëziezomers ont tiré leur révérence et dans la foulée le couple a plié bagage pour s’installer à Bruges. Malgré son départ, son influence a continué à se faire ressentir. A alors débuté le Kunstenfestival Watou (Festival des arts de Watou) qui s’inscrit dans le prolongement du projet initié par Gwy Mandelinck et sa compagne: un dialogue entre arts visuels et poésie, dans le cadre bucolique du village flandrien. À la même période, la maison du poète est rachetée par Peter De Roo et Krista Viaene, qui la transforment en premier lieu en maison d’hôte regorgeant d’histoires, ayant accueilli en ses murs d’illustres figures de la littérature néerlandaise.

Une belle renommée

Fin février 2018, la résidence d’écriture est officiellement inaugurée dans la Festivalhuis, où les clés de la Huis van de Dichter sont symboliquement remises à Michaël Vandebril, premier ambassadeur de 2018 à 2020 et actuellement encore directeur artistique.

Ensuite, c’est la poétesse et ancienne résidente Astrid Haerens qui a repris le flambeau, avec une vision davantage axée sur la diversité, et depuis le début de l’année 2022 le poste d’ambassadeur est occupé par la journaliste littéraire Jelle Van Riet, qui est surtout désireuse d’accroître la visibilité du lieu tout en mettant en lumière la poésie qui y voit le jour.

Du reste, Van Riet lancera cette année le Poëziepodcast, un podcast aspirant à répandre le goût pour la poésie auprès du grand public. Elle constate à regret en effet que si l’engouement des auteurs pour la poésie ne manque pas, notamment à Watou, l’intérêt des lecteurs pour ce genre littéraire demeure parfois modeste.

Depuis son ouverture, la résidence a accueilli plus de soixante-dix auteurs néerlandophones – poètes pour la plupart – tels que les Flamandes Delphine Lecompte et Amina Belorf, mais également les Néerlandaises Sholeh Rezazadeh et Nisrine Mbarki. La sélection des dossiers de candidature démontre une certaine attention portée à la diversité: les résidences ouvrent leurs portes à des écrivains de tout âge, toute origine et culture et tout genre, de l’auteur de littérature jeunesse à l’écrivain désireux de se lancer dans la cocréation. Au fil des années, la Huis van de Dichter s’est bâti une renommée telle qu’elle ne peut aujourd’hui honorer qu’environ une demande sur trois.

Les auteurs sélectionnés ne sont d’ailleurs pas censés rester à l’intérieur. Depuis 2018, à l’occasion du Kunstenfestival, la Huis van de Dichter réunit chaque année ses écrivains lors de «sessions de résidence» durant lesquelles ces derniers présentent au public les textes qu’ils ont composés lors de leur séjour entre les murs de l’ancien presbytère.

Une vision poétique faisant fi des frontières

Même si en 2023, année dédiée à la poésie, les résidences accueilleront uniquement des poètes flamands et néerlandais, l’organisme a, en parallèle, décidé d’explorer de nouveaux horizons, notamment de l’autre côté de la frontière.

Ainsi en décembre 2022, la Villa Marguerite Yourcenar a frappé à la porte de la Huis van de Dichter afin de discuter d’éventuels projets d’échanges qui pourraient voir le jour. Créée en 1997, la Villa Marguerite Yourcenar, résidence pour auteurs nichée sur le mont Noir, reçoit chaque année environ 27 auteurs, nationaux et internationaux, débutants ou confirmés. Elle a pour vocation, outre de proposer un cadre idyllique aux auteurs désireux de se consacrer à leur art dans la quiétude d’une forêt de pins noirs, de promouvoir auprès d’un large public la littérature contemporaine sous toutes ses formes, notamment par le biais de collaborations avec des écoles, des universités ou encore des librairies.

