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pays-bas français, société

La redécouverte du vélo

Par Dirk Vandenberghe, traduit par Marcel Harmignies
26 mars 2019 11 min. temps de lecture


Depuis les années
1980, l’idée de la nécessité d’une autre politique de mobilité
s’est lentement imposée. Des villes néerlandaises ont été pionnières en la matière. La Flandre a suivi. En France aussi, certains signes indiquent que les choses changent.

Chaque
ville est différente, mais les dernières élections communales de
Belgique (octobre 2018) ont révélé l’existence d’un large
consensus tous partis confondus sur la question de la mobilité.
Selon une enquête réalisée pour le quotidien flamand De
Standard
,
il apparaît que 90 pour cent des têtes de liste sont favorables à
un renforcement des contrôles de vitesse, à l’aménagement de
carrefours afin d’éliminer toute confrontation entre usagers
vulnérables et trafic motorisé, à l’installation en plus grand
nombre de bornes de recharge pour les véhicules électriques et à
la création d’espaces supplémentaires réservés aux cyclistes et
aux piétons dans les centres-villes.

La mobilité durable
était, par-delà les frontières communales, l’un des principaux
thèmes électoraux mais aussi, étonnamment, un sujet souvent
fédérateur des partis de la gauche à la droite. Et bien que tout
le monde ne mette pas le même contenu sous le terme mobilité
durable, presque tous les partis sont favorables à l’interdiction
de certaines rues aux véhicules qui les empruntent au lieu du
contournement, ou à la diminution du nombre de places de
stationnement en surface, qui génèrent un trafic automobile
excessif.

La mobilité
préoccupe les citoyens, aussi bien les citadins que les habitants de
zones plus rurales qui, de plus en plus, se trouvent dans des
embouteillages pour se rendre en ville. Ce fait était déjà apparu
durant les longues discussions sur l’aménagement de la ceinture
périphérique d’Anvers. Aussi les discussions préalables à un
nouveau plan de circulation du centre-ville de Gand furent-elles
menées au niveau national. Partisans et adversaires du nouveau plan,
ayant pour but d’écarter le trafic de transit du centre de Gand,
avaient des positions diamétralement opposées. Et cela bien que le
centre-ville ait été déjà, longtemps avant l’adoption du plan,
zone à circulation restreinte et même, en de nombreux endroits,
zone piétonne.

Néanmoins, ce qui
s’est passé à Gand n’est pas vraiment novateur ni
révolutionnaire.

Groningue,
ville du nord des Pays-Bas, qui est un peu moins peuplée que Gand et
compte elle aussi une forte population étudiante, a mis en œuvre un
plan analogue dès 1977. Le centre-ville fut divisé en zones et la
circulation motorisée d’une zone à l’autre rendue impossible.
Le plan de circulation de quartier accordait la priorité aux
cyclistes, une politique systématiquement suivie depuis lors. La
ville, compacte, est dotée d’un réseau de plus de 200 km de
pistes cyclables et d’un grand parking pour vélos de 9 000 places
près de la gare centrale.

Résultat: déjà à la fin du siècle dernier, la moitié des déplacements dans Groningue s’effectuait à bicyclette, ce qui permet à la ville de s’intituler, plus encore que quelques pionnières scandinaves comme Copenhague, la ville européenne du vélo. En outre on développa un vaste réseau de transports en commun, en concertation avec les gouvernements provinciaux de Groningue et de Drenthe.

Groningue était à
cet égard pionnière aux Pays-Bas car des villes plus importantes
comme Utrecht et Amsterdam ne suivirent que plus tard l’exemple
d’accorder la priorité aux vélos et aux transports en commun.
Utrecht ouvrit en 2018 le plus grand parking pour vélos du monde,
comptant 12.500 emplacements.

Coureurs et
cyclistes

À
l’étranger, on jette parfois un regard jaloux sur les réalisations
néerlandaises de ce genre. «Nous sommes un pays de coureurs, mais
les Pays-Bas sont un pays de cyclistes», concluait Christian
Prudhomme, directeur du Tour de France, en 2012 lors d’une
interview au quotidien néerlandais NRC
Handelsblad
.
Dans son bureau d’Issy-les-Moulineaux, à l’ombre du périphérique
parisien tant décrié, Prudhomme s’indignait à chaque fois qu’il
regardait au-dehors. Le quai longeant la Seine venait d’être
réaménagé, mais pas trace d’une piste cyclable. «Comment sortir
les gens de leur auto dans ces conditions et les mettre à vélo?»,
soupira-t-il, résigné. «C’est la France, en 2012.»

