Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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La main de l’artiste s’exprime dans les imperfections : Wouter Paijmans au musée «De Pont»
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La main de l’artiste s’exprime dans les imperfections : Wouter Paijmans au musée «De Pont»

Wouter Paijmans (° 1991) a toujours aimé peindre mais au fil du temps, il a adopté d’autres médias. Or, même lorsqu’il travaille l’aluminium ou le textile, ses œuvres trahissent toujours une approche picturale. Cette particularité a débouché notamment sur une forme d’art hybride qu’il a baptisée «peinture de confection». Du 14 septembre au 24 novembre, une série de ces œuvres est exposée au musée De Pont à Tilburg (Brabant-Septentrional).


L’une des premières expositions que j’ai commentées était une espèce de florilège des travaux de fin d’études de 2015, réalisées par les candidats diplômés des académies d’art néerlandaises les plus prometteurs de cette année-là. Parmi les œuvres les plus frappantes et les plus convaincantes figuraient deux grands objets métalliques signés Wouter Paijmans, alors fraîchement diplômé de la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam. On aurait dit des ready-mades travaillés, autrefois produits industriellement, mais quelque chose détonnait, même si j’ignorais quoi exactement. L’un de ces objets était un échafaudage d’apparence tordue, baptisé Aluminium Scaffolding.

On aurait dit que l’on avait tenté de compresser avec une grande force un objet trouvé. Après quoi ce n’était plus un objet utilitaire mais une œuvre d’art. Quatre ans plus tard, Paijmans m’explique que les objets n’étaient pas de véritables ready-mades. Il les avait construits lui-même en pliant de l’aluminium sur des lattes. En y regardant de plus près, on pouvait voir qu’ils n’étaient pas bien ajustés ou qu’ils portaient les empreintes digitales de leur auteur. De plus, l’aluminium n’est absolument pas assez solide pour servir à la construction d’échafaudages.

De l’aluminium au textile

Paijmans est arrivé à la Gerrit Rietveld Academie via un détour. Après avoir fréquenté l’école d’agriculture durant quelque temps, il a décidé de suivre une formation en design et en communication, une orientation comprenant aussi des cours de dessin et de peinture. Par ailleurs, il s’est révélé doué pour la construction de maquettes. Une fois à l’académie d’art, Paijmans devait découvrir tous les médias. Bien qu’il se considérât au départ comme un peintre, il a constaté que la sculpture lui convenait tout aussi bien. Il s’est cherché des façons d’élargir la palette de la peinture, en l’enrichissant par exemple d’une dimension spatiale. Cet intérêt et le fait de vouloir travailler simplement de ses mains l’ont mené aux objets en aluminium dont il s’est servi pour son travail de fin d’études. Parfois, il peignait des aplats.

En 2016, Paijmans a été admis à la prestigieuse formation d’art postacadémique De Ateliers, pour une période de travail et d’accompagnement de deux ans. À l’époque, l’aluminium n’avait plus de secrets pour lui, et il est parti à la découverte d’autres médias, dont le principal était - et est toujours - le textile. Il s’est acheté une machine à coudre bon marché et s’est mis à fabriquer des chandails, tout simplement parce qu’il avait du mal à peindre toute la journée, et qu’il voulait tout de même s’occuper.

Un point commun remarquable avec les objets en aluminium est que ces chandails ne peuvent pas être enfilés. Au départ, Paijmans devait encore apprendre à se servir de la machine et de la matière, mais aujourd’hui, ces chandails sont probablement sabotés à dessein. Il prétend qu’il n’est pas très adroit avec la machine à coudre, mais il ne souhaite pas l’être non plus. Le jour où ce sera le cas, il se cherchera de nouveaux médias et de nouvelles matières, car il veut continuer à se surprendre. Lorsqu’on maîtrise complètement la technique, on minimise les effets du hasard, or ceux-ci sont précisément les cadeaux du processus de réalisation, estime Paijmans.

La peinture multimédia

Au cours des quatre dernières années, Paijmans a par ailleurs été remarqué par les jurys de prix d’encouragement renommés. En 2018, il était l’un des lauréats du prix Buning Bongers destiné à stimuler les jeunes artistes. La même année, il a été nommé par ailleurs pour le Koninklijke Prijs voor Vrije Schilderkunst, un prix d’État néerlandais créé pour encourager les jeunes peintres. Aujourd’hui, le terrain de ce prix s’est sensiblement étendu: parmi les lauréats et les nominés se trouvent aussi des artistes qui travaillent (en partie) d’autres médias - le dessin, les installations ou les collages, par exemple -, mais qui poursuivent une approche que l’on pourrait qualifier de picturale. La nomination de Paijmans est justifiée également, parce que son art a gardé un aspect pictural, même sans peinture ni pinceau. Il réalise par exemple une composition en disposant un escabeau contre un patchwork de plaques métalliques, ou à l’aide de quelques tas de chandails hauts en couleur.

