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La protection des langues régionales en France: quelle place pour le néerlandais et le flamand?
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La protection des langues régionales en France: quelle place pour le néerlandais et le flamand?

Début avril, l’Assemblée nationale a voté de façon inattendue une loi pour la protection et la promotion des langues régionales en France. Quelle est la portée réelle de ladite loi Molac et quelles en sont les implications pour le néerlandais et le flamand occidental dans le Nord de la France? Henri Vaassen a mené l’enquête.

La loi Molac

Le 8 avril 2021, deux tiers des députés ont approuvé à l’Assemblée nationale une loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion. Les langues régionales retenues sont d’abord des langues parlées dans les territoires français d’outre-mer: le créole, le tahitien, le wallisien, le futunien et les langues mélanésiennes (drehu, nengone, païci, aïje parlés en Nouvelle-Calédonie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée), des anciennes colonies françaises ayant depuis acquis le statut de départements français. Dans l’Hexagone, il s’agit du basque, du breton, du catalan, du corse, du gallo, de l’occitan-langue d’oc et des langues d’Alsace et des pays mosellans.

En conséquence, les signes diacritiques des langues régionales sont autorisés dans les actes d’état civil. On se souvient de ce père breton qui s’était vu interdire l’inscription de son fils à l’état civil sous prétexte que le prénom choisi ne figurait pas dans le répertoire des prénoms recevables… De plus, les services publics peuvent désormais assurer sur leur territoire l’affichage de traductions de la langue française dans la langue régionale en usage dans la région en question, sur les inscriptions et les signalétiques apposées sur les bâtiments publics, sur les voies publiques de circulation, sur les voies navigables, dans les infrastructures de transport ainsi que dans les principaux supports de communication institutionnelle, à l’occasion de leur installation ou de leur renouvellement!

Quoi qu’il en soit, la langue de la République est – et restera – le français, comme le prescrit l’article 2 de la Constitution française, même si la révision constitutionnelle de 2008 avait ajouté que les langues régionales appartiennent également au patrimoine de la France. On pouvait prévoir que ces nouvelles dispositions ne plairaient pas vraiment à tous les Français.

De fait, une soixantaine de parlementaires ont déposé une saisine près du Conseil constitutionnel contre ledit article 61 de la Constitution. Ce droit de saisine a essentiellement été conçu en 1974 pour donner à une minorité parlementaire la possibilité de mettre en question une loi jugée inadéquate dès son vote majoritaire obtenu au Sénat et/ou à l’Assemblée nationale avant son entrée en vigueur suite à leur publication dans le journal ou le bulletin officiels. Dans ce cas-ci, bon nombre des députés ayant saisi la Cour constitutionnel appartiennent bel et bien à la majorité parlementaire, voire avaient voté eux-mêmes en faveur de la loi Molac…

L’État et les collectivités territoriales concourent à l’enseignement, à la diffusion et à la promotion des langues régionales

Un premier aspect de la loi inquiéterait les députés à l'origine de la saisine: le forfait scolaire, c'est-à-dire la participation obligatoire des mairies aux dépenses de fonctionnement des établissements scolaires privés sous contrat avec l’État. Quand une commune ne prévoit pas d’introduction à la langue régionale dans au moins une école sur son territoire, les parents qui expriment ce choix pourraient scolariser leur(s) enfant(s) dans une autre commune à proximité aux frais de leur commune de résidence. Cela représente un coût estimé entre 530 et 1500 euros par élève.

Mais il y aurait «pire»! Pour Paul Molac, député du Morbihan à l’origine de la proposition de loi qui porte désormais son nom, l’article 61 de la Constitution permettrait même l'instauration de l'enseignement immersif en langue régionale (effectué pour une grande partie du temps scolaire dans une langue autre que la langue dominante, à savoir le français). Aujourd'hui, cette méthode est déjà appliquée dans des écoles associatives de droit privé, donc autofinancées. Ainsi, dans les écoles Diwan (4 200 élèves bretons), les formations sont dispensées dans la seule langue régionale et le français n’est que progressivement introduit, par exemple à partir du CE1 (deuxième année de l’enseignement primaire). C'est aussi le cas des Ikastola basques et des Calandreta en Occitanie. Cette immersion doit cependant être effectuée «sans préjudice de l'objectif d'une bonne connaissance de la langue française».

En outre, l’immersion existe également dans l'enseignement public, qui représente la moitié des élèves de breton, mais la langue régionale n’atteignait jamais la moitié du temps total des leçons. À l'heure actuelle, 300 communes bretonnes sur plus de 1 500 proposent une filière bilingue dans l'enseignement public, pour 9 000 élèves environ. La loi Molac permettra dorénavant d’aller au-delà, y inclus dans les expérimentations dans des écoles publiques de Corse ou du Pays basque.

