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LABIOMISTA de Koen Vanmechelen, une œuvre d’art évolutive qui évoque le mélange de la vie

Par Elisa Candela, traduit par Caroline Coppens
21 septembre 2020 7 min. temps de lecture

Koen Vanmechelen a créé un repaire d’artistes, LABIOMISTA, sur les fondements du passé minier et de l’ancien zoo de Zwartberg à Genk, au Limbourg. Dans ce parc de 24 ha, il mêle art, nature et science pour former une grande œuvre évolutive qui confronte l’humain à lui-même. Quiconque visite LABIOMISTA recherche avec Vanmechelen les réponses aux grandes questions de notre civilisation.

«Voici pourquoi je vous amène ici», dit-il doucement, mais non sans fierté, lorsque je me retourne et que je tente d’exprimer mon admiration d’un sincère «Comme c’est beau vu d’ici!». À la manière d’un effet domino, mais à l’envers, les différents éléments de LABIOMISTA s’étaient déployés sous mes yeux en une espèce de «nombre d’or». Devant moi se trouve à présent un concept global qui respire tout à la fois la paix, l’harmonie et l’équilibre, la force, l’énergie, la vitalité… en somme, la promesse.

Je me trouve avec Koen Vanmechelen sur le rond-point qui forme l’intersection entre la ville (derrière et à côté de nous) et LABIOMISTA; entre la civilisation et la jungle; entre le domestiqué et l’intact. Une ligne de démarcation qui, comme il apparaîtra, a plus d’une signification sur le site et dans l’esprit de l’artiste. En prenant de biais à droite, on arrive à The Ark, à la Villa OpUnDi et à The Battery. Il s’agit d’une interaction entre une architecture moderne de haut niveau et un patrimoine soigneusement restauré. Derrière s’étend un vaste parc – en partie peuplé par des familles d’animaux de l’univers de Koen Vanmechelen, le Cosmopolitan Culture Park, et en partie «sauvage», le Protected Paradise, qui se prolonge directement par le Parc national du Limbourg.

Pour la construction du portail d’entrée et du hall de réception, The Ark, et de l’atelier, The Battery, l’artiste s’est associé à l’architecte suisse Mario Botta. La brique noire rappelle le passé du site, ancien charbonnage. The Ark ressemble à la proue d’un navire, elle met le moteur en marche. The Battery est le cœur battant du site. C’est l’atelier de l’artiste, son studio. Entre ces deux prouesses architecturales se dresse la Villa restaurée dans sa splendeur d’origine.

LABIOMISTA est une œuvre d’art évolutive, un site en gestation. Cette charge se ressent, mais elle est aussi visible. Une œuvre d’art mythique, grandeur nature, baptisée Guardian, a été installée au sommet de l’Ark
et veille sur l’ensemble. Mi-homme mi-dieu, ployant sous un œuf – la métaphore quasi canonisée de Koen Vanmechelen d’un monde qui attend la suite de son développement -, il est le gardien de la fragilité, du délicat désir en gestation.

«The Ark»

Lorsqu’on passe sous The Ark, on arrive pour ainsi dire dans l’utérus et on devient soi-même une partie de ce développement. La première histoire dans laquelle le visiteur est emmené est SOTWA, le projet visant à faire revivre les troupeaux africains par l’ajout de sang frais.

«Villa OpUnDi»

La Villa, qui servait autrefois de résidence au directeur de la mine, puis à celui du zoo de Zwartberg, abrite aujourd’hui le siège d’OpUnDi. Cette Open University of Diversity rassemble toutes les fondations et tous les projets créés par Koen Vanmechelen, dont les plus importants sont MOUTH, PCC, Incubated Worlds, MECC, Cosmogolem, LUCY, CC® P, The Walking Egg et CWRM. Aujourd’hui, elle accueille aussi une combinaison quasi effrénée d’œuvres d’art acquises de fabrication locale et exotique, et d’œuvres artistiques signées Vanmechelen.

«The Battery»

The Battery, le numéro trois sur la ligne de notre «nombre d’or», et un grand rectangle étiré bordé des deux côtés par une cage gigantesque renfermant à l’avant des oiseaux frugivores et à l’arrière des carnivores. Et donc, entre les deux, l’humain. On retrouve ici cette tension entre la force et le pouvoir, entre manger et être mangé, entre la nature et la culture. «Si on ouvre les cages, on signe la mort des «gentils» petits oiseaux», explique Koen Vanmechelen. «Mais l’homme a intérêt à faire gaffe, lui aussi. L’arrivée du coronavirus l’a forcé à se rendre à l’évidence. On a beau se prendre pour les maîtres de la création, il ne faut pas grand-chose pour passer du statut de prédateur à celui de proie et pour paralyser le monde. Il suffit d’une molécule plus petite qu’une pointe d’épingle.»

Nous passons sous The Battery, le studio de l’artiste n’est pas accessible au public. Trois grandes installations placées à gauche semblent communiquer avec autant d’installations situées à droite. L’épée et l’œuf symbolisant l’humain et le monde; un couple de volailles primitives (les Jungle Fowls) entrant et sortant librement d’une cage surmontée d’un message éclairé au néon: Breaking the cage is setting energy free for future generations (Briser la cage, c’est libérer de l’énergie pour les générations futures); un serpent géant surveillant des sacs remplis d’œufs, mais qui, dès qu’ils écloront, sera le premier à dévorer les poussins.

