«La Vie d’Anne Frank» de Janny van der Molen: une introduction à l’histoire de la Shoah
Paru en version originale néerlandaise en 1947 et traduit depuis lors en plus de 70 langues, le Journal d’Anne Frank a fait l’objet de nombreuses et diverses adaptations. Parmi elles se trouve la biographie romancée écrite par Janny van der Molen. À destination du jeune public, La Vie d’Anne Frank constitue une excellente introduction non seulement au Journal, mais à l’histoire de la Shoah.
«Il semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de treize ans», écrit Anne Frank dans son journal le 20 juin 1942. Environ 75 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce journal continue de fasciner et se trouve réinventé sous diverses formes nouvelles afin de mieux capter le jeune public. Pour cela, on peut citer les récentes adaptations du journal en roman graphique, d’abord par Sid Jacobson et Ernie Colon (2010), ensuite par Ari Folman et David Polonsky (2017). La biographie romancée de Janny van der Molen, La Vie d’Anne Frank,
s’inscrit dans cette démarche adaptative. L’autrice y raconte la vie d’Anne Frank de façon accessible et sensible pour des enfants et jeunes adolescents, tout en restant aussi proche que possible de la réalité historique.
© Frouke Feijen
Dans son journal, Anne Frank écrit qu’elle veut «être utile ou agréable» à ses lecteurs futurs. C’est sous ce double aspect, à la fois instructif et divertissant, que se présente également La Vie d’Anne Frank. Accompagné des illustrations expressives et colorées de Martijn van der Linden, d’un plan de l’Annexe et d’un album de photos, le livre retrace la vie d’Anne Frank en dix chapitres structurés par thèmes: les premières années heureuses à Francfort, la montée du nazisme en Allemagne et l’exil de la famille Frank à Amsterdam, l’éclatement de la guerre, l’impact des lois antijuives sur la vie quotidienne, l’entrée en clandestinité, la passion d’Anne pour l’écriture, les stratégies de survie, l’amour, la dénonciation et la déportation, la mort d’Anne.
© Martijn van der Linden
L’objet textuel est bien pensé pour faciliter la compréhension des événements historiques: les chapitres sont parfaitement proportionnés et précédés de notices explicatives qui encadrent le texte narratif. Le plaisir de la lecture est quant à lui stimulé par une écriture adaptée aux enfants, au vocabulaire simple et imagé, mais aussi généreusement garnie de dialogues. Ceux-ci apportent un rythme dynamique au récit ainsi qu’un réalisme plus prononcé aux personnages: l’on se fait mieux à l’idée du père d’Anne Frank quand il prend la parole que lorsque le texte se contente de le décrire. L’emploi de la troisième personne dans les séquences narratives aboutit à une vision panoramique englobant l’entourage d’Anne Frank, mais cette distanciation est contrebalancée par des procédés littéraires tels qu’une focalisation interne et l’utilisation du discours indirect libre qui permettent l’identification avec la jeune fille.
Les événements racontés ont été l’objet de plusieurs vérifications par la Fondation Anne Frank et apparaissent comme historiquement fiables. Janny Van der Molen s’est beaucoup documentée: elle s’appuie sur le journal d’Anne Frank, mais aussi sur des témoignages de son père, de ses amies d’enfance, de ceux qui ont aidé la famille dans l’Annexe ou qui ont survécu aux camps de concentration. Par ailleurs, afin de mieux imaginer ce qu’a été la vie d’Anne après la dernière entrée de son journal le 1er août 1944, l’autrice s’est rendue à Westerbork, Auschwitz et Bergen-Belsen, où Anne a été déportée successivement.
La biographie intègre aussi des représentations de la vie d’Anne aux camps de concentration et sa mort due au typhus
La biographie transmet de manière intelligible, sensible et sans détour la montée progressive du nazisme et l’impact de la politique antisémite sur la vie quotidienne de la famille Frank (les lois antijuives, l’étoile jaune, la vie en clandestinité), y intégrant aussi des représentations de la vie d’Anne aux camps de concentration et sa mort due au typhus. Les atrocités commises par les nazis sont exposées à partir d’exemples clairs et faciles à imaginer, permettant ainsi plus facilement d’aborder pour les parents des sujets aussi sensibles et durs allant de la mort d’Anne jusqu’au thème du génocide des Juifs.
© Anne Frank Stichting Amsterdam
Le récit garde cependant une part de fiction dans la mesure où les échanges entre Anne et ses proches ont été inventés pour rendre l’histoire plus vivante et accessible. Van der Molen essaie d’être aussi fidèle que possible en se tenant au plus près des sources disponibles, mais une part de créativité et d’inventivité s’impose forcément à elle quand elle imagine les propos d’Anne et son entourage.
Le personnage d’Anne Frank perd aussi de sa complexité au vu de l’âge du public visé et de la concision nécessaire à celui-ci, d’autant plus que la biographie ne se limite pas aux bornes temporelles que le journal impose. Ainsi Van der Molen évacue-t-elle les traits saillants de la personnalité d’Anne (les disputes avec sa mère, par exemple, ne sont qu’abordées superficiellement, tandis qu’elles font l’objet de nombreuses digressions dans le journal originel) ou les sujets sensibles (la curiosité d’Anne pour son corps se limite ici à une simple phrase, mais s’étend dans le journal à des descriptions de son vagin ou des digressions sur la menstruation).
Ces choix de la part de l’autrice font d’Anne un personnage plus homogène et lisse, dans lequel les enfants peuvent facilement se projeter. Ils conditionnent aussi inévitablement la perception des lecteurs et lectrices: il suffit de comparer l’adaptation de Van der Molen à celle de Folman et Polonsky pour constater combien les légères distinctions entre elles produisent différentes images de la figure d’Anne Frank. Il n’en reste pas moins que La Vie d’Anne Frank constitue une excellente introduction à la vie d’Anne Frank et son journal ainsi qu’à l’expérience exhaustive de la Shoah, de la discrimination antisémite jusqu’à l’arrestation, la déportation et l’extermination. Ce livre est une adaptation parfaitement réussie, qui se prête aussi bien à la lecture personnelle qu’à un enseignement didactique.