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La reconnaissance du flamand comme langue régionale dans le nord de la France, un sujet qui fâche

Par Jolien De Bouw, traduit par Olivier Vanwersch-Cot
13 février 2023 11 min. temps de lecture Nord de la France et Flandre en dialogue

Lors de la rentrée scolaire 2022-2023, la liste des établissements scolaires du nord de la France offrant à leurs élèves la possibilité d’apprendre le flamand de France s’est un peu étoffée. À ce jour, ils sont au nombre de dix. Pourtant, l’apprentissage de cette langue régionale ne fait pas l’unanimité. Loin de là. La reconnaissance du flamand et son impact sur l’enseignement du néerlandais dans le nord de la France suscitent des avis discordants.

La croisade contre les langues régionales commença sous la Révolution. À cette époque, la langue française était en effet considérée comme le ciment de l’unité nationale. Le rapport remis par Talleyrand à l’Assemblée nationale stipule que seule devait être enseignée la langue française dans le but de d’éradiquer «cette foule de dialectes corrompus, derniers vestiges de la féodalité».

Bien des années plus tard, le 5 septembre 2001, les autorités françaises infléchirent légèrement leur position. Le ministère de l’Éducation publia une circulaire rétablissant la possibilité d’enseigner certaines langues régionales. Basque, breton, catalan, corse… : la liste des langues faisant leur entrée dans les classes françaises était longue. Mais le flamand autrefois parlé dans la région jouxtant la frontière nord n’y figurait pas.

En 2004 fut fondé l’Institut de la langue régionale flamande (ou Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele). Celui-ci est intervenu pendant des années auprès des autorités compétentes pour faire figurer le Vlaemsch ou Vlemsch dans cette liste. Dix-huit ans plus tard, l’actuel président Emmanuel Macron tranchait la question et adjoignait le flamand à la liste.

La querelle entre partisans et adversaires de la reconnaissance du flamand dans le nord de la France donne lieu à de rudes affrontements, aussi bien localement que dans les cercles politiques influents. Laissons chacune des parties développer ses arguments.

L’Académie de Lille: prudemment bienveillante

L’Académie de Lille ne s’engage pas. Ses compétences sont d’ordre exécutif. Elle est chargée d’appliquer la législation nationale en matière d’éducation, laquelle prévoit que le flamand peut être enseigné comme langue régionale. L’académie s’abstient donc de toute déclaration politique sur la question de sa reconnaissance.

Les autorités éducatives lilloises semblent néanmoins adopter une attitude assez bienveillante. Lors de sa visite au collège de Cassel en mai 2022, la rectrice Valérie Cabuil a déclaré face aux élèves que ce qu’elle voyait, c’étaient des jeunes qui avaient l’air heureux et qui avaient envie de comprendre leur culture. Cabuil n’excluait pas que les dix établissements où le flamand est enseigné soient suivis par d’autres.

L’Académie de Lille se heurte néanmoins à un problème. Elle a beaucoup de mal à recruter des enseignants maîtrisant le flamand et satisfaisant en même temps aux critères français d’aptitude à l’enseignement. Contrairement au corse, au breton ou au catalan, le flamand ne compte plus qu’un nombre limité de locuteurs natifs. De plus, ceux-ci seraient, à en croire les détracteurs du projet, plutôt des personnes capables de comprendre la langue maternelle que de la parler activement.

L’Académie de Lille a beaucoup de mal à recruter des enseignants maîtrisant le flamand et satisfaisant en même temps aux critères français d’aptitude à l’enseignement

Pour développer l’enseignement du flamand, l’enthousiasme ne suffit pas, il faut aussi disposer d’un vivier de professeurs possédant les compétences pédagogiques nécessaires. Une exigence d’autant plus difficile à satisfaire que le système scolaire français souffre d’un manque récurrent d’enseignants.

