La noblesse dans les Plats Pays ne rime plus forcément avec château et fortune
La Belgique et les Pays-Bas comptent ensemble quelque 46 000 nobles. Pour beaucoup, ces aristocrates évoquent encore l’image de gens fortunés et quelque peu déconnectés de la réalité, qui habitent de splendides châteaux entourés de vastes domaines et passent le plus clair de leur temps à ne rien faire. Pourtant, l’époque où les nobles pouvaient vivre de leurs rentes ou du produit de leurs terres est bel et bien révolue. Par la force des choses, leur standing a dû être revu à la baisse. Il n’empêche que bon nombre d’entre eux persistent à mener un train de «grand seigneur». Portrait intrigant de la noblesse dans les Plats Pays.
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Dès leur plus jeune âge, les nobles doivent se conformer à une multitude de traditions. Tout bon aristocrate s’efforce d’observer en toutes circonstances les «dix commandements» attachés à son rang: honneur et loyauté, dévouement au souverain, à la patrie et au prochain, bravoure et esprit de sacrifice, respect envers le sacré, bienfaisance, courtoisie, solidarité familiale et simplicité dans les rapports sociaux. Le non-initié esquissera peut-être un sourire de dédain à l’énumération de ce code d’honneur, résumé en la formule «Noblesse oblige» par le duc Pierre-Marc-Gaston de Lévis en 1808; mais pour tout noble qui se respecte, il ne s’agit aucunement d’idées anachroniques. Aussi désuets qu’ils puissent paraître, les us et coutumes de la noblesse restent bien vivaces.
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«S’il est une chose que la vieille noblesse abhorre, c’est bien la vulgarité, souligne le vicomte Yves de Jonghe d’Ardoye. En règle générale, nous vivons très simplement. La noblesse doit faire montre de modestie. Seule compte la richesse du cœur. Un titre de noblesse constitue une sorte de sauf-conduit international. C’est un peu comme une carte de crédit que l’on peut utiliser dans le monde entier. L’appartenance à l’aristocratie ne procure pas de véritables avantages matériels, mais permet de se constituer un réseau d’amis et de relations sur lequel on peut compter en tout temps. Comme chez les francs-maçons ou dans la maffia.»
Pour Nathalie van de Werve de Vosselaer, médecin généraliste, la noblesse est avant tout un état d’esprit. «Ce n’est plus du tout synonyme de pouvoir ou de grosse fortune assortie de domaines, terres et châteaux.» Le prince Charles-Louis de Merode, chevalier de la Toison d’or et éditeur du Carnet mondain, relativise également sa position sociale. «J’ai hérité mon titre de mes ancêtres et je le transmets à mes enfants. Personnellement, je suis d’avis que la méritocratie, le fait de réussir dans la vie grâce à ses talents ou mérites, prime sur l’aristocratie.»
De prince à écuyer
Les quelque 35 000 nobles belges sont répartis entre 1 200 familles environ. Leurs données personnelles, adresses et liens de parenté figurent en détail dans le Carnet mondain et le Highlife de Belgique, les deux bibles de la haute société en Belgique.
Comte Baudouin de Bousies de Borluut: Nous ne nous croyons pas meilleurs que les autres, mais nous nous employons à l’être
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La noblesse belge se divise en trois catégories: les aristocrates de l’Ancien Régime (environ 30 %), les nobles qui doivent leur titre au roi Guillaume Iᵉʳ des Pays-Bas et les personnes anoblies par les sept monarques qui se sont succédé sur le trône de Belgique. Dans l’ordre hiérarchique, les membres de la haute noblesse -princes (9), ducs (5) et marquis (5)- arrivent en tête, suivis par les représentants de la petite noblesse -comtes (une centaine), vicomtes (450), barons et chevaliers (plusieurs centaines). Quelque 400 familles nobles ne possèdent pas de titre, mis à part pour certaines une mention comme écuyer. Étant donné que le titre nobiliaire fait partie de l’identité de la personne, il doit être mentionné sur tous les documents officiels.
La frontière entre haute et petite noblesse s’est largement estompée; de nos jours, l’ancienneté a plus de poids que le titre. Quoi qu’il en soit, les nobles se plaisent à passer auprès du monde extérieur pour des citoyens ordinaires. Pourtant, certains d’entre eux adoptent une conduite qui trahit leur conviction profondément ancrée d’être de loin supérieurs au commun des mortels. «Correction», rétorque le comte Baudouin de Bousies de Borluut, dont l’arbre généalogique remonte au XIe siècle. «Nous ne nous croyons pas meilleurs que les autres, mais nous nous employons à l’être. C’est ce que l’on nous inculque dès le berceau.» Pourtant, les personnes bien nées oublient parfois leur obligation de transcender le vulgum pecus, comme l’a prouvé encore dernièrement le meurtre de la baronne Myriam Ullens de Schooten par son beau-fils Nicolas Ullens de Schooten Whettnall.
