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histoire

La recherche compliquée d’archives: dans les méandres de la «Boekentoren»

Par Sylvia Van Peteghem, traduit par Willy Devos
17 octobre 2022 5 min. temps de lecture Trésors de bibliothèques universitaires

Les bibliothèques universitaires regorgent de trésors, des collections singulières ou rarement mises à la disposition du public. Sylvia Van Peteghem était bibliothécaire en chef de la Boekentoren (Tour des livres) à Gand, et elle a été la première femme à se trouver à la tête d’une bibliothèque universitaire en Belgique. Dans cette deuxième livraison, elle raconte comment certaines archives ont trouvé le chemin de la Tour des livres.

Les archives contiennent énormément de choses à découvrir, mais il est parfois très difficile de savoir ce qui a été conservé et où. Des archives thématiques affichent un profil clair et net, tels que la Letterenhuis (Maison des lettres), le Vlaams Architectuurarchief
(Archives flamandes de l’architecture), l’Archief en Museum van de Socialistische Arbeidersbeweging (AMSAB – Archives et musée du mouvement ouvrier socialiste), les archives libérales Liberales
et le Documentatie- en Onderzoekscentrum voor Religie, Cultuur en Samenleving (Kadoc – Centre de documentation et de recherche pour la religion, la culture et la société). Mais qui ne songerait jamais à chercher dans la Tour des livres des caricatures du ténor Caruso, des lettres du peintre Emile Claus ou des carnets de notes du peintre Raoul De Keyser?

Au milieu des années 1980, Jennifer Bienenstock se demandait, pour ses recherches doctorales, de quelle manière des œuvres d’artistes américains se sont retrouvées dans les salons artistiques gantois au XIXe siècle. Étant donné les liens que pouvait avoir la bibliothèque avec les milieux artistiques par l’intermédiaire du bibliothécaire de l’époque Ferdinand Vander Haeghen, elle espérait trouver la réponse dans la Tour des livres.

Les salons artistiques, mis sur pied par la Société pour l’encouragement des Beaux-Arts, se déroulaient tous les trois ans à tour de rôle à Gand, à Bruxelles et à Anvers. En 1857, Vander Haeghen devint secrétaire de la section gantoise. Il avait été coauteur du profil de collection pour les collections municipales, et dans ce contexte il avait été convenu que les archives de la ville n’accepteraient plus d’objets, que le musée des antiquités n’accueillerait plus de pièces d’archives et que la bibliothèque abriterait exclusivement des livres. Devenu bibliothécaire en chef, Vander Haeghen assouplit et élargit ces délimitations strictes. Des collections sans aucun rapport avec l’histoire de la ville trouvaient ainsi leur chemin vers la bibliothèque. Personne ne trouva à y redire.

Les archives de la Société pour l’encouragement des Beaux-Arts de Gand, ou ce qu’il en subsiste, se sont retrouvées de la sorte dans la Tour des livres. Bienenstock a certes dû effectuer de nombreuses recherches, car une partie avait atterri sur les rayonnages du Fonds Vliegende Bladen (Fonds Feuilles volantes) et les catalogues avec bon nombre de lettres qui y avaient été insérées et collées avaient rejoint la collection des livres.

Les archives ne fournissaient pourtant pas la réponse à la question faisant l’objet principal des recherches de Jennifer Bienenstock: Comment des œuvres d’art américaines s’étaient-elles retrouvées à Gand? ll y avait heureusement encore un autre lien avec les salons artistiques. Le peintre et critique d’art Frédéric de Smet (1876-1948) était, en 1921, membre effectif et secrétaire de la Société pour l’encouragement des Beaux- Arts. Il constitua des archives privées parfaitement gérées comportant des catalogues, des articles, des photos et des lettres, bien classés par artiste. Elles incluaient entre autres une correspondance éminemment personnelle entre les peintres Emile Claus et Jean Delvin (1853-1922). Ce dernier était par ailleurs son professeur. Delvin faisait souvent partie des jurys d’acceptation pour les salons, et dans une de ses lettres, il raconte à Claus qu’il vient d’arriver à Paris, où il rendra visite à des artistes et en sélectionnera pour l’exposition à venir. Voilà qui explique comment des œuvres d’art américaines sont parvenues à Gand via Paris.

Les archives de Frédéric de Smet étaient mentionnées comme nouvelle acquisition dans le rapport annuel 1972-1973. Il ne nous est plus possible de connaître les raisons pour lesquelles elles furent confiées à l’université de Gand. Grâce à Ferdinand Vander Haeghen, la bibliothèque bénéficiait bien sûr d’une réputation de maison de confiance, de sorte que des archives de ses contemporains tels que les architectes Louis Minard et Louis Roelandt lui avaient été confiées de manière pour ainsi dire évidente. Cette réputation perdura encore quelque temps, car les dessins de Xavier de Cock vinrent compléter la collection après le décès de Vander Haeghen seulement.

Récemment, les fils de Raoul De Keyser (2014) et les enfants de Philippe Vandenbergh (2015) ont fait don des archives artistiques de leurs pères respectifs. Et une partie des archives du peintre Dan Van Severen a été confiée à la bibliothèque en 2019 par l’intermédiaire d’une personne qui avait été une amie pendant de longues années. La collection de photos de Michiel Hendryckx aussi y est arrivée, et après traitement informatique, ces images seront accessibles en ligne avec une licence creative commons.

Des liens personnels, le caractère public de l’institution, l’excellente conservation et l’accessibilité ainsi que la certitude concernant des possibilités de recherches et de publications sur l’artiste jouent certes un rôle important lors d’une donation. Pour le moment, il s’agit principalement d’établir des critères et de déterminer avec précision ce qui peut être donné. Le fait de compléter des collections déjà existantes ou des réseaux et un lien avec Gand constituent d’importants critères de sélection à cet effet.

Le principe de proposer gratuitement en ligne et en haute définition la collection du patrimoine en combinaison avec l’équipe informatique performante, qui ne cesse d’élargir les possibilités d’exploitation, fait en sorte que vous trouverez en ligne ce que vous cherchez. Quoique… rien n’est plus émouvant et plus surprenant que de pouvoir se plonger dans des documents originaux.

Sylvia Van Pettegem

Sylvia Van Peteghem

ancienne bibliothécaire en chef de la bibliothèque de UGent

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