Il n’est par conséquent pas surprenant de voir la Villa Marguerite Yourcenar se rapprocher de sa consœur, distante d’une petite quinzaine de kilomètres seulement. Elles envisageraient la création de programmes d’échanges ainsi que la réalisation de projets de traduction. Bien que ces discussions n’en soient encore qu’au stade préliminaire, Michaël Vandebril espère qu’un ou plusieurs résidents de la Villa pourront prendre part aux sessions de résidence de 2023.

La Huis van de Dichter n’en est cependant pas à sa première collaboration transfrontalière, loin s’en faut. En effet, en mai 2022, dans le cadre de Dichter bij de Grens (Poète près / Plus près de la frontière), un projet mené conjointement avec la résidence d’auteurs néerlandaise Schrijvers in Sluis (Écrivains de Sluis, petite ville de Flandre zélandaise), quatre poètes néerlandais et quatre flamands se sont rencontrés au détour d’une promenade poétique ouverte au public. Durant cette balade, huit «poètes frontaliers» ont présenté des œuvres, certaines créées spécialement pour l’occasion autour de la thématique des frontières.

En 2021, c’est aux Wallons que la Huis van de Dichter avait offert l’hospitalité, lors du Festival de la lenteur initié par Carl Norac, poète et auteur de littérature jeunesse, dans le cadre de son mandat de Poète national belge. Cet ambassadeur des lettres belges a toujours eu à cœur de réduire le fossé qui sépare les différentes régions linguistiques de Belgique. Ainsi, la Huis van de Dichter a invité tour à tour quatre binômes flamands et wallons à partager le même toit, leur donnant le temps d’apprendre à vivre ensemble, de se connaître, d’échanger et de laisser libre cours à leur imagination cinq jours durant.

Cette année-là, le public présent aux sessions de résidence qui se sont tenues dans l’église de Watou a pu découvrir les travaux qui ont découlé de ces résidences. Une partie d’entre eux a, par ailleurs, paru dans le Poëziekrant, un magazine publié six fois par an par le Poëziecentrum de Gand (Gent). À l’automne 2021, d’autres résidences ont de surcroît été organisées par la Maison de la poésie à Namur.

C’est également dans le cadre de ce projet du Poète national belge que s’inscrivent les Poëtische haltes / Escales poétiques, une croisière au départ de Namur qui a sillonné les canaux belges, pendant deux semaines, avant de jeter l’ancre à Gand. À bord de la péniche namuroise Formigny sont montés des auteurs venus des quatre coins de la Belgique, confirmés ou issus de la nouvelle génération. Guidés par le rythme de l’eau, ceux-ci étaient invités à se laisser aller à la création.

Parmi les passagers de cette traversée de la frontière linguistique figuraient Astrid Haerens, Amina Belôrf, Yves Namur, Laurence Vielle, Jan Ducheyne, Aurélien Dony, Lisette Lombé, Paul Bogaert, Jessy James Lafleur et, bien entendu, Carl Norac, à l’initiative de ce projet. En outre, le public a pu rencontrer ces auteurs, notamment au cours d’une halte à Bruxelles. Des traducteurs ont également fait partie du voyage. Ils ont de ce fait eu l’occasion d’échanger avec les poètes et de réfléchir à de possibles collaborations, qui pourraient permettre aux œuvres littéraires de franchir la barrière de la langue.

Il va sans dire que des initiatives transfrontalières, à l’instar de Dichter bij de Grens ou du Festival de la lenteur, présentent bien des avantages: elles offrent aux écrivains l’occasion de nouer des liens professionnels, d’entreprendre des collaborations, de se faire connaître auprès d’un plus large public, d’inspirer et de se laisser inspirer. La Huis van de Dichter, par le biais de projets organisés en partenariat avec ses consœurs françaises, wallonnes et néerlandaises, favorise ainsi le rayonnement de la littérature, et plus particulièrement de la poésie, qu’elle soit d’expression française ou néerlandaise, par-delà les frontières.

Site web de la Huis van de Dichter

Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 7, 2023.
Chloebracaval

Chloé Bracaval

traductrice et collaboratrice marketing et communication

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