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littérature

La poésie du monde de Laurence Aëgerter

28 août 2020 5 min. temps de lecture Chronique parisienne

De la photographie document au plongeon dans les eaux méditerranéennes, l’artiste franco-néerlandaise Laurence Aëgerter nous fait évoluer de Marseille à Amsterdam. Une exposition au Petit Palais, sa résidence à Sèvres et sa présence dans le cadre du salon Art Paris virtuel dessinent une itinérance à travers la nostalgie du passé et les méandres du présent.

Née en 1972 à Marseille de parents antiquaires, Laurence Aëgerter décrit comme une seconde nature les Pays-Bas qui sont depuis 1993 son pays d’adoption. Après avoir passé son enfance et l’essentiel de sa jeunesse à Marseille, les trésors de ses jeunes années continuent de hanter les replis de sa nostalgie. Historienne de l’art de formation, Laurence Aëgerter poursuit ses études à l’université d’Aix-en-Provence où elle se passionne pour la peinture hollandaise à laquelle elle consacre un mémoire. C’est sa «fascination» pour l’art septentrional qui la décide à se confronter à l’épreuve du réel. En stage au Rijksmuseum, elle termine ses études d’histoire de l’art à l’Universiteit Amsterdam, avec une étude dédiée au trompe-l’œil chez les peintres du Nord au XVIIe
siècle. Elle s’y convertit de manière décisive aux arts visuels en entrant à la Gerrit Rietveld Academie. Le septentrion entrait dans son art et n’allait plus quitter sa vie.

Son itinérance dans les collections du Petit Palais

«Mes œuvres, souligne l’artiste, trouvent souvent leur origine dans l’histoire de l’art en général et la peinture hollandaise en particulier». On songe à sa série Compositions catalytiques (2018) qu’elle conçoit à partir des collections du Centraal Museum à Utrecht, grâce au concours du Altrech ABC, mécène de jeunes souffrant de troubles psychologiques.

Quelques-uns de ceux-là seront invités à exprimer leurs émotions face à certaines peintures du Centraal Museum à Utrecht. Ce sera le terreau de la série de 2018 prolongée à Paris à la faveur de la carte blanche que lui propose le Petit Palais. Laurence Aëgerter y dialogue avec un paysage de Van Ruisdael, un Metsys et une nature morte de Willem Heda conservés dans les collections de l’institution parisienne. Elle en décline des rêveries poétiques et visuelles avec le génie des correspondances, son mode opératoire de prédilection.

L’alchimie inventive des techniques

Pour le Petit Palais, Laurence Aëgerter réalise aussi un collage inspiré d’une tapisserie dont elle apprend par hasard qu’elle a été tissée aux Pays-Bas, et de surcroît dans un atelier d’Amsterdam.

Dédiée à une allégorie des quatre parties du monde, la tenture se métamorphose «en un monde qui, déplore l’artiste, court à sa perte provoquée par des jeux et enjeux de pouvoir». Soucieuse de toujours tisser des liens entre la tradition et en l’occurrence les dernières technologies, notre Pénélope recourt à des fils issus de bouteilles en plastique recyclées, selon un processus élaboré par le Textillab, laboratoire de recherche du musée du Textile à Tilburg. La ville riche d’une histoire liée au textile perpétue sa tradition au gré de commandes passées par des artistes. Le Textillab avait déjà produit une vingtaine de tapisseries pour Laurence Aëgerter dont Soleil couchant également exposé au Petit Palais avec son œuvre inspiratrice Soleil couchant sur la Seine à Lavacourt, effet d’hiver de Claude Monet. Elle en admirait le soleil décuplé «tel un ricochet». Pour cette «utopie extatique» ainsi qu’elle la perçoit, la technique de la tapisserie s’imposait pour restituer la sensualité visuelle et tactile de la peinture impressionniste. Elle rendait de nouveau hommage à Claude Monet après sa série des Cathédrales (2014).

L’alchimie des rencontres

Le parcours n’exclut aucun département saupoudré par sa présence en écho à telle peinture de Kees van Dongen, ou à une icône à l’effigie de la tête de saint Jean-Baptiste pour Salomé, sculpture en verre issue du centre international d’Art verrier (CIAV) à Meisenthal en Lorraine, sans oublier quelques sculptures qu’elle a drapées. Elle ne cesse de perpétuer cet aller-retour continu entre passé et actualité comme dans ses «paysages blessés» (Healing Plants for Hurt Landscapes, 2015), série réalisée à l’invitation de la ville de Leeuwarden.

Les photographies empruntées à l’histoire proche et lointaine comme la destruction de Rotterdam, Hiroshima ou plus récemment Fukushima, évoquent des catastrophes naturelles et autres tragédies de l’histoire de l’humanité durant ces cent dernières années. Elle pose sur ces images souvent brutales de délicates plantes du jardin médicinal de l’abbaye de Saint-Gall. Le hasard, prétend l’artiste, a présidé à ces associations, par exemple du cannabis sur la photographie de Fukushima submergée par les eaux, ou de l’immortelle d’Italie (Helichrysum italicum) rouge et jaune qui paradoxalement recouvre l’explosion mortelle de Nagasaki. Les fragments de réalité cohabitent avec la fragilité de ces plantes vertueuses. Laurence Aëgerter réinvente le langage des fleurs au travers de ses confrontations qui ne sont hétérogènes qu’en apparence. Dans cet univers des possibles, l’art et la nature sont invoqués comme des divinités pour panser les blessures du monde.

Repenser les techniques

Dans son exploration permanente des médias, Laurence Aëgerter se voit offrir la magnifique opportunité d’une résidence à la manufacture de Sèvres.

Pour son projet qui sera révélé cet automne, l’artiste choisit le processus rare de la lithophanie qui consiste à graver et mouler une scène en porcelaine.

L’image n’apparaît que lorsqu’elle est rétro-éclairée par une lumière qui, selon son intensité, en modifie le relief. Véritable prouesse, cette lithophanie a été exécutée sur une fine plaque de porcelaine d’un mètre de haut, dimension exceptionnelle puisque les lithophanies sont toujours de petites dimensions.

Laurence Aëgerter aime et sait surprendre. Ainsi en est-il de Longo Maï (2013), série de quatre
tapisseries Jacquard commandées par le musée Borély de Marseille.

Elle y renoue avec les sensations de l’enfance et le thème de la mer qui a cerné son enfance comme sa ville natale. Des fils phosphorescents captent la lumière chaude à laquelle on identifie les paysages méditerranéens mais auxquels elle préfère la profondeur des fonds marins tapissés de coraux.

Tout est d’un bleu profond et pourtant il s’agit bien des verts paradis de l’enfance dont, comme le titre en provençal l’indique, on souhaiterait que la joie demeure.

À voir / à lire
Art Paris, galerie Binôme, Paris, du 9 au 13 septembre.
Ici mieux qu’en face, carte blanche du musée du Petit Palais, du 6 octobre au 17 janvier 2021 / Ici mieux qu’en face monographie, Actes Sud, Arles, automne 2020.
Paris Photo, galerie Binome, Paris, du 12 au 15 novembre.
Geneviève-Nevejan

Geneviève Nevejan

critique d'art

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