La France et, dans
une un peu moindre mesure, la Belgique sont restées beaucoup plus
longtemps que les Pays-Bas accrochées à la politique de mobilité
qui, depuis les années 50 du siècle dernier, donnait la priorité
absolue à la voiture. Les constructions d’autoroutes, de rocades
autour des villes et de grands parkings près des centres-villes, ont
été déterminantes pour les choix de mobilité de la population, de
1950 au début de notre siècle. Les trams disparurent des plus
petites villes pour céder la place à l’auto, symbole de la
liberté individuelle. L’augmentation du trafic rendit dangereuse
la pratique du vélo en ville. Il en résulta un exode citadin
renforcé, surtout en Belgique, par une politique de lotissement à
l’extérieur des villes et de création de zones d’activités
industrielles ou tertiaires seulement accessibles en voiture.

La France et, dans une un peu moindre mesure, la Belgique sont restées beaucoup plus longtemps que les Pays-Bas accrochées à la politique de mobilité qui donnait la priorité absolue à la voiture.

Cette politique
engendra un cercle vicieux de dépendance à l’automobile, dans
lequel les décideurs politiques considéraient comme leur mission
essentielle le développement d’une mobilité automobile aussi
aisée que possible. Longtemps on a pensé que la circulation
automobile se comportait comme un fluide, à la recherche du passage
le plus facile, mais une étude plus récente nous a appris que les
autos se comportent comme les gaz: elles occupent rapidement tout
l’espace disponible. Des voies plus nombreuses ou plus larges
provoquent simplement un trafic accru, et non une circulation plus
aisée.

Depuis les années
1980, l’idée de la nécessité d’une autre politique de mobilité
s’est lentement imposée. Mais c’est seulement vers le tournant
du siècle que le changement a été engagé, lentement mais
sûrement. En l’occurrence ce sont les municipalités, plus que les
autorités nationales, qui sont le grand moteur d’une nouvelle
politique de mobilité plus soucieuse des piétons, des cyclistes et
des transports en commun, et beaucoup moins de l’automobile.

«Il est certain
qu’un consensus s’est développé au cours de la décennie
passée, et de nombreuses villes impulsent et mettent en œuvre une
énergique politique du vélo. Ce n’est plus une question de partis
de gauche ou de droite, toute municipalité a la volonté d’organiser
la mobilité de manière efficace, avec le minimum d’inconvénients,
aussi bien pour l’espace urbain que pour la qualité de vie des
habitants et des visiteurs», déclare Wout Baert, chargé de la
coordination de Fietsberaad
Vlaanderen

(Conseil flamand du cyclisme), le centre de connaissances pour la
politique en matière de vélo.

Baert constate
qu’aussi bien les décideurs politiques que les citadins ont
redécouvert ces dernières années le vélo en tant que moyen de
transport efficace et rapide. Bon pour la santé et moins encombrant
que la voiture. Sur l’emplacement d’un seul véhicule, on peut
facilement garer huit à dix vélos; sans compter qu’une auto est à
l’arrêt 95 pour cent du temps.

En outre, la
bicyclette est un moyen de transport très social. Il existe des
vélos dans toutes les gammes de prix, et celui qui roule à vélo a
davantage de contact social, adresse la parole aux autres cyclistes
au feu rouge. On voit de plus en plus souvent des maires et leurs
adjoints se déplacer à vélo dans leur ville, ce qui leur permet de
nouer plus rapidement contact avec les administrés. De plus, la
pratique cycliste semble être l’une des activités les plus
rassembleuses dans les villes. Les cours de vélo qu’organisent les
services sportifs municipaux s’avèrent séduire, plus que d’autres
activités, une population très diverse.

Partout où des
mesures, même modestes, sont prises pour repousser l’auto et
promouvoir le vélo, l’usage du deux-roues progresse plus
rapidement que prévu, d’après les mesures effectuées par le
Fietsberaad.
«Certaines municipalités s’étonnent même de la rapidité du
résultat », selon Baert. Mais d’un autre côté, c’est
logique: la raison principale pour des parents de conduire leurs
enfants à l’école en voiture, par exemple, est la sécurité. Dès
lors que des mesures sont prises pour dissiper le danger, parents et
enfants passent plus rapidement au vélo. Dans un pays où il
apparaît que 85 pour cent des enfants ont trop peu d’activité
physique, c’est un bénéfice facile. Comme les villes, mais aussi
les villages s’aperçoivent que l’investissement dans une
politique cycliste est payant, le vélo est automatiquement l’objet
d’une attention accrue des édiles locaux.

