Partagez l'article

langue

La néerlandistique internationale, pour abolir la distinction entre locuteurs natifs et non natifs

Par Anne Sluijs, traduit par Olivier Vanwersch-Cot
30 août 2024 8 min. temps de lecture

L’Internationale Vereniging voor Neerlandistiek (IVN, Association internationale de néerlandistique), fondée en septembre 1970, a plus d’un demi-siècle. S’inspirant de l’ouvrage du néerlandiste Jaap Grave, Hoe het groeide (Comment elle a grandi), dans lequel il retrace l’histoire d’IVN, sa directrice actuelle, Anne Sluijs, nous fait part de ses réflexions sur le passé ainsi que l’avenir de l’association dont elle est devenue présidente au début de l’année 2023. «Mon ambition est de créer des liens encore plus forts entre la néerlandistique de l’intérieur et de l’extérieur de l’aire néerlandophone.»

Le livre de Jaap Grave De Internationale Vereniging voor Neerlandistiek. Hoe het groeide (L’Association internationale de néerlandistique. Comment elle a grandi) est paru en novembre 1922 dans la série Lage Landen Studies (Études des Plats Pays). La décision de me nommer en 2023 à la tête de l’IVN, à laquelle Graves avait consacré l’essentiel de son étude, a été rendue publique quelque temps plus tard. Je connaissais l’histoire récente de l’IVN, mais ce livre m’a offert un instrument incomparable pour me replonger dans un passé plus ancien et apprendre ce que mes prédécesseurs avaient accompli avant et après la fondation de l’association en 1970.

S’il est vrai que les développements sociaux et technologiques ont considérablement modifié le fonctionnement de l’association, il n’en reste pas moins que les opportunités et les défis sont demeurés plus ou moins inchangés après toutes ces années.

L’auteur du livre, qui est également membre de la rédaction des Lage Landen Studies, a travaillé comme enseignant ou enseignant invité aux universités de Ratisbonne, Freising, Passau, Leipzig, Berlin, Nagasaki, Münster, Jakarta, Padoue, Amsterdam, Leyde et Saint-Pétersbourg. Bien qu’il s’agisse d’une liste d’une longueur impressionnante pour une seule personne, elle ne comprend qu’un modeste échantillon des quelque cent quarante universités –réparties dans plus de quarante pays–, où le néerlandais est enseigné.

L’accroissement de la visibilité de la néerlandistique à l’intérieur et à l’extérieur de l’aire néerlandophone fait partie des missions de l’IVN; elle a gardé toute son actualité à en croire les réactions que je constate sur le terrain chaque fois que j’essaie d’expliquer en quoi consiste mon travail. Tout d’abord, peu nombreux sont mes interlocuteurs qui savent qu’il est possible d’étudier le néerlandais à l’étranger. Et surtout, tous sont surpris qu’il y ait des gens qui veuillent le faire.

Cette ignorance de l’intérêt et du potentiel de l’enseignement de la langue, de la culture et la littérature des Plats Pays a des conséquences dans tous les domaines. Elle est en particulier une des constantes de la politique aux Pays-Bas et en Flandre. On peut même dire que c’est cette négligence qui a incité le Flamand Walter Thys à fonder en 1961 la Werkcommissie, la Commission de travail ancêtre de l’IVN. Jusqu’alors, il n’existait en effet aucun organisme responsable de la néerlandistique à l’étranger: des subventions pouvaient être accordées au coup par coup à des instituts universitaires étrangers à l’initiative des ministères, mais il n’existait aucun inventaire des facultés et enseignants de néerlandais dans le monde, ni aucune politique cohérente pour les soutenir.

Lorsque j’explique en quoi consiste mon travail, peu nombreux sont mes interlocuteurs qui savent qu’il est possible d’étudier le néerlandais à l’étranger, et tous sont surpris qu’il y ait des gens qui veuillent le faire

Vers le milieu des années 1950, Thys commence à écrire aux néerlandistes actifs à l’étranger pour leur demander de l’informer de leurs activités. Il s’efforce de développer un réseau afin de créer ultérieurement une association. Plusieurs néerlandistes des universités néerlandophones et étrangères l’aident à réaliser son projet et la Nuffic (l’organisation néerlandaise pour l’internationalisation de l’enseignement) lui apporte son soutien.

