La visibilité compte: les droits de la communauté transgenre dans les Plats Pays
Grâce à des lois progressistes et aux efforts soutenus de nombreux activistes, les Pays-Bas et la Belgique ouvrent la voie en Europe en matière d’égalité de droits pour les citoyens et citoyennes transgenres. Mais une telle ouverture ne s’est pas mise en place du jour au lendemain: la lutte contre les discriminations est une lutte quotidienne, même dans les Plats Pays.
La première Journée internationale de visibilité transgenre remonte au 31 mars 2009. Frustrée par l’absence de représentations positives des personnes trans dans les médias et par l’oubli dans lequel tombent trop souvent les questions trans au sein du groupe LGBT, la militante américaine transgenre Rachel Crandall-Crocker décide de créer un événement dans son état natal du Michigan pour célébrer les avancées de la communauté transgenre dans sa lutte pour l’égalité.
Crandall-Crocker fonde ainsi la Journée de visibilité transgenre, comme moyen de nourrir le dialogue qui était en train de se développer autour des questions trans, déconstruire les stéréotypes de genre et mettre en valeur les aspects positifs de la transidentité. Depuis cette première édition, cet événement local s’est mué en un phénomène global connu sous le nom de Journée internationale de la visibilité trans, organisé chaque année à l’échelle mondiale. Celui-ci nous offre désormais une nouvelle occasion, en plus du mois de la Pride LGBTQ+, de nous pencher sur les histoires et les accomplissements des activistes et figures de proue du mouvement transgenre, dans nos propres pays et au-delà.
© North Shore Pride
En matière d’inclusion et de visibilité des questions trans, de grandes avancées ont été accomplies dans les Plats Pays au cours de l’année écoulée. En guise d’exemple, on peut citer la nomination en octobre 2020 de Petra De Sutter (du parti écologiste flamand Groen) au poste de vice-première ministre de Belgique, devenant ainsi la toute première ministre transgenre de Belgique, mais également la première personnalité politique ouvertement transgenre dans le monde à accéder à ce niveau de responsabilités.
En plus de participer activement à la visibilité des personnes transgenres et à leur représentation au sein de la fonction publique, De Sutter a également commencé à mener de front la révision de certaines lois européennes concernant les personnes non-binaires et intersexes, qui seront discutées plus loin dans cet article.
© Wikipedia
Aux Pays-Bas, grâce aux efforts soutenus des militants des droits trans, le gouvernement néerlandais a quant à lui présenté des excuses officielles en décembre dernier auprès des citoyen·nes transgenres qui, selon une loi antérieure, s’étaient vu·es contraint·es de subir une opération de stérilisation pour pouvoir changer de sexe sur leurs documents officiels. Suivant l’exemple donné par le gouvernement suédois en 2018, les autorités néerlandaises se sont engagées à verser un montant d’une valeur de 5 000 euros en dédommagement pour les violences subies, déclarant qu’il est «important de faire face à la souffrance des personnes transgenres et de leur offrir reconnaissance, compensation et excuses».
Bien que les Pays-Bas et la Belgique soient désormais leaders européens en matière d’égalité de droits pour les citoyens transgenres, de telles attitudes progressistes en faveur du bien-être et du traitement équitable des personnes transgenres n’ont pas vu le jour instantanément. Elles sont le résultat de plus d’un siècle d’activisme et d’innovation.
Un terme trop générique?
Avant de plonger au cœur de l’histoire de la visibilité et des droits de la communauté transgenre en Belgique et aux Pays-Bas, il est important de bien définir à qui l’on se réfère lorsqu’on utilise le terme «transgenre». Ce terme ne s’applique-t-il qu’aux personnes qui cherchent à se faire opérer afin de faire correspondre leur corps à leur identité de genre, ou inclut-il également les personnes qui conçoivent leur identité de genre comme étant distincte de leurs caractères sexuels primaires et secondaires? Et qu’en est-il de ces individus qui ne s’identifient ni en tant que femme ni en tant qu’homme, et revendiquent cet «entre-deux» présent dans le préfixe «trans»?
Bien qu’il ait aujourd’hui acquis une certaine popularité auprès du grand public, le terme «transgenre» est encore loin de faire l’unanimité, même au sein des communautés transgenres
L’appellation «transgenre» est en cours d’élaboration depuis plus d’un siècle. L’une des premières études à faire la lumière sur le phénomène de transidentité a été menée par le sexologue allemand Magnus Hirschfeld (Die Transvestiten, Les Travestis, 1910). Il s’agit de la première publication à inclure des récits à la première personne rédigés par des individus transgenres, leur donnant ainsi l’occasion de s’exprimer sur des expériences qui avaient jusque-là été éludées, voire pathologisées, par la société.