Selon certains, la loi prévoit également d'étendre les dispositions existant aujourd'hui dans le Code de l'éducation pour la seule langue corse et pour les seules écoles maternelles et élémentaires. Elle permettrait ainsi de proposer l'enseignement de la langue régionale à tous les élèves qui le souhaitent, de manière facultative et dans les horaires normaux de l'établissement. «L'État a l'obligation de proposer l'enseignement de ces langues, estime Paul Molac, car elles sont désormais inscrites dans la Constitution au titre du patrimoine. On estime que 7% d'une classe d'âge est en classe bilingue, ce qui est insuffisant pour assurer la pérennité du breton, alors que 40% des parents en âge d'avoir des enfants souhaiteraient un tel accès.»

Un enseignement immersif en langue régionale, sans préjudice de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française

Rappelons que le gouvernement était opposé à cet article et que le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait évoqué un risque «si nous voulons que tous les enfants apprennent le français, dans les décennies à venir».

On s’en doutait, ces conventions spécifiques sur les langues régionales font l'objet d'âpres discussions entre l'État et les collectivités territoriales. Surtout que la nouvelle loi pourrait donner davantage de poids aux défenseurs de toutes les langues régionales pour obtenir des crédits afin de multiplier les offres d'apprentissage et de former des enseignants ad hoc. Paul Molac insiste sur la nécessité, «dans le monde qui sera le nôtre, de maîtriser une langue régionale, le français et une ou deux langues internationales». Nous avons indiqué dans une récente publication que la première sera forcément l’anglais. Espérons qu’il restera donc de la place pour le néerlandais dans le vaste assortiment de langues vivantes étrangères que les élèves (ou leurs parents) et étudiants français peuvent choisir librement.

Le picard et le flamand occidental, langues régionales des Hauts-de-France

Selon le Code de la culture, les langues régionales se définissent, dans le seul Hexagone, comme des langues parlées sur une partie du territoire national depuis plus longtemps que le français langue commune. Nous verrons plus loin que cette définition a son importance. En tout état de cause, il s’agirait, par ordre alphabétique, du basque, breton, catalan, corse, des dialectes allemands d’Alsace et de Moselle (alsacien et francique mosellan), du flamand occidental, francoprovençal, des langues d’oïl (bourguignon-morvandiau, champenois, franc-comtois, gallo, lorrain, normand, picard, poitevin-saintongeais, wallon), de l’occitan ou de langue d’oc (gascon, languedocien, provençal, auvergnat, limousin, vivaro-alpin) et des parlers liguriens.

On le voit: la liste est sensiblement plus longue que celle actuellement en vigueur pour l’enseignement. Une loi de 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République avait déjà réaffirmé dans le Code de l'éducation que pour «les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage» et que «cet enseignement peut être dispensé tout au long de la scolarité».

Ce même article précisait déjà que l'enseignement de langue et culture régionales peut prendre deux formes: un enseignement de la langue et de la culture régionales et un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale. Mais cet enseignement ne s'appliquait qu’au basque, breton, catalan, corse, créole, gallo, à l'occitan-langue d'oc, aux langues régionales d'Alsace et des pays mosellans, au tahitien, aux langues mélanésiennes, ainsi qu'au wallisien et au futunien.

Ceux qui se battent en Flandre française pour faire perdurer la langue régionale, comme Jean-Paul Couché, président de l’ANVT (Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele ou l’Institut régional de la langue flamande), considèrent apparemment que les dispositions du Code de la culture s’appliqueront invariablement dans l’enseignement. Une satisfaction également pour Jennifer De Temmerman, la députée du Nord appartenant au même groupe politique que Pierre Molac, «Libertés et territoires», qui estime «indispensable le maintien de cet enseignement». De son côté, Paul Christophe, autre député du Nord, a également souligné «l’importance de ces langues régionales qui font partie du patrimoine». Et avant que cette loi ne soit votée, les associations avaient déjà pu compter sur le soutien de Jean-Pierre Decool, sénateur, et de Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France.

Sous son impulsion sont d’ailleurs nés l’Agence régionale de la langue picarde ainsi que l’Office public du flamand occidental. Partant, ces deux instances bénéficient d’une sensible dotation de la région, car l’actuel président de la région compte sur les tenants de la protection du patrimoine culturel de la région et de la langue régionale pour alimenter son vivier électoral. N’oublions pas que de nouvelles élections régionales auront lieu en juin de cette année et que Xavier Bertrand s’est même autoproclamé candidat à la présidence de la République en 2022… En début d’année, l’académie de Lille avait d’ailleurs déjà lancé un appel à candidatures pour un professeur de flamand dès la rentrée 2021.

Quelle place restera-t-il donc pour l’enseignement du néerlandais en tant que langue vivante renforcée dans le Nord-Pas-de-Calais, puisque le néerlandais «est la langue nationale d’autres pays que la République française», critère invoqué également pour refuser à l’italien et l’allemand le statut de «langue régionale»?

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