Baert relève que,
jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le vélo occupait une place
prédominante. «Jusqu’aux années 1950, Anvers était une ville
plus cycliste que Copenhague.» Seulement s’amorça alors en
Belgique la politique d’incitation à l’usage de la voiture, avec
la construction d’infrastructures routières jusque dans le cœur
des villes, comme un viaduc menant tout près du centre de Gand ou
les tunnels de la petite ceinture de Bruxelles. «Le Danemark était
alors un pays plus pauvre que la Belgique, c’est pourquoi il fut
décidé de faire payer les infrastructures par les automobilistes
eux-mêmes. De ce fait, l’usage de la bicyclette trouva rapidement
un terrain propice. À Amsterdam aussi la politique bascula dès les
années 1970 du côté du vélo. En Flandre, la conscience cycliste
s’épanouit lentement à partir des années 1980, entre autres avec
la création d’une section flamande du Fietsersbond.
Mais la véritable conversion n’a été engagée qu’à la fin du
siècle dernier», dit Baert. La politique fiscalement avantageuse
concernant les voitures d’entreprise en Belgique joua en
l’occurrence également un rôle néfaste. Les salariés étaient
presque forcés de prendre le volant, et allaient de ce fait souvent
habiter encore plus loin de leur lieu de travail.

Cependant, tout
n’est sans doute pas perdu, et la Flandre n’est pas à la
remorque dans tous les domaines. Ces dernières années, la politique
cycliste y progresse même plus vite que dans beaucoup d’autres
pays européens. Un Flamand sur trois fait du vélo quotidiennement.
Pour ce qui est du nombre de déplacements à vélo, la Flandre est
le deuxième territoire cycliste d’Europe avec 15 pour cent,
derrière les Pays-Bas qui, avec 27 pour cent, se situent très
au-dessus du lot. Le Danemark est troisième avec 14 pour cent.
Toutefois, si l’on ne considère pas la Flandre mais la Belgique
dans sa totalité, le pourcentage de déplacements à vélo tombe à
8 ou 9 pour cent, juste supérieur à celui de la France.

En France aussi,
une politique nouvelle

Cependant,
en France aussi, une politique a été entreprise ces dernières
années, visant à repousser les autos hors des villes. Mais à
l’instar de la ville suisse de Zurich, beaucoup de municipalités
françaises ont choisi d’investir dans des transports en commun
pratiques. Les exemples les plus fameux sont Bordeaux et Nantes, qui
se sont dotées de lignes de trams rapides, circulant à grande
fréquence et en site propre. Mais il est tout aussi vrai qu’à
Nantes on a aussi investi dans de solides infrastructures cyclables.
Dans l’édition 2017 du Baromètre des villes cyclables, une
version française du Fietsberaad,
on trouve Nantes à la deuxième place dans la catégorie «villes de
plus de 200 000 habitants» pour ce qui concerne la bienveillance à
l’égard du vélo, après Strasbourg et devant Bordeaux. Même
Paris, naguère si inamicale, où à peine 2 pour cent des
déplacements s’effectuaient à vélo en 2008, a gagné quelques
points ces dernières années pour ses initiatives en faveur du
cyclisme.

Les exemples
français révèlent qu’une politique cycliste s’accorde
idéalement avec des investissements dans des transports en commun
modernes, comme de petits bus électriques ou des tramways. «Le vélo
et les transports en commun doivent être les meilleurs amis»,
argumente Baert, «et en l’occurrence, la fréquence est plus
importante que la taille du bus, du tram ou du train. Cette idée
n’est hélas pas encore universellement admise.» En Flandre, les
autorités locales se plaignent souvent d’avoir trop peu de prise
sur l’offre de transports en commun, qui est déterminée par la
société de transport De
Lijn
.
Les exemples de Groningue et Nantes démontrent que c’est au niveau
de la région urbaine que les transports peuvent être étudiés au
mieux, ce que la Flandre essaie d’entamer maintenant avec son plan
de transport réparti en ‘régions’.

Le grand tournant

Avec
l’arrivée de dispositifs tels que le covoiturage et l’usage en
lente croissance des nouveaux vélos-cargos maniables, on s’attend
généralement à une diminution durable de la circulation automobile
dans les villes et à la progression constante du vélo. Le plus
important défi pour les villes et les régions urbaines est de se
projeter suffisamment loin, parce que les infrastructures mises en
place aujourd’hui devront être encore utilisables dans vingt ou
trente ans. Cela concerne aussi les stationnements cyclables, pour
lesquels le Fietsberaad
conseille de prévoir au moins cinq pour cent de places pour des
vélos de dimensions inhabituelles, comme les vélos cargos ou les
remorques pour vélos.

Mais le principal
tournant de ces dernières années, c’est la prise de conscience
par les décideurs qu’une ville est simplement plus attrayante si
l’auto en est bannie. On libère ainsi des espaces pour d’autres
activités et on améliore la qualité de l’air – donc de la vie
des habitants. De ce fait la ville devient, lentement mais sûrement,
à nouveau plus attractive pour les jeunes ménages qui optent
maintenant encore trop souvent pour des lotissements en périphérie
de la ville.

«C’est seulement
en bannissant la voiture que l’on rendra les villes à nouveau
attirantes pour tous. Lentement mais sûrement un consensus s’est
fait à ce sujet, c’est le grand changement de la dernière
décennie», conclut Baert.

Dirk_Vandenberghe

Dirk Vandenberghe

journaliste indépendant

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