«Après les champs de bataille, la récompense»
Outre le mariage avec un noble («noblesse par alliance»), il existe trois voies pour entrer dans la noblesse. La première est de demander la reconnaissance d’un titre existant, comme l’a fait le chevalier Jean Breydel de Groeninghe. La seconde, empruntée par le prince de Bohême Stéphane de Lobkowicz, consiste à introduire une requête d’admission en tant que membre de la noblesse étrangère. La troisième et dernière possibilité est l’anoblissement par le roi en raison de mérites exceptionnels, ce qui est le cas le plus fréquent.
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Avec l’Espagne et la Grande-Bretagne, la Belgique compte parmi les derniers pays européens où le chef d’État exerce sa prérogative d’accorder des faveurs nobiliaires. Chaque année, à la veille de la fête nationale, le Moniteur belge publie les noms d’une douzaine de Belges qui seront autorisés à porter un titre nobiliaire par la grâce du souverain. Au départ, le roi décidait seul des personnes à anoblir; depuis le 31 janvier 1978, il accorde des titres sur proposition d’une commission d’avis, qui se réunit une fois par mois pour passer au crible les candidats. Dans le cas de l’écrivaine Monique (dite Monika) Maria, baronne van Paemel, le travail de vérification dut être quelque peu bâclé. En effet, c’est seulement après l’octroi du titre que les conseillers royaux se rendirent compte que l’autrice avait posé nue pour la couverture de l’un de ses livres -«dans une posture indigne d’une baronne».
Les nouveaux nobles sont pour la plupart faits barons ou chevaliers. Pour les femmes, le titre le plus bas est celui de baronne. Si la concession du titre est personnelle, et donc non héréditaire, les descendants sont bel et bien nobles. Ainsi, les enfants d’Eddy Merckx (qui a choisi pour devise «Après les champs de bataille, la récompense»), Axel et Sabrina, ne sont pas baron et baronne, mais ont le droit de porter le prédicat d’écuyer ou de jonkvrouw
(non existant en français).
Caviar et hamburger
Chaque année, l’Association de la noblesse du royaume de Belgique (ANRB) organise une réception en vue de favoriser les relations amicales entre membres de l’ancienne et de la nouvelle noblesse. Si cette initiative est louable, elle ne parvient cependant pas à faire tomber toutes les barrières. Certains aristocrates de la vieille école ne cachent pas leur mécontentement devant l’inflation des titres nobiliaires. «La différence entre l’ancienne et la nouvelle noblesse est la même qu’entre le caviar et un hamburger», soupire l’un d’eux. «Quand on voit les personnes à qui l’on confère un titre, on doute parfois que la cour ait été correctement informée à leur sujet.»
Bien sûr, on y trouve aussi des figures éminentes qui méritent d’intégrer l’élite du pays. À vrai dire, elles en font déjà partie, avec ou sans titre. Les candidats à l’anoblissement devraient passer un examen sur la manière dont ils entendent mettre en pratique notre code d’honneur. Cela exclurait certains individus dont les Italiens disent: E veramente duce, ma non cavaliere (il est certes duc, mais pas gentilhomme). Ou pour reprendre la formule d’Edmund Burke: «Le roi fait des nobles, et non des gentlemen».
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Aristocratie et dynastie
Bien que les exceptions se multiplient, la noblesse belge reste dans sa grande majorité conservatrice, catholique, royaliste, patriotique et, dans certains cas, fanatiquement francophone.
Le royalisme de la noblesse est une donnée historique en Belgique. Aristocratie et dynastie sont des alliés traditionnels et le monarque est le premier noble du pays. Jadis, les membres de la haute noblesse étaient reçus séparément dans le Salon bleu du palais.
la noblesse belge reste dans sa grande majorité conservatrice, catholique, royaliste, patriotique et, dans certains cas, fanatiquement francophone
Ce vif attachement au souverain et à la patrie se traduit depuis toujours par des carrières dans l’armée, à la cour, dans la diplomatie, la magistrature ou la politique. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, la noblesse a exercé une grande influence sur la politique belge et la vie mondaine. De nombreuses familles étaient représentées à la chambre et au sénat ou donnaient des ambassadeurs, présidents, ministres, clercs, grands maréchaux et autres dignitaires de la cour, généraux, officiers, bourgmestres… Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas.
