Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

La Triennale de Bruges vous met au défi: trouvez tous les nids et apprenez à voir dans le noir
Nadia Naveau, Les Niches Parties. Photo © Triënnale Brugge - Matthias Desmet
Nadia Naveau, Les Niches Parties. Photo © Triënnale Brugge - Matthias Desmet Nadia Naveau, Les Niches Parties. Photo © Triënnale Brugge - Matthias Desmet
compte rendu
Arts

La Triennale de Bruges vous met au défi: trouvez tous les nids et apprenez à voir dans le noir

Le 8 mai dernier, la troisième édition de la Triennale de Bruges a pris ses quartiers dans la ville. L’occasion de découvrir, jusqu’au 24 octobre prochain, les œuvres de treize artistes et architectes qui se sont penchés sur le thème TraumA. Le titre de l'édition 2021 de la Triennale recèle plusieurs couches: en passant par la langue allemande, on peut y déceler le rêve, l’espace ou le traumatisme. La Triennale oscille de fait entre rêves et cauchemars, entre le présent et l’absent, entre l’intérieur et l’extérieur.

Facilitez-vous la tâche et passez à la Poortersloge (Loge des Bourgeois) où vous attend un plan reprenant le circuit avec toutes les installations. Vous y obtiendrez aussi des explications sur l’itinéraire et les heures d’ouverture de certaines installations intérieures. Ces informations sont également disponibles en ligne, mais par les temps qui courent, un peu d’information et d’interaction «en présentiel» est appréciable. De plus, c’est à cet endroit qu’est présentée l’exposition La ville poreuse.

Cette expo, qui rassemble une quarantaine d’œuvres de divers artistes – parmi lesquels Jana Cordenier, Thierry De Cordier, Joëlle Dubois, Kendell Geers, Hermann Nitsch, Ana Torfs et Filip Vervae –, constitue un point de départ tout trouvé. Mais les œuvres qui m’ont le plus marquée sont: les dessins de Bilal Bahir, les thermomètres géants de Semâ Bekirović, les personnages impressionnants d’Enrique Marty, la sculpture futuriste signée Julie Villard & Simon Brossard et Nomad ou encore l’œuvre à l’apparence douillette de Gavin Turk.

Un vertige constructif

Après ce premier arrêt, je décide de rejoindre directement les endroits les plus éloignés du centre-ville. Après une promenade de dix minutes, je me retrouve nez à nez avec Strangler d’Héctor Zamora, une sculpture d’emblée surprenante. Une «construction», plutôt. Dans le jardin de la Gezellehuis (Maison Gezelle), un gigantesque échafaudage orange fluo s’est frayé un chemin autour d’un monumental pin noir d’Autriche au sommet duquel on accède par un escalier. On comprend vite le rapport entre cette œuvre et le thème de l’événement: l’ascension fait la part belle au vertige. L’échafaudage évoque un type de plantes volubiles qui puisent toute l’énergie d’un arbre hôte et qui, une fois ce dernier mort, continuent à vivre allègrement. Mais l’intervention humaine qu’est ce Strangler laisse l’arbre intact et y ajoute une nouvelle dimension, puisque l’échafaudage vous permet de profiter de la nature et d’un beau panorama sur Bruges et ses environs.

Je me dirige ensuite vers le Potterierei, où je découvre le travail de Laura Splan et Gregor Schneider. À moins de faire un détour par erreur, comme je l’ai fait, le trajet vous prendra environ onze minutes. Les dentelles en forme de virus signées Laura Splan m’ont particulièrement marquée. La référence, en cette matière raffinée, et à Bruges et au coronavirus est à la fois charmante, surprenante et piquante. J’apprécie également le contraste entre artisanat traditionnel et art contemporain.

Au Grootseminarie (Grand Séminaire), je découvre Black Lightning de Gregor Schneider. J’avoue que j’aime m’informer le moins possible avant de visiter une exposition pour que la surprise soit maximale. Et ici, la surprise a été totale. Passez donc ce paragraphe si vous souhaitez qu’elle le soit pour vous également… Cette installation est plongée dans l’obscurité, et il incombe au visiteur de trouver la sortie à tâtons. Heureusement, les murs sont souples, et il est impossible de se perdre. Au début, l’animal peureux qui réside en moi m’incite à faire d’emblée demi-tour et à ressortir par l’entrée. Mais je lui résiste et décide de poursuivre. Quelle installation, pour une exposition qui oscille entre le traumatisme, le rêve, la réalité et le ressenti spatial! Ne manquez pas non plus de passer par la Colonnade de Gijs Van Vaerenbergh, dont la structure labyrinthique à la fois robuste et élégante ne vous décevra pas. Est-ce une maison, une sculpture ou un monument?

Art ou chantier de construction?