Hirschfeld commence dès le début des années 1920 à affiner la terminologie utilisée, distinguant les «travestis» occasionnels des «transsexuels», pour qui la chirurgie de réattribution sexuelle est une étape nécessaire pour confirmer leur identité de genre. Mais il faudra attendre le milieu des années 1960 pour que le terme «transgenre» voie le jour. Créé par le psychiatre John Oliven, il a depuis lors été utilisé comme terme générique pour qualifier de nombreux phénomènes de variance de genre. Bien qu’il ait aujourd’hui acquis une certaine popularité auprès du grand public, le terme est encore loin de faire l’unanimité, même au sein des communautés transgenres.
Certaines personnes s’identifiant en tant que transsexuelles rejettent en effet l’appellation «transgenre», car celle-ci laisse entendre que leur identité de genre n’a pas toujours été constante – alors qu’elles n’en ont jamais douté. D’autres soutiennent que le terme «trans» est beaucoup trop général et vague pour être utilisé à des fins politiques. Il faut également tenir compte des particularités sociolinguistiques, qui compliquent encore le débat. Les pays néerlandophones ont par exemple récemment débattu sur les implications terminologiques de l’usage de «transgenre» en tant que nom («un·e transgenre») ou en tant qu’adjectif («une personne transgenre») – ce dernier usage reflétant une pratique courante aux États-Unis.
La discussion autour des dénominations et des identités est en évolution constante; il n’est pas possible d’en retracer ici toutes les subtilités. Dans le cadre de cet aperçu historique, les termes «trans» et «transgenre» sont donc utilisés de la manière la plus inclusive possible pour désigner toute personne à l’identité fluide qui ne se reconnait pas dans les catégories traditionnelles de «masculin» ou «féminin», ou encore toute personne en cours de transition d’une catégorie sexuelle à une autre.
L’appellation «transgenre» a beau être assez récente, les personnes transgenres, elles, ont toujours existé, comme le rappelle Alex Bakker dans son dernier ouvrage Transgender in Nederland: een buitengewone geschiedenis (Transgenres aux Pays-Bas: une histoire hors du commun, 2018). Pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un œil au livre de Rudolph Dekker et Lotte van de Pol, Vrouwen in mannenkleren: De geschiedenis van de vrouwelijke travestie (Femmes en habits d’homme: L’histoire des femmes travesties, 1989). On y trouve de nombreux exemples de personnes ayant vécu aux Pays-Bas au XVIe siècle qui se travestissaient ou remettaient en cause les notions traditionnelles de genre. L’ouvrage Mannelijke vrouwen (Femmes masculines, 1997) de Geertje Mak illustre quant à lui d’extraordinaires actes de non-conformité au genre de la part de femmes vivant en France, en Allemagne et aux Pays-Bas au cours du long XIXe siècle.
Mis à part la récente étude d’Alex Bakker, l’histoire de la communauté trans au XXe siècle en Belgique et aux Pays-Bas est quant à elle beaucoup moins bien documentée. La synthèse qui suit a donc pour objectif de présenter dans les grandes lignes cette période de grandes avancées en matière de sensibilisation et de prises de conscience dans l’histoire de la communauté trans, qui a permis de créer des communautés soudées et solidaires ainsi qu’un climat propice pour militer en faveur de réformes législatives et de l’égalité de droits.
Un peu d’histoire
Les premières chirurgies de réattribution sexuelle ont lieu dans les années 1920 en Allemagne, à l’Institut de sexologie (Institut für Sexualwissenschaft) de Magnus Hirschfeld. Les Pays-Bas suivent toutefois ces développements médicaux de près. À la suite de l’impact médiatique retentissant suscité par la transition sexuelle de l’Américaine Christine Jorgensen à Copenhague en 1952, les appels pour ce genre d’interventions chirurgicales se mettent à pleuvoir aux Pays-Bas et en Belgique.