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Pauvres hères dans un château
Depuis des siècles, la noblesse est associée à l’opulence et à la vie de château. Feu le comte Michel d’Ursel avait coutume de dire en soupirant: «De nombreux préjugés circulent à notre sujet. Rien qu’à entendre votre nom ou titre, les gens pensent que vous êtes un cousin du roi, car c’est aussi un noble, non? Or, un château n’est pas signe de richesse, mais d’indigence. Ce sont de pauvres hères qui vivent dans les châteaux. Leur entretien coûte une fortune!»
En Flandre, on dénombre une cinquantaine de châteaux privés, en Wallonie une soixantaine. Aujourd’hui, la vie de château est l’apanage de personnes possédant plus d’argent que de quartiers de noblesse. Seule une poignée de nobles (comme les princes Michel de Ligne, Charles de Chimay et Simon de Merode ou le comte Juan T’ Kint de Roodenbeke) vivent encore sur leur domaine doté d’un château ancestral. Pour en financer l’entretien, ils sont parfois contraints de le louer comme lieu de réception pour mariages, salle de concert ou plateau de tournage, ou de l’ouvrir au public -une condition préalable à l’obtention de subventions.
Des oasis de civilisation
Qu’ils habitent un château ou une maison mitoyenne, les nobles se distinguent souvent par leur mode de vie. Les aristocrates belges se réunissent au sein d’associations huppées telles que le Cercle royal du parc ou le Cercle royal gaulois artistique et littéraire.
Les nobles apprécient les objets qui reflètent la tradition et font contrepoids à la fugacité de l’existence. C’est pourquoi ils aiment s’entourer d’antiquités, de meubles hérités et de bibelots précieux. Mieux vaut un divan Louis XVI vermoulu et défoncé qu’un canapé neuf acheté chez Ikea.
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Les nobles sont tenus de s’adonner aux œuvres de bienfaisance. Bon nombre d’entre eux entrent au service d’organismes religieux à vocation caritative tels que l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte. Chaque année, ils accompagnent des personnes malades ou handicapées lors de voyages en train à Lourdes. Tous les médecins, infirmières et aides-soignants font partie de la noblesse, qui prend en charge l’intégralité des frais de voyage, de logement et de nourriture. Mais cette activité caritative ne se limite pas aux pèlerinages à Lourdes. Chaque week-end, les chevaliers rendent visite à des personnes âgées dans des maisons de retraite et organisent des séjours à la mer ou dans les Ardennes pour des familles défavorisées.
Ce devoir de charité s’étend également aux pairs dans le besoin. L’Association de la noblesse du royaume de Belgique est un cercle d’amis regroupant quelque 12 000 nobles belges. Elle a vu le jour en 1937, en pleine période de crise, alors que plusieurs familles nobles devaient trouver des liquidités pour payer leurs dettes ou assurer leur subsistance. Au fil des ans, un fonds a été constitué grâce aux cotisations de membres fortunés, à des dons et aux recettes provenant de rallyes, fêtes, bals, dîners ou tournois.
Citons l’exemple du Rallye des châteaux, organisé chaque année en Flandre-Orientale. Sa dernière édition a eu lieu le dimanche 14 mai et l’ensemble des recettes est allé à SOLIDARITAS, le service d’entraide de l’ANRB, qui octroie des bourses d’études et prête assistance aux personnes en difficulté. Qui plus est, la plupart des familles nobles disposent de leur propre fonds de solidarité qui intervient en cas de frais médicaux élevés ou d’études coûteuses. Non sans fierté, l’ANRB mentionne que plus de 10% de ses membres sont titulaires d’un diplôme universitaire.
Prospection du marché matrimonial
Les soirées de rallye constituent un phénomène typique de la noblesse. Pendant les mois d’avril et de mai, les mères de filles nobles en âge de se marier se réunissent, armées du Highlife de Belgique, pour organiser le rallye de l’été et de l’automne. Une fois par mois, le vendredi ou le samedi soir, ces mères organisent à tour de rôle un dîner dansant auquel participent, selon la renommée de l’hôtesse, entre cent et trois cents jeunes, qui paient pour pouvoir prospecter le marché matrimonial. Il n’est pas rare que le public soit international, de nombreux nobles européens étant affiliés à la CILANE ou Commission d’information et de liaison des associations nobles d’Europe. Basée à Paris, elle regroupe seize associations de nobles.