En 1961, la Commission de travail voit le jour et organise sa première réunion: dix-huit néerlandistes participent cette année-là au Colloquium Neerlandicum, inaugurant ainsi une tradition qui se maintient jusqu’à aujourd’hui. La Commission démarre ensuite la publication du bulletin Neerlandica Extra Muros (NEM). Elle entretient des contacts étroits avec les ministères pour les informer des besoins de la néerlandistique à l’étranger. Le 7 septembre 1970, l’IVN est fondée sous son impulsion, et dotée de statuts et d’un conseil d’administration composé de néerlandistes actifs dans les Plats Pays et à l’étranger.

Un certain nombre de fils conducteurs courent à travers l’histoire de l’IVN telle qu’elle se dégage des lettres, e-mails, documents internes et publications qui en documentent le cours de 1970 à nos jours. Tout d’abord, sa relation tumultueuse avec la Taalunie (Union de la langue néerlandaise). À leurs débuts, la Commission et l’IVN ont toujours cherché à mettre en place une coopération structurelle entre les ministères flamands et néerlandais, et la néerlandistique étrangère.

Ces efforts ont fini par porter leurs fruits avec l’activation en 1972 de la Sous-commission néerlando-belge pour la néerlandistique à l’étranger (Nederlands-Belgische Subcommissie Neerlandistiek in het Buitenland), en qui Grave voit le précurseur de la Taalunie. L’existence de la nouvelle organisation est consacrée en 1980 par la signature du traité d’Union linguistique et les ministres décident quatre ans plus tard de lui transférer les compétences concernant la néerlandistique à l’étranger.

Grave explique que cette décision modifiait considérablement la donne pour L’IVN, qui avait jusqu’alors pu exercer son influence et déterminer les sujets à mettre à l’ordre du jour grâce aux contacts directs qu’elle entretenait avec les ministères. Cela a été le début des batailles pour savoir qui décide quoi. Grave montre d’autre part que l’attribution à la Taalunie de la gestion des financements de l’IVN –prérogative toujours valable aujourd’hui– a servi à plusieurs secrétaires généraux de moyen de pression pour influencer ou retreindre les activités de l’association.

À mesure que je progressais dans ma lecture, les causes des frictions m’apparaissaient plus clairement et je comprenais mieux les frustrations de mes prédécesseurs: plus ancienne que sa collègue, l’IVN avait effectué pour les ministères, souvent bénévolement, un travail de pionnier pour lequel ceux-ci ne lui témoignaient que peu de reconnaissance. D’autre part, l’IVN était –et est encore une association chargée de défendre les intérêts de ses membres en toute indépendance, ce qui implique souvent l’appréciation critique des activités de la Taalunie, dont elle dépend pour son financement.

Malgré ma compréhension pour les frustrations de mes prédécesseurs, j’ai eu plus de mal à m’intéresser à toutes les brouilles et inimitiés personnelles du passé –opposant parfois les responsables entre eux–, dont Grave fait un récit savoureux dans son livre. Le sentiment qui prédomine chez moi est qu’il faut tirer un trait sur les querelles d’ego, les batailles de préséance et les conflits du passé, et diriger notre énergie vers les gens pour qui nous faisons ce que nous faisons. Comme l’écrit très judicieusement Theo Janssen (président du conseil d’administration de 1991 à 1997) dans un mail à Grave, «il convient de garder à l’esprit que la néerlandistique extra muros n’est pas là pour l’IVN et/ou la Taalunie, mais que celles-ci sont là pour la néerlandistique extra muros.»

il faut tirer un trait sur les querelles d’ego, les batailles de préséance et les conflits du passé, et diriger notre énergie vers les gens pour qui nous faisons ce que nous faisons

Pour servir au mieux ces intérêts, Grave souligne l’importance d’améliorer la visibilité de l’IVN et de la néerlandistique internationale aux Pays-Bas et en Flandre. Il décrit dans le dernier chapitre la façon dont le conseil d’administration d’IVN s’est attaché à réaliser cet objectif sous la présidence de Henriette Louwerse (de 2015 à 2022) par la publication de rapports, l’établissement de contacts avec des responsables politiques et la multiplication des interventions dans les médias.