En 1959 a lieu la première opération de phalloplastie réalisée sur un homme trans, exécutée par des chirurgiens de l’hôpital d’Arnhem, aux Pays-Bas. À partir de 1969, les chirurgies de réattribution sexuelle deviennent de plus en plus fréquentes dans le pays. Grâce à ce travail pionnier, la première clinique entièrement dédiée aux personnes transgenres, baptisée Genderpoli, voit le jour au Centre hospitalier universitaire d’Amsterdam (VUmc) en 1975.
© Wikipedia / Photo by Maurice Seymour, New York
La tendance à considérer l’histoire des premières personnes transgenres uniquement à travers le prisme de l’innovation médicale peut être problématique à certains égards. L’accent mis sur la chirurgie éclipse par exemple l’expérience des personnes ayant choisi de ne pas se faire opérer, comme celle de la mystique belge de l’entre-deux-guerres, Bertha Mrazek-Georges Marasco.
Toutefois, considérer l’accès à des soins de santé spécialisés comme indicateur d’émancipation (et plus tard de réforme législative) met en lumière les réussites des Pays-Bas et de la Belgique dans la lutte pour l’égalité des droits de la communauté transgenre. La grande attention médiatique envers les transitions de genre depuis les années 1950 combinée à un meilleur accès à des soins de santé spécialisés ont ainsi permis à la communauté transgenre d’occuper un espace toujours plus grand dans l’imaginaire culturel, et de rendre la tâche plus facile à ceux qui militent pour leurs droits.
En 1985, les Pays-Bas deviennent l’un des premiers pays d’Europe à autoriser ses citoyens transgenres à changer de sexe sur leurs documents officiels
Grâce à ces évolutions, les personnes transgenres ont commencé à plaider pour plus de sensibilisation, mais aussi à revendiquer leurs droits en tant que citoyens et citoyennes néerlandais·es et flamand·es. En 1985, les Pays-Bas deviennent l’un des premiers pays d’Europe à autoriser ses citoyens transgenres à changer de sexe sur leurs documents officiels. Quatre ans plus tard, le Parlement européen exhortait les États membres à prévoir des services d’appui et de soutien pour leurs citoyens transgenres.
Il a toutefois fallu attendre 20 ans pour que la Belgique adopte une loi similaire en 2007. Même si l’adoption de telles lois représente une avancée majeure dans l’histoire des droits des personnes trans, l’opportunité de changer de sexe sur les documents officiels ne relevait pas que d’une simple formalité, mais dépendait de toute une série de conditions, comme la prise d’hormones, la chirurgie de réattribution sexuelle ou la stérilisation totale et irréversible.
Dans son livre De maakbare man (L’homme réalisable, 2013), l’auteur et chroniqueur Maxim Februari soutient que les Pays-Bas (tout comme la Belgique un peu plus tard) «ont souffert d’avoir été trop tôt à l’avant-garde en matière de transsexualité». À la suite de l’adoption d’une loi considérée comme progressiste (voire révolutionnaire) en 1985, les personnes transgenres ont paradoxalement été forcées à subir des interventions chirurgicales intrusives durant les 30 années suivantes pour simplement pouvoir changer de sexe sur leurs documents officiels.
Surfant sur la vague du fameux «point de bascule pour les transgenres» (‘Transgender Tipping Point’), les Pays-Bas ont révisé leur position en 2014, devenant ainsi le premier pays au monde à autoriser les personnes transgenres à modifier officiellement leur identité de genre sans être contraintes de subir une stérilisation. Cela a rendu la transition de genre possible pour un public plus large, notamment ceux et celles n’ayant pas les moyens d’accéder à des soins de santé spécialisés. En Belgique, l’obligation de subir une chirurgie de réattribution sexuelle ou de stérilisation n’a été supprimée qu’en 2018.
En 2014, les Pays-Bas sont devenus le premier pays au monde à autoriser les personnes transgenres à modifier officiellement leur identité de genre sans être contraintes de subir une stérilisation
Il ressort clairement de ce bref aperçu historique que ni l’accès à la santé ni l’égalité de droits pour les citoyens transgenres des Pays-Bas et de Belgique n’étaient donnés a priori. Les attitudes progressistes des dernières années sont le résultat d’une longue lutte et les récentes avancées ont été durement acquises. Qu’en est-il à présent de la situation actuelle dans les Plats Pays? En quoi l’expérience des personnes transgenres aux Pays-Bas et en Belgique diffère-t-elle des autres pays européens? Quels obstacles reste-t-il à surmonter pour enfin atteindre l’égalité des droits et améliorer la visibilité de la communauté transgenre ?