S’il n’est plus obligatoire d’épouser une personne de son rang, ces unions continuent à avoir la préférence. «Un joli proverbe français justifie ces mariages entre nobles, indique le vicomte René de la Faille de Waerloos. “Il faut se marier à sa porte avec quelqu’un de sa sorte”. Le mariage n’est pas une institution facile. Il a plus de chances de réussir lorsque les conjoints ont reçu une éducation analogue, défendent les mêmes principes et sont habitués à un même train de vie.» D’autre part, ce qui était impensable autrefois a cessé depuis longtemps d’être une pomme de discorde. Le concubinage, le divorce et le remariage se rencontrent aussi dans les milieux aristocratiques, sans que cela entraîne automatiquement l’expulsion du clan.
Le travail ennoblit et le noble travaille
Pendant des siècles, l’aristocratie a professé son attachement au système féodal, qui divisait la société en classes priante, combattante et ouvrière. Pour un grand seigneur, le travail était tabou. Néanmoins, la plupart des familles nobles ont vu leurs possessions s’amenuiser au cours des derniers siècles et la bourgeoisie les dépasser en prospérité. Aujourd’hui, les nobles exercent des professions très diverses, allant de l’agriculteur au banquier. Le travail ennoblit et le noble travaille. Si les aristocrates sont présents dans tous les secteurs d’activité, le monde des affaires reste leur domaine privilégié. Ils se voient souvent confier des fonctions à haute responsabilité, qu’ils exercent avec compétence en faisant bon usage de leur réseau international, comme c’est le cas notamment du vicomte Étienne Davignon.
En Belgique, seulement 11% des cinq cents familles les plus riches répertoriées sur le site web derijkstebelgen.be (uniquement en néerlandais) appartiennent à la noblesse. Néanmoins, elles détiennent 56% de la fortune totale correspondant à ce classement. Les actionnaires du géant brassicole AB Inbev pèsent lourd dans la balance. Il s’agit des familles de Mévius et de Spoelberch, qui contrôlent la brasserie Stella Artois de Louvain, et de la famille Van Damme, actionnaire historique de la brasserie Piedboeuf
à Jupille-sur-Meuse. Les deux entreprises ont fusionné en 1988 pour former Interbrew, devenu entre-temps AB Inbev. Comme la plupart des familles richissimes, elles ont depuis lors diversifié leurs actifs en investissant dans d’autres secteurs économiques. Le Belge le plus riche, Eric Wittouck, est un descendant des Sept lignages de Bruxelles. Ancien propriétaire de la Raffinerie tirlemontoise, il détenait jusqu’il y a peu Weight Watchers
et possède une fortune personnelle de 10,8 milliards d’euros.
Nouveaux et anciens riches
Si la noblesse des Pays-Bas est historiquement très liée à celle de Belgique, les deux ont toutefois emprunté des voies distinctes depuis la seconde moitié du XIXe
siècle. Aux Pays-Bas, on dénombre quelque 11 000 nobles sur une population de 17,6 millions d’habitants, tandis que notre pays en compte plus du triple: 35 000 pour 11 millions d’habitants. Ce nombre élevé s’explique essentiellement par l’injection annuelle de «sang bleu» en Belgique, tandis qu’aucune personne méritante n’a été anoblie aux Pays-Bas depuis 1948, à l’exception de membres de la famille royale.
Sur les quelque 11 000 nobles néerlandais, plus de 1 500 sont membres de la Nederlandse Adelsvereniging (NAV- Association de la noblesse néerlandaise), fondée en 1899. Depuis 1991, les nobles âgés de 18 à 35 ans peuvent s’affilier à la Vereniging van Jongeren van Adel in Nederland (VJAN – Association des jeunes nobles des Pays-Bas). La NAV est la seule association dont tous les nobles néerlandais peuvent faire partie, «indépendamment de leur religion, sexe ou aisance financière». Outre l’organisation de rencontres informelles, événements ou séminaires et le maintien de contacts avec d’autres associations nobles en Europe, son principal objectif est de «procurer une aide financière aux membres en difficulté». Une sorte de syndicat, en somme. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, les milieux aristocratiques comptent aussi en leur sein des personnes qui doivent se contenter du minimum vital.
Splendeur passée
Toutes les familles nobles des Pays-Bas sont répertoriées dans le Nederland’s Adelsboek (Annuaire de la noblesse néerlandaise), communément appelé le rode boekje
(petit livre rouge).