De nombreux avis négatifs mettant en cause l’utilité scientifique de la promotion du flamand avaient été adressés à la rectrice de l’académie de Lille. La reconnaissance du flamand comme langue régionale suscita donc une certaine surprise. À la différence du picard, considéré par ses défenseurs comme une sorte de miroir historique du français pouvant aider à mieux comprendre la langue nationale, les liens existant entre le flamand et le néerlandais sont à peine explicités, ce qui tend à créer entre eux une concurrence que d’aucuns regrettent. Différents textes, entre autres ceux de l’ancien inspecteur général de l’éducation nationale chargé de l’enseignement du néerlandais Dorian Cumps, préconisent des stratégies différentes pour redonner leur place au néerlandais et au flamand. Il conseille par exemple d’intégrer le flamand historique dans l’enseignement du néerlandais.

L’Institut de la langue régionale flamande/«Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele»: un refus du protectorat belge

L’Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele, institut qui se consacre à la promotion du westflamand ou flamand occidental dans le nord de la France, a été le principal artisan de la reconnaissance du flamand en tant que langue régionale. Bien que l’Akademie n’ait pas répondu aux questions portant sur son appréciation de la situation, son point de vue est clair.

Son président et cofondateur Jean-Paul Couché justifiait ainsi ses efforts dans le numéro du 8 juin 2022 du Journal des Flandres: «Nous voulions juste redresser les contre-vérités qui couraient sur la langue de nos parents, qui était menacée à la fois par le rouleau compresseur de la francophonie et par l’entreprise naissante chez certains de tenter de la remplacer par la langue officielle de la Flandre belge, le néerlandais. L’idée d’entamer un combat pour la reconnaissance officielle du flamand occidental est arrivée bien plus tard. L’ambition est simple: que tous, de l’école primaire à l’université, sur le territoire flamandophone de France, puissent obtenir un enseignement du flamand occidental s’ils le souhaitent.»

Sur le choix entre le flamand et le néerlandais, Couché a une opinion tranchée. «Le dernier point contre lequel il ne faudra jamais faillir, c’est l’ingérence de la Flandre belge dans la place que doit avoir notre langue régionale en Flandre française. Peu de Français sont au courant de ces interventions fréquentes car ils ne connaissent pas le néerlandais, ils n’ont pas accès à ce qu’écrit et décide le pouvoir politique en Flandre belge. Or cette ingérence est constante. En janvier dernier encore, le ministre-président Jan Jambon déclarait au Parlement flamand que son gouvernement devait être clair sur l’utilité de cette langue régionale et que ce dialecte ne pouvait pas remplacer le néerlandais standard.»

«Nous avons régulièrement des demandes provenant de Flandre belge sollicitant des formations au flamand occidental pour les salariés car c’est la langue que l’on parle sur les chaînes de fabrication de l’autre côté de la frontière. Nos élus et nos administrations ne doivent tenir aucun compte des interventions qui visent à imposer une langue étrangère à la place de notre langue régionale. Nous ne sommes pas un protectorat belge.»

«Nederlandse Taalunie»: pas au détriment du néerlandais standard

La Nederlandse Taalunie (Union linguistique néerlandaise), qui a son siège à La Haye, est l’organisme officiel chargé de développer l’expertise et de définir la politique linguistique concernant la langue néerlandaise. La reconnaissance du flamand lui inspire des sentiments mitigés. Dans ses déclarations sur la question, chaque mot est pesé. «Nous n’avons, bien sûr, aucune opposition de principe contre le flamand. Nous reconnaissons l’importance qu’il peut avoir pour l’identité et la culture régionales des Flamands de France, explique le conseiller en communication Marc Paredis. La décision de reconnaître le flamand appartient à la France. Ni le Secrétariat général, ni le Comité des ministres de l’Union ne conteste le droit des autorités françaises à opérer leur propre choix dans ce domaine.»