Je retourne au centre-ville. Sur trois canaux consécutifs se dressent The Bruges Diptych de Jon Lott (Gouden-Handrei), Les Niches Parties de Nadia Naveau (Augustijnenrei) et Banisteria Caapi [Desnatureza 4] de Henrique Oliveira (Pottenmakersstraat – bon, ce n’est pas un canal, mais c’est tout de même au bord de l’eau). À croire le panneau explicatif, l’œuvre de Jon Lott vient tout juste d’y être installée lorsque je la découvre, même si je me demande si elle est bel et bien achevée. Elle est décrite comme un diptyque architectural composé par le chantier érigé sur l’eau par Lott et par la maison existante située derrière. L’un est une copie de l’autre, jouant avec un aspect normalement caché de la ville historique, à savoir les intérieurs.

On verra sans doute fleurir la sculpture d’Henrique Oliveira sur Instagram, et à juste titre. Les «racines» paraissent aussi anciennes que les remparts médiévaux qu’elles enserrent. Un passant non averti pourrait prendre l’œuvre pour un phénomène naturel, alors qu’il s’agit d’une construction en multiplex. Voyons-nous toujours ce que nous voyons? La tour semi-circulaire est en outre un vestige des plus vieux remparts de Bruges, un élément patrimonial un peu moins connu de la ville. Ici, j’interromps pour la première fois ma promenade, pendant que je scanne le code QR qui figure sur tous les panneaux d’information. J’aurais dû le faire plus tôt: les codes mènent à des enregistrements sur Spotify qui permettent d’en savoir plus sur les œuvres et leurs auteurs.

Plus au centre, je tombe d’abord sur Happy Coincidences d’Amanda Browder. Pour ce gigantesque collage, l’artiste a rassemblé avec les habitants de Bruges des pièces de tissu qui représentent chacune une histoire personnelle. Browder rapproche ainsi les gens via son processus créatif. Par ailleurs, elle transforme des tissus et des souvenirs jusque-là privés en une œuvre d’art publique et accessible. L’emplacement de Happy Coincidences n’est d’ailleurs pas aussi fortuit que le titre ne le laisse entendre puisque c’est au Verversdijk que se retrouvaient les teinturiers au Moyen Âge pour teindre leurs draps.

Contrastes

Inner Circle, l’œuvre que Nadia Kaabi-Linke a installée au Burg, offre un contraste saisissant avec la douceur des tissus de Browder. Avec de grandes épingles pointues, elle transforme des bancs publics en objets hostiles, empêchant les passants de se poser, comme s’ils étaient d’indésirables pigeons. Il y a plusieurs manières de relier cette œuvre au thème TraumA, mais pour l’artiste, il s’agit avant tout d’une critique des milieux sociaux où les problèmes sont souvent gardés secrets. Des traumatismes dans l’espace privé, donc. La forme circulaire évoque le cercle familial, les situations professionnelles et les contextes de travail ou clubs exclusifs et communautés privilégiées qui recourent souvent au cercle dans leur logo. Ici, la forme est tout aussi douloureuse que le contenu.

Dans toute la ville, on trouve des nids d’oiseaux conçus par Adrián Villar Rojas. Sculptés avec de la boue, de l’argile et des rameaux notamment, ils ornent monuments, façades et poteaux. Du moins en apparence. Malheureusement, je n’ai pas réussi à en trouver, mais la prochaine fois que j’irai à Bruges, je ne manquerai pas d’ouvrir l’œil.

Je termine mon parcours de la Triennale avec Who is afraid of Natacha? de Joanna M&CT Jasper au béguinage, et And the World Keeps Turning de Nnenna Okore. Okore a emballé la Poertoren (Tour à poudre) dans un ensemble d’organiques boules rouges, dont la forme est inspirée par la dentelle et la couleur par celle des briques locales typiques. L’œuvre capte le regard, domine une partie de la ville et l’engloutit, tout en attirant l’attention sur l’édifice. Une autre œuvre pleine de contradictions.

La Triennale de Bruges rassemble de bons artistes qui ont su donner forme au thème dans toute sa complexité. Et chacun à sa façon. Là où l’aspect de la peur domine manifestement chez un Gregor Schneider ou un Héctor Zamora, les autres nuances – l’espace, le rêve, la réalité vs la représentation – s’expriment plus subtilement chez d’autres artistes. L’alternance entre les accroche-regards monumentaux et les œuvres plus intimes ou plus cachées crée un rythme qui laisse place à l’émerveillement. Suivez tout l’itinéraire d’un coup, ou rendez-vous plusieurs fois à Bruges. De toute façon, la Danse macabre de Hans Op de Beeck doit encore être installée, une œuvre qui m’intrigue beaucoup. Bruges n’a donc pas fini de me voir.

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