Durant le mois de la parution de ce livre, ces efforts ont trouvé un aboutissement avec l’adoption par la Seconde Chambre du parlement néerlandais d’un amendement prévoyant l’attribution à l’IVN d’un financement annuel d’un million d’euros destiné à soutenir son action en faveur de l’avenir de la néerlandistique. Au moment où j’écris ces lignes, nous élaborons un programme organisant la distribution de ces crédits supplémentaires aux enseignants et aux chercheurs. Le fait que ce travail puisse s’accomplir dans le cadre d’une concertation cordiale et respectueuse avec la Taalunie profite à tous les acteurs de la néerlandistique. Le conseil d’administration, présidé depuis 2022 par Wim Vandenbussche, continue de privilégier le renforcement de la visibilité et les contacts avec les responsables politiques.

Un des derniers fils conducteurs du livre concerne ce qui a été pour moi la raison principale de devenir directrice de l’IVN. Une des évolutions essentielles dans l’histoire de l’IVN décrite par Grave est l’effacement progressif de la distinction entre néerlandistique intra et extra muros, autrement dit entre la néerlandistique produite à l’intérieur et celle produite à l’extérieur de l’aire néerlandophone. S’il y a bien quelque chose que je souhaite reléguer dans le passé, c’est bien cette distinction.

Cette mutation s’est explicitement concrétisée par le changement de cap de la revue Neerlandica extra muros, qui est publiée sous le titre Internationale Neerlandistiek depuis 2008. Un intitulé neutre, une valorisation de la dimension internationale, une augmentation des contributions des locuteurs non natifs et un renforcement du statut scientifique. La démographie des conférenciers intervenant lors des colloques se modifie depuis de nombreuses années: celui de 2009 comprenait par exemple 57 exposés, dont 48 ont été prononcés par des néerlandistes extra muros, parmi lesquels 34 étaient locuteurs non natifs. Le contraste est grand avec la situation antérieure, où les membres de la néerlandistique «nationale» informaient leurs collègues étrangers de l’état des lieux de la discipline.

Aujourd’hui, les néerlandistes des Pays-Bas et de Flandre peuvent s’inspirer des productions progressistes, interdisciplinaires et transnationales d’une néerlandistique mondiale de haut niveau, implantée dans des instituts souvent plus grands que ceux des universités néerlandaises et flamandes. Et les échanges sont, fort heureusement, de plus en plus fréquents.

Pour nous retrouver, nous n’avons plus besoin, comme Thys dans les années cinquante, de poster une lettre en espérant recevoir une réponse des semaines, voire des mois plus tard. La crise du COVID a accéléré la numérisation en cours, dans la néerlandistique comme partout ailleurs: il me suffit d’appuyer sur un bouton pour entrer en contact vidéo avec Stockholm, Wrocław ou Jakarta, et je pourrais passer toutes mes journées à assister aux multiples événements et conférences en ligne organisés par différents départements de néerlandais.

Mon objectif en tant que directrice de l’IVN est de créer, ensemble, des liens encore plus solides entre la néerlandistique intra et extra muros. L’avenir proche tel que je le vois est celui d’une discipline unifiée et partagée sous le nom de néerlandistique internationale. Nous avons plus que jamais besoin les uns des autres pour l’épanouissement, le maintien et la visibilité de notre discipline. Nous poursuivrons ainsi l’immense travail accompli par nos prédécesseurs pour développer cette association, et rassembler les néerlandistes du monde entier, comme Grave l’a décrit avec admiration dans son livre.

Anne Sluijs 2

Anne Sluijs

directrice de l’Internationale Vereniging voor Neerlandistiek (IVN, Association internationale de néerlandistique)

Laisser un commentaire

Lisez aussi

		WP_Hook Object
(
    [callbacks] => Array
        (
            [10] => Array
                (
                    [0000000000000bde0000000000000000ywgc_custom_cart_product_image] => Array
                        (
                            [function] => Array
                                (
                                    [0] => YITH_YWGC_Cart_Checkout_Premium Object
                                        (
                                        )

                                    [1] => ywgc_custom_cart_product_image
                                )

                            [accepted_args] => 2
                        )

                    [spq_custom_data_cart_thumbnail] => Array
                        (
                            [function] => spq_custom_data_cart_thumbnail
                            [accepted_args] => 4
                        )

                )

        )

    [priorities:protected] => Array
        (
            [0] => 10
        )

    [iterations:WP_Hook:private] => Array
        (
        )

    [current_priority:WP_Hook:private] => Array
        (
        )

    [nesting_level:WP_Hook:private] => 0
    [doing_action:WP_Hook:private] => 
)