La Taalunie déclare en outre comprendre les efforts entrepris pour sauvegarder et documenter la langue régionale. «Toutefois», nuance Paredis, «nous tenons à informer nos interlocuteurs du fait que le flamand occidental de France diffère fortement du néerlandais standard.» Compte tenu de l’isolement dans lequel il s’est développé pendant des siècles, le flamand de France est en effet beaucoup plus archaïque que les dialectes parlés dans la province de Flandre-Occidentale. «Nous tentons de leur indiquer que la connaissance de ce dialecte ne leur offrira pratiquement jamais les mêmes possibilités d’accès au marché du travail de Flandre belge que la maîtrise du néerlandais standard.»

La Taalunie comprend les efforts entrepris pour sauvegarder la langue régionale, mais rappelle que la connaissance du flamand de France limite les possibilités d’accès au marché du travail de Flandre belge

Dans ses contacts avec les autorités françaises, la Taalunie continuera également de promouvoir l’enseignement du néerlandais. «Il serait dommage que le regain d’attention pour le flamand occidental se fasse au détriment du néerlandais standard», conclut Paredis.

Gouvernement flamand: pas à la place du néerlandais standard

En janvier 2022, Kristof Slagmulder, membre du parti Vlaams Belang, a posé une question parlementaire à Jan Jambon, chef du gouvernement flamand, sur la reconnaissance du flamand comme langue régionale en Flandre française. Slagmulder s’étonnait «que seul le flamand occidental figure dans la liste des langues régionales reconnues. Le néerlandais n’y est pas mentionné. La comparaison avec la situation prévalant en Alsace, où l’alsacien et l’allemand sont reconnus à égalité sous l’appellation de “langues régionales d’Alsace”, ne peut manquer de soulever quelques interrogations».

Le ministre-président Jambon, dont le cabinet avait répondu à nos questions sur la position gouvernement flamand en nous renvoyant à ce débat parlementaire, prit néanmoins la peine de préciser que cette décision appartenait aux autorités françaises et que celles-ci étaient «libres de faire un tel choix, qui est peut-être compréhensible d’un point de vue historique et dans la perspective de la conscience de l’identité régionale de la Flandre française».

Jambon n’en estime pas moins nécessaire d’avertir les Français que le flamand encore en usage en Flandre française dans une frange de la population diffère très fortement à la fois du néerlandais standard et des dialectes usités dans la province de Flandre-Occidentale. «Nous devons être clairs sur l’utilité de cette langue régionale: ce dialecte ne peut pas remplacer le néerlandais standard. Il est important, par exemple, de faire savoir que la connaissance du flamand occidental ne facilite pas l’accès à l’emploi en Flandre, si ce n’est, peut-être, dans une partie de la Flandre-Occidentale. En tout cas, pas dans toute la Flandre. Seul le néerlandais standard peut ouvrir les portes de notre marché du travail.»

Jambon se propose de plaider pour que le futur Office public du flamand occidental inclue aussi dans ses statuts le néerlandais standard

«Bien que je comprenne tout à fait les efforts visant à valoriser l’identité de la Flandre française en sauvegardant et en documentant sa langue régionale, je continuerai à promouvoir l’enseignement du néerlandais auprès des autorités françaises afin d’éviter que l’attention dont bénéficie le flamand occidental n’affaiblisse la position de la langue standard.»

Lors de ses contacts avec les autorités françaises compétentes –qu’il considère comme une de ses activités prioritaires–, Jambon ne cessera pas d’insister sur l’importance du néerlandais standard. Ainsi se propose-t-il de plaider pour que le futur Office public du flamand occidental, dont la mission consistera à promouvoir et coordonner l’enseignement du flamand en Flandre française, inclue aussi dans ses statuts le néerlandais standard «à titre de variante écrite et, bien sûr, comme langue étrangère à enseigner en priorité en France.»

«Bref», conclut Jambon, «il est bon qu’on s’intéresse au flamand occidental, mais il ne faut pas pour autant évincer le néerlandais standard.»

«Ons Erfdeel vzw»: un retour en arrière et une étrange récupération

Nous laisserons le mot de la fin à Ons Erfdeel vzw (association sans but lucratif Notre Patrimoine), qui publie entre autres le présent site web et la revue Septentrion. Cette institution culturelle flamando-néerlandaise, dont les locaux se situent pile sur la frontière franco-belge, s’intéresse depuis sa fondation à la diffusion internationale du néerlandais. Forte de son rôle de trait d’union entre les néerlandophones du monde entier, elle déplore la reconnaissance du flamand dans le nord de la France.