Cette année 2019, Paijmans a présenté une série d’œuvres dans lesquelles il a combiné quelques objets en aluminium réalisés plus tôt avec des vêtements de fabrication récente. Par la suite, il a expliqué que ces œuvres sont une façon de montrer son nouvel art au départ de son art ancien. Ce qui frappait surtout, c’était la résilience et l’obstination du textile. Le contraste avec l’aluminium, d’apparence dure et froide, était grand. Ainsi, les manteaux qui recouvraient un grand réfrigérateur ou une espèce de portemanteau abstrait d’une forme rappelant un rasoir, semblaient beaucoup moins robustes. Mais tout bien considéré, il apparaissait qu’ils étaient sans doute beaucoup plus difficiles à façonner encore que l’aluminium. À moins de se servir par exemple de fil de fer, le textile retombe en toute souplesse.

Peinture de confection

Cette obstination transparaît aussi dans la série d’œuvres textiles de Paijmans que l’on peut voir au musée De Pont à Tilburg, sous le titre Stripes & Stars (Confection Painting). L'appellation «peinture de confection» a un jour été prononcée au cours d’une conversation avec un ami, et a fait son chemin depuis. Cette exposition sera non seulement le premier solo muséal de cet artiste mais aussi la première fois qu’il aura un espace à son entière disposition : la salle du Podium du musée de Tilburg. Il y présentera dix-huit œuvres textiles de grande dimension, essentiellement blanches, qui ressemblent à des peintures. Elles sont basées sur un travail antérieur, Stars & Stripes, de 2018. On peut voir à chaque fois un chandail à capuche sur fond de drapeau américain. Cet aspect rappelle le pop-art. Paijmans ne s’estime pas apparenté à ce mouvement, même s’il tient Andy Warhol en haute estime. Mais il n’adhère pas à la tendance (des historiens d’art) à approcher l’art nouveau depuis l’art ancien. Cette tendance trouble le regard, estime-t-il, or il s’agit justement de faire une observation attentive et pointue de l’objet considéré.

Il ne s’agit pas non plus pour lui de critiquer la société de consommation, même si les magasins et la production de masse jouent un rôle important dans la série. Il n’a pas souhaité imiter une boutique de vêtements, souligne-t-il. Il a justement souhaité travailler avec un nombre limité d’éléments de ces magasins: les panneaux publicitaires, le pouvoir d’attraction qui a fait l’objet d’une mûre réflexion, le fait que soixante pour cent de la superficie murale est recouverte de marchandises.

Il a appliqué ce dernier calcul à la salle du Podium et est arrivé ainsi au nombre de dix-huit œuvres. À chaque fois, on y voit le drapeau américain sur lequel figure un «hoodie»: bras écartés, capuche en l’air, comme si l’on regardait une personne en train de courir.

Stripes & Stars (Confection Painting) - notez aussi l’ordre inversé des mots du titre -, rassemble plusieurs des centres d'intérêt et des points de départ de Paijmans. À première vue, on dirait des objets plagiés et «inutiles» mais peut-être s’agit-il plus encore de coïncidences et, surtout, d’une observation attentive. Lorsqu’on travaille par séries, on se ménage beaucoup plus de latitude pour de petites et de grandes différences. La répétition peut révéler beaucoup de choses, mais elle permet aussi d’occulter de nombreux éléments. Lorsque l’on voit dix-huit fois la même chose ou à peu près, on finit par ne plus remarquer les différences. L’accoutumance commence à produire ses effets, et il convient alors d’aiguiser de nouveau son regard.

Les vêtements de confection sont certes produits en masse, constate Paijmans, mais ils sont réalisés par des mains humaines: deux vêtements en apparence identiques présentent quand même, souvent, de petites différences presque invisibles. Il en va de même des peintures de confection. Il essaie simplement de reproduire son Stars & Stripes car cette œuvre lui avait tellement plu, et il tente de le faire le plus fidèlement possible. Mais comme il n’est pas un couturier professionnel, le hasard peut s’exprimer un peu plus. Ainsi, la main de l’artiste ne se manifeste plus dans une écriture picturale développée consciemment, mais au contraire dans les imperfections.

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