Être trans aujourd’hui
Selon la dernière série d’études intitulées Over the Rainbow et publiées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les Pays-Bas et la Belgique sont parvenus à surmonter les inconvénients générés par leur place de pionnier et sont à nouveau leaders en matière d’intégration des personnes LGBTI en Europe. Les deux pays ont ainsi supprimé l’obligation d’intervention médicale qui accompagnait tout changement d’identité sexuelle à l’état civil et permettent aujourd’hui à tout·e citoyen·ne de déterminer librement son marqueur de genre sur ses documents d’identité.
Les Pays-Bas ont également vu le développement sur leur territoire de nombreux réseaux et associations de soutien aux personnes transgenres, tels que Transgender Netwerk Nederland, Transgender Info Nederland, Transvisie, TransUnited et T-Nederland, qui organisent régulièrement des actions et des événements. Depuis 2018, une clinique pop-up s’établit mensuellement à Amsterdam, afin d’offrir un lieu sûr aux migrants et réfugiés transgenres ainsi qu’aux travailleurs du sexe. Plus récemment encore, en 2020, la toute première clinique spécialisée dans les soins à destination des enfants et adolescents transgenres, le Radboudumc Centre of Expertise for Sex & Gender, a été inaugurée à Nimègue.
Le rapport de l’OCDE fait mention d’avancées significatives en matière de protection des personnes transgenres et intersexes en Belgique. Le nombre de cliniques spécialisées en chirurgies de réattribution sexuelle est en constante augmentation, tandis que le réseau d’accueil et de soutien Genres Pluriels met à disposition des personnes transgenres, intersexes et non-binaires toute une série de matériel informatif en ligne, et organise permanences, ateliers et formations.
Lors de leur dernier événement tenu en ligne et présidé par le Global Equity Caucus, la vice-première ministre Petra De Sutter a par ailleurs annoncé de futurs changements législatifs. Le gouvernement belge se prépare ainsi «à réformer la loi sur la reconnaissance du genre […] afin de prendre spécifiquement en compte la situation des personnes non-binaires», ainsi qu’à réviser d’autres lois relatives à l’abolition des «interventions considérées médicalement non nécessaires» pour les personnes intersexes. Le soutien aux enfants et adolescents transgenres s’est également fortement développé en Belgique, avec l’aide d’organisations telles que T-Jong, qui proposent des outils pédagogiques pour les familles et les écoles et mettent à disposition des réseaux sociaux spécialisés offrant un espace de soutien aux jeunes pour les guider à travers leur transition de genre.
La question des enfants transgenres est toutefois délicate. L’ouverture du Centre of Expertise for Sex & Gender à Nimègue, par exemple, a suscité la controverse et de nombreuses questions éthiques ont été soulevées concernant l’accès à des traitements hormonaux d’affirmation sexuelle pour enfants et adolescents. Les adversaires des interventions médicales durant l’enfance incitent à la plus grande prudence au moment de déterminer si des enfants de moins de seize ans sont en effet capables de donner leur consentement en toute connaissance de cause à un tel traitement et recommandent de prendre en considération les risques possibles liés à des traitements tels que l’administration d’inhibiteurs d’hormones à des patients prépubères.
Bien qu’il n’existe aucun consensus, public ou médical, concernant la prestation de soins à destination d’enfants transgenres, les Pays-Bas et la Belgique ont néanmoins joué un rôle de premier plan dans le développement de meilleurs soins pour ces jeunes transgenres depuis les années 1990, grâce à la collaboration de spécialistes de Gand et d’Amsterdam. De cette collaboration est née une approche désormais connue sous le nom de Dutch Protocol. Ce protocole, qui fonctionne comme cadre global, suggère de pouvoir proposer un traitement de suppression de la puberté (moyennant autorisation parentale) aux enfants entre onze et seize ans présentant une dysphorie de genre. À partir de quinze-seize ans, un traitement d’affirmation sexuelle -pouvant éventuellement inclure l’utilisation d’hormones- pourrait être proposé au patient. À partir de dix-huit ans, le protocole établit que les jeunes adultes devraient pouvoir avoir accès à des traitements hormonaux ainsi qu’à des chirurgies de réattribution sexuelle, si telle est leur volonté.
