Voyage extratemporel en Flandre avec «La Petite Brueghel» d’Annie Degroote
Dans son dernier roman publié en mai 2023, La Petite Brueghel, Annie Degroote met en lumière un haut lieu de la culture flamande: le musée de Flandre à Cassel. L’écrivaine ne s’arrête pas pour autant aux murs de cette institution culturelle; elle traverse les frontières du temps et de l’espace et nous entraîne au nord, dans la ronde de ses personnages.
À la manière d’un Emile Zola qui, dans son roman L’Œuvre, nous donnait à voir un tableau impressionniste, Annie Degroote invente un tableau bruegélien dans son roman La Petite Brueghel. Elle transforme sa plume d’écrivaine en palette de peintre par la magie de la littérature, nous permettant ainsi d’intégrer un nouveau tableau dans notre musée intérieur, imaginaire et personnel.
On entre toujours dans un livre d’Annie Degroote pour y retrouver la Flandre, comme un repère commun à cette nordiste et à ses lecteurs. On entre dans La Petite Brueghel comme on entre dans un musée et on en ressort avec l’envie de retourner dans les musées de Flandre, de redécouvrir les peintres flamands et leurs paysages. Parmi ces musées, il y a celui de Cassel d’abord, qui donne son cadre au roman, mais aussi ceux d’Anvers, de Bruxelles… La fréquentation des œuvres de la famille Brueghel au fil des pages nous laisse avec l’envie de confronter les tableaux réels au chef-d’œuvre rêvé dans l’espace de la fiction.
Cette démarche de création littéraire et visuelle n’est pas sans rappeler les tableaux fantômes, «visibles» à leur manière au musée Benoit de Puydt de Bailleul. Perdus pendant la Première Guerre mondiale, ces tableaux n’existent plus que par les mots du conservateur, Édouard Swynghedauw, qui a pris soin d’en fixer l’image par une description précise. Il en offre un reflet spectral et c’est déjà très beau. D’autant plus beau et vivant que des artistes contemporains redonnent vie et couleurs à ces fantômes. Une démarche artistique mêlant mots et arts visuels qui vaut la peine d’être découverte.
Faire vivre Cassel
Par sa fiction féminine et joyeuse, Annie Degroote entend redonner vie aux femmes artistes invisibilisées par l’Histoire. Avançant à la manière d’un roman policier, La Petite Brueghel s’ouvre sur l’annonce d’un vol d’œuvre au musée. Or aucune œuvre n’a été volée. Au contraire, un tableau est apparu, dont on ne sait rien. Sans dévoiler trop de l’intrigue et du dénouement, nous dirons seulement que l’enquête menée par Audrey, une historienne de l’art, sera plus artistique que policière.
Annie Degroote s’attache à jalonner ce récit aux allures de polar d’informations historiques, toponymiques et paysagères pour donner à voir et à vivre la terre de Flandre. De Lille à Cassel, les lieux sont décrits avec goût: les couleurs, les musiques, les odeurs, les légendes et l’histoire se répondent.
Derrière la trame classique du roman, l’autrice a habilement placé une publicité vivante pour Cassel. C’est le contrat et il est rempli. Les tableaux imaginaires prennent vie. On y entend la cornemuse et on entrerait volontiers dans la danse, comme on peut effectivement le faire le dernier week-end du mois d’août dans la joie du festival Cassel Cornemuses.
De l’histoire à l’architecture, de l’art aux paysages, de la cuisine à la musique, c’est un tableau vivant qui s’anime sous nos yeux. Le voyage extraordinaire qui s’ouvre alors nous fait traverser le temps et l’espace jusqu’à Anvers et son «château», le Steen. Nous allons aussi à Bruxelles et nous aventurons plus loin, jusqu’aux montagnes majestueuses d’Italie.
Annie Degroote sait s’amuser (et nous avec!) d’anecdotes rafraichissantes comme lorsqu’elle nous rappelle l’explication toponymique de la ville d’Anvers, Antwerpen, «la main coupée». Tout cela n’est pas bien sérieux mais fait partie de l’histoire de la Flandre et inscrit le roman dans une tradition riante.
D’autres institutions culturelles du nord à découvrir
Si cette incursion originale dans les œuvres du musée de Flandre vous plait, sachez que La Petite Brueghel s’inscrit dans une collection proposée par le Département du Nord. Celle-ci a pour but de mettre en lumière les institutions culturelles départementales. Il est donc possible de renouveler l’aventure littéraire avec l’un des huit autres romans de la collection: le Musverre, le musée Matisse, la maison natale de Charles de Gaulle, les Archives départementales du nord, le Forum départemental des Sciences, la Médiathèque départementale du nord, l’abbaye de Vaucelles, le Forum romain de Bavay et la villa Marguerite Yourcenar. Nous n’avons donc pas fini de découvrir le nord autrement. Après la visite par le biais des mots, ces lieux se découvriront avec d’autant plus de plaisir dans leur réalité tangible.