Alors que la Belgique fourmille de princes, ducs et marquis, les Pays-Bas n’ont pratiquement pas de princes, à l’exception de ceux de la maison royale et des enfants de la princesse Irène et du prince Charles-Hugues de Bourbon-Parme. Ceux-ci ont été admis dans la noblesse en 1996 avec le titre de prince(sse) de Bourbon de Parme et avec le prédicat honorifique d’Altesse royale.
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Les marquis, ducs et burgraves sont très rares. La noblesse néerlandaise a connu son heure de gloire sous le roi Guillaume Iᵉʳ, qui distribuait les titres à tour de bras. En 1848, la condition nobiliaire a été abolie, la Couronne jugeant que les privilèges hérités appartenaient au passé. Le seul privilège légal conservé par la noblesse est celui de porter un prédicat ou titre. Quinze familles ont gardé le titre de comte. En outre, plusieurs dynasties comtales appartiennent à la noblesse de Belgique ou d’Allemagne, comme les de Limburg Stirum, de Norman d’Audenhove, de Riquet de Caraman Chimay et de Preud’homme d’Hailly de Nieuport. Le titre de baron est encore porté par 92 familles, celui de chevalier par sept seulement. La plupart des membres de la noblesse néerlandaise n’ont pas de titre, mais ont droit au prédicat jonkheer/jonkvrouw(e). Les roturiers qui épousent un membre de la famille royale sont parfois anoblis. Le mari de la princesse Margriet, Pieter van Vollenhoven, n’a pas reçu de titre de noblesse. En revanche, les femmes des princes, toutes roturières, ont été anoblies.
Dernier bastion de la bienséance et du savoir-vivre
La noblesse des Pays-Bas a ses bals, comme le Wiener Ball ou le Diplomatenbal, et ses clubs réservés à la jeune élite (Minerva), mais ceux-ci n’ont pas le caractère exclusif si cher à l’aristocratie belge. «La noblesse aux Pays-Bas n’a jamais versé dans l’excès ou l’ostentation», souligne Ileen Montijn, autrice de Hoog geboren: 250 jaar adellijk leven in Nederland (Les Bien Nés: 250 ans de vie nobiliaire aux Pays-Bas). «La Deuxième Guerre mondiale a été suivie par une période de “grande occultation”. Dans les années 1960 et 1970, le titre de noblesse est pratiquement devenu quelque chose d’inavouable, un signe distinctif qui n’avait plus sa place dans une société démocratique. Mieux valait ne pas en faire usage à l’époque. La famille royale a également pris ses distances avec la noblesse. Après s’être terrés pendant des décennies, les aristocrates néerlandais ont aujourd’hui retrouvé leur estime de soi. Ils ont surmonté leur honte, surtout depuis les années 1980.»
«Si la noblesse est restée foncièrement royaliste, ajoute Ileen Montijn, les liens avec la Couronne se sont relâchés au cours des dernières décennies. Plus d’un s’étonne que la famille royale s’appuie si peu sur le dévouement inconditionnel de la noblesse. C’est la prudence qui dicte en partie la conduite de la maison d’Orange-Nassau: ses membres veulent passer pour des gens ordinaires aux yeux du peuple. Aucun prince n’a souhaité épouser une freule (demoiselle noble) ou une baronne. Mais si le mariage entre nobles resta pratiquement obligatoire pendant des siècles, il ne l’est plus depuis belle lurette. Tant les princes que la noblesse évoluent avec leur temps.»
Autre signe des temps: comme leurs homologues belges, les rares nobles néerlandais qui possèdent encore un château familial ne peuvent le maintenir en état qu’au prix d’immenses sacrifices et d’un grand investissement personnel, auxquels s’ajoute l’exploitation commerciale de leurs domaines (réceptions, dîners, visites…). Bien que la représentation de la noblesse ait nettement diminué parmi les bourgmestres, députés, dignitaires de cour et ministres, un nombre assez élevé d’aristocrates continuent à jouer un rôle important dans l’administration et dans le monde des affaires.
Aujourd’hui, la noblesse néerlandaise est surtout considérée comme le dernier bastion de la bienséance et du savoir-vivre dans une société de plus en plus déshumanisée. L’image de la noblesse se situe dans la zone grise entre objectivité et perception. Ceux qui associent l’aristocratie avec la noblesse de caractère trouveront sans peine des exemples les confortant dans leur opinion et taxeront tous les autres cas d’exceptions. La baronne néerlandaise Floor van Dedem explique ce phénomène à l’aide d’une comparaison parlante: «Lorsque je porte des perles achetées chez un droguiste, tout le monde pense qu’elles sont vraies. Mais si celles-ci ornaient le cou de ma voisine, on les tiendrait aussitôt pour fausses. C’est comme ça.»