Le Dutch Protocol a progressivement été adopté par les pays européens voisins. En France, par exemple, il existe aujourd’hui, dans les hôpitaux Pitié-Salpêtrière et Robert-Debré, des départements spécialisés dans les soins pour enfants et adolescents transgenres. En Allemagne également, de plus en plus de cliniques commencent à porter leur attention sur les soins à destination des jeunes transgenres, tandis que des organisations telles que Trakine ont vu le jour afin de défendre spécifiquement le droit des enfants transgenres à l’accès à des traitements médicaux et, plus généralement, d’offrir un soutien pédagogique et social pour ces enfants et leurs familles.
Malheureusement, il existe encore une opposition à la notion d’autodétermination du genre
Malheureusement, alors que les réseaux de soutien pour enfants transgenres se développent rapidement en Europe, il existe encore une certaine résistance en ce qui concerne les interventions médicales chez les adolescents transgenres, ainsi qu’une opposition à la notion d’autodétermination du genre. En décembre 2020, par exemple, certains tribunaux au Royaume-Uni ont décidé de soumettre à l’approbation judiciaire l’accès à des inhibiteurs d’hormones pour les enfants de moins de seize ans, tandis qu’une initiative récente ayant pour but de permettre aux citoyens de déterminer librement leur genre a été rejetée en mai dernier au Bundestag à Berlin.
Au vu de ces récents échecs, on ne peut que saluer les avancées en la matière qui ont lieu en ce moment aux Pays-Bas et en Belgique. Toutefois, on aurait tort de penser qu’elles suffisent, et de nombreux progrès restent à accomplir en matière de droits et d’égalité pour la communauté trans dans les Plats Pays. En janvier 2020 encore, la Youtubeuse et influenceuse beauté Nikkie De Jager a été forcée à faire son coming-out dans l’une de ses vidéos, après avoir subi du chantage la menaçant de révéler son identité de femme transgenre. Si De Jager est parvenue à transformer cette attaque personnelle en un message positif d’ouverture et de sensibilisation, son exemple nous montre qu’il reste un long chemin à parcourir et que de nombreux problèmes concernant la situation des personnes transgenres en Belgique et aux Pays-Bas doivent encore être débattus.
Concernant plus spécifiquement le chantage subi par De Jager, une lacune dans la loi visant à protéger les minorités a créé un vide juridique qui a pour conséquence que certains crimes commis contre les personnes transgenres demeurent impunis aux Pays-Bas. Par exemple, alors que les propos haineux touchant à l’orientation sexuelle y sont illégaux depuis 1992, les crimes haineux (qui ne comprennent apparemment pas les propos haineux) basés sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, eux, ne le sont pas. De plus, certains manifestants ayant pris part à la récente manifestation Trans Care Now à Amsterdam ont signalé que, malgré l’augmentation du nombre de cliniques spécialisées dans le traitement des personnes transgenres aux Pays-Bas, la médicalisation progressive de la transidentité a été marquée par de nombreux mécanismes de Gatekeeping qui aujourd’hui encore empêchent de nombreuses personnes d’avoir accès aux traitements et soins dont ils ont besoin.
La Belgique accuse, elle aussi, un sérieux retard en matière de protection légale et d’accès aux soins pour les personnes non-binaires et intersexes. Les lois belges ne permettent actuellement pas à l’état civil de reconnaître des individus qui ne s’identifient ni en tant qu’homme ni en tant que femme, ce qui dans les faits équivaut à nier aux personnes non-binaires et intersexes leurs droits civils. Même si les déclarations de De Sutter au Global Equity Caucus
mentionnées plus haut pointent dans la bonne direction, la situation actuelle pour les personnes non-binaires et intersexes en Belgique laisse encore beaucoup à désirer. De plus, le droit à l’autodétermination totale d’identité de genre n’a pas encore acquis force de loi, ni en Belgique ni aux Pays-Bas.
En effet, le fait que le terme « transgenre » n’a pas été officiellement retiré de la classification nationale des pathologies de ces deux pays, ainsi que le fait que les personnes transgenres y sont, aujourd’hui encore, confrontées à des problèmes d’accès aux soins de santé, de discrimination, de chantage et de violence, nous indiquent sans l’ombre d’un doute que la route est encore longue pour atteindre la pleine égalité de droits pour les personnes transgenres, non-binaires et intersexes dans les Plats Pays. Bien que le mois de la Pride LGBTQ+ ait certainement été un moment important pour célébrer tout ce qui a déjà été accompli au nom de la visibilité et des droits trans, il est cependant vital de ne pas perdre de vue les transformations essentielles qu’il reste à mettre en œuvre au nom de l’égalité.