«L’apprentissage du néerlandais est profitable à tout jeune Français: il permet en effet de dialoguer avec 24 millions de personnes. C’est la langue de culture de notre région, mais aussi celle de l’économie. Notre marché du travail manque de bras alors que le chômage est plus ou moins endémique dans le nord de la France», souligne l’administrateur délégué et rédacteur en chef Hendrik Tratsaert.

Les chiffres ne mentent pas. Au second semestre 2022, le taux de chômage atteignait 9,4 % dans le département du Nord. Au niveau régional, les Hauts-de-France présentent le taux le plus élevé de tout le territoire métropolitain: 9 % face à un taux national moyen de 7,4 %. «Le travail frontalier a donc une importance cruciale. Cela vaut pour la partie sud de la Flandre-Occidentale, mais aussi pour une partie de la Flandre-Orientale, où les demandeurs d’emploi du nord de la France sont accueillis à bras ouverts. Dans cette discussion, les avantages offerts par le néerlandais sont perdus de vue.»

Pour Tratsaert, la reconnaissance du flamand de France comme langue régionale sans attribution du même statut au néerlandais pose problème. «Il est tout à fait surprenant, pour ne pas dire regrettable, de reconnaître un dialecte en voie d’extinction et scientifiquement non documenté comme LA langue d’une région. Cette décision constitue à mes yeux une régression. Elle donne en outre aux Français une image brouillée de la situation linguistique au-delà de la frontière. Les langues véritablement parlées par leurs voisins sont le néerlandais et, dans une certaine mesure, le flamand occidental. Cette dernière langue n’a d’ailleurs pas grand-chose à voir avec le flamand qu’on entend propager, et qui n’est à vrai dire qu’un ancien idiome parlé par à peine une centaine de personnes, pour la plupart très âgées. Nous n’avons absolument rien contre les dialectes. Ce sont des ramifications qui ont servi de fondements à la langue standard, souligne Tratsaert. Mais celle-ci existe comme un instrument de communication pourvu d’une grammaire et d’un lexique communs à 24 millions de locuteurs, ainsi qu’à tous ceux qui souhaitent l’apprendre au-delà de nos frontières. Le flamand de France n’est qu’une branche morte du tronc commun néerlandais.»

Il va de soi que cette mesure est et demeure du ressort de la France, reconnaît Tratsaert. «Ce sont les responsables politiques français, démocratiquement mandatés par les Français, qui prennent cette décision. En principe, nous n’avons rien à dire. Mais cela ne nous empêche pas de la considérer comme une erreur.»

Le caractère politique et idéologique de cette question ne fait aucun doute aux yeux de Tratsaert. «J’y vois une étrange tentative de récupération par la droite et l’extrême droite d’une langue, en réalité, déjà éteinte. Je pense qu’il existe un parallèle avec certains mouvements identitaires en Alsace ou en Bretagne. Au XVIIIe siècle, les Jacobins ont éradiqué les langues régionales et centralisé la France autour d’une langue unique. Aujourd’hui, il existe des mouvements qui tentent de faire revivre ces dialectes que plus personne ne parle réellement. Cela ne vaut pas pour toutes les langues régionales –il suffit de penser à l’alsacien, toujours activement en usage– , mais pour le flamand de France, c’est le cas. Je me demande s’il ne s’agit pas, dans ce pays centralisé, d’une sorte de réflexe nationaliste face à la menace supposée peser sur l’hégémonie de la langue française. En pratique, ces langues mortes servent à alimenter le débat identitaire. Je pense qu’en fin de compte, ces gens se tirent une balle dans le pied.»

Malgré nos demandes auprès de divers services de presse, aucun parti politique français n’a souhaité préciser sa position sur la question.

Jolien De Bouw

Jolien De Bouw

journaliste indépendante

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