Et au moment précis où vous souhaitez répondre à l’appel du paradis et prendre le chemin du Parc, vous butez sur Collective Memory, une statue grecque en marbre représentant un enfant qui, assis sur l’Encyclopédie des Droits humains, regarde fixement dans le lointain.

Le Cosmopolitan Culture Park vous emmène, par un chemin sinueux, le long de trois compartiments animaliers divisés par thèmes et aménagés de façon naturelle. Dans votre esprit résonne l’histoire centrale de l’évolution de la diversité qui mène à la croissance, et du mélange qui rend plus fort.

Et au moment précis où vous entamez la boucle du retour, il vous est possible de fuir. Protected Paradise brille d’un portail imaginaire et vous attire dans le monde intact.

Désormais, cette partie du site a elle aussi son gardien. La sculpture Protecting the Other a été placée au bout du chemin pendant le confinement. Mi-femme mi-muse, elle symbolise le passage du monde domestiqué à la nature.

Quittons la nature et rejoignons plus loin le sentier du Cosmopolitan Culture Park.

Autruches, nandous, lamas, alpagas, dromadaires… tous ces animaux occupent une place prépondérante dans l’histoire par laquelle Koen Vanmechelen entrelace art, culture, nature et science dans sa quête de réponses aux grandes questions de notre civilisation.

En découvrant Collective Memory, la sculpture de marbre noir récemment installée au bord du chemin, on réalise qu’on n’a pas toujours bien agi. L’enfant porte à présent un bandeau sur les yeux. «Ne veut-il pas voir le monde?» s’interroge Koen Vanmechelen. «Ou voulons-nous lui épargner la vue du monde que nous lui laissons?»

Un peu plus loin, on voit le lama Winter of ground zero se promener parmi ses congénères. Il joue un rôle dans la recherche d’un médicament contre le COVID19. Les camélidés sont utilisés dans la lutte que mène l’humain pour se protéger contre les virus SARS, MERS, VIH… Retour à l’an 2000. Koen Vanmechelen offre à sa femme Inge deux lamas pour son anniversaire. Un empoisonnement dû à l’ingestion de rhododendrons amène l’un des animaux au bord de la mort, mais Inge veille, douze heures durant. Le lama s’en sort, l’étonnement est grand. Ce sont les débuts de la découverte du double système immunitaire.

«Nomadland»

The global only exists by the generosity of the local (Le global n’existe que par la générosité du local) est l’une des déclarations récurrentes de Koen Vanmechelen. Aujourd’hui, les visiteurs viennent de loin pour découvrir LABIOMISTA. Les recettes de la billetterie servent intégralement à financer l’exploitation publique du parc et le développement des communautés genkoises adjacentes à LABIOMISTA. Pas moins de 130 nationalités y exploitent un patchwork de jardins ouvriers. Les récoltes sont transformées en aliments et en boissons qui sont offerts aux visiteurs lors de soirées festives façon nomade sur des terrasses aménagées dans l’herbe, et bordées de joyeuses roulottes éclairées de néons et de lampes multicolores.

Koen Vanmechelen 2000-2020: un artiste évolutif

Ceux qui associent Koen Vanmechelen à son Cosmopolitan Chicken Project
le connaissent depuis ses débuts.

Ce projet n’avait rien d’éphémère puisque 25 races de poules internationales ont rejoint à ce jour le projet, lequel illustre la force de la diversité, les dangers de la consanguinité et de la monoculture, et l’enrichissement que représente l’apport de sang neuf.

Quiconque a suivi le parcours de Koen Vanmechelen dans le monde au cours des vingt dernières années sait que tout ce qui a été rassemblé aujourd’hui dans LABIOMISTA représente autant de chapitres d’une histoire logique.

Dans LABIOMISTA, tout est le résultat d’une trajectoire en mouvement constant. LABIOMISTA est en quelque sorte une extension sous forme d’exposition de ce que Koen Vanmechelen faisait il y a vingt ans, lorsqu’il a croisé les premières races de poules et s’émerveillait de la force du lama qu’il avait offert à sa femme.

Et ce n’est pas terminé: ni dans son parc ni dans sa tête, qui abrite un cerveau qui ne connaît pas de repos. Il n’en a pas fini avec ses tentatives de recourir à des métaphores pour forcer l’humain à se regarder dans la glace. Il n’en a pas fini de collaborer avec la science pour chercher des solutions amorcées par l’intuition artistique. Il n’en a pas fini de parcourir le monde en réponse à l’appel du coq et à la constitution miraculeuse du camélidé, à la recherche de moyens de fournir une vie équitable et digne à de grandes parties de la population mondiale. Il n’en a pas fini de développer LABIOMISTA avec des nouveautés qui peuvent plaire à un public, mais qui doivent surtout appeler à agir.

Candela

Elisa Candela

écrivaine - traductrice

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