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La langue de l’Europe, c’est la traduction

Par Luc Devoldere, traduit par Jean-Marie Jacquet
29 mai 2019 3 min. temps de lecture

Dans les Plats Pays, la culture de la traduction est menacée. Y aura-t-il encore dans les années à venir suffisamment de traducteurs pour que les néerlandophones puissent se faire comprendre ailleurs ou prendre connaissance de ce qui est produit dans le monde?

Tout est dans tout. En ce moment retentissent diverses sonnettes d’alarme. Sur le recul de la compréhension à la lecture dans l’enseignement, entendez la capacité de bien lire, analyser et interpréter un texte, de distinguer les doubles degrés, de saisir l’ironie. Sur la situation problématique de la formation académique chez les étudiants de première année d’université, un prérequis pour pouvoir, à un niveau linguistique élevé et dans le registre adéquat, communiquer et conceptualiser verbalement et par écrit. Sur la fragilité de la pratique de la lecture chez les enfants et les adolescents, qui lisent moins et, partant, développent moins leur vocabulaire. Sur la régression de notre relatif bilinguisme, due à l’accent fortement mis sur la connaissance de l’anglais, laquelle a effectivement progressé, mais précisément au détriment de la connaissance d’autres langues (en particulier le français et l’allemand).

Voici à présent que la culture de la traduction est menacée. Y aura-t-il encore dans les années à venir suffisamment de traducteurs pour que nous puissions nous faire comprendre dans le monde ou prendre connaissance de ce qui est produit dans le monde? La Journée de la traduction
qui s’est tenue le 25 mai à Utrecht a permis de découvrir un nouveau plaidoyer pour la traduction que propose l’ELV, Expertisecentrum Literair Vertalen (Centre d’expertise en traduction littéraire), partenariat qui regroupe la Taalunie (Union de langue néerlandaise), la KU Leuven et l’université d’Utrecht et bénéficie de la collaboration du Nederlands Letterenfonds (Fondation néerlandaise des lettres) et de Flanders Literature.

À mesure que faiblit l’orientation des jeunes vers l’étude du néerlandais et celle des langues étrangères, les formations dans ces langues, même les langues européennes, disparaissent des programmes universitaires aux Pays-Bas et en Flandre. Qui traduira encore, à terme, des livres écrits en russe (les Dostojewski actuels), en polonais (les Szymborska d’aujourd’hui) ou en portugais (les Saramago de demain)? À l’inverse, il faut investir davantage dans ces quelques 15 000 cerveaux qui étudient le néerlandais de par le monde. Ils doivent continuer demain à traduire nos livres dans leurs langues, mais il faut pour cela qu’ils y soient bien préparés et qu’ils soient convenablement rémunérés pour leur travail. Car c’est bien là que le bât blesse: les jeunes étudieront de moins en moins de langues parce que les débouchés professionnels sont moins lucratifs. La traduction, particulièrement la traduction littéraire, requiert du temps et des efforts, pour une rétribution souvent insuffisante. Tout est dans tout.

Une nation d’Europe qui se respecte se doit d’entretenir une culture de la traduction et d’investir en conséquence dans des formations en langues, tant dans son propre espace linguistique qu’au dehors. Il y va d’une politique culturelle concrète. À vous, donc, pouvoirs publics de Flandre et des Pays-Bas, d’augmenter votre aide financière à l’Internationale Vereniging voor Neerlandistiek (Association internationale de néerlandistique) et, cela va de soi, aux principales chaires de néerlandais à l’étranger, car ces universités risquent elles aussi de renoncer. En 2017, on dénombrait en Pologne 660 étudiants de néerlandais contre 247 en Flandre et … 227 aux Pays-Bas.

À vous, chers pouvoirs publics, de lancer également une campagne qui rende les études linguistiques plus attrayantes. En commençant par faire en sorte que l’apprentissage du néerlandais dans l’enseignement secondaire soit à la fois intéressant et exigeant. Vous, Flandre, inspirez-vous du modèle de contrat qui a cours aux Pays-Bas pour les traducteurs. Renforcez la formule transnationale du Master Literair vertalen van de KULeuven et de l’Université d’Utrecht ainsi que la collaboration avec Petra, réseau européen de formations en traduction et de centres d’expertise. Nous y croyons!

Luc-Devoldere

Luc Devoldere

écrivain, essayiste et ancien rédacteur en chef (2002-2020) de Ons Erfdeel vzw

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Luc Devoldere 13 min. temps de lecture
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