«L’accueil et le rayonnement»: «Septentrion» dans les starting-blocks
«Enrichissons-nous de nos mutuelles différences.» Cette citation de Paul Valéry chapeaute fièrement l’avant-propos que le Flamand Jozef Deleu a rédigé pour le tout premier numéro de la revue Septentrion. Il a paru en 1972.
Deleu estimait que «le devoir de toutes les cultures d’Europe» était «l’accueil et le rayonnement». Mais il devait reconnaître que les pays de langue néerlandaise (les Pays-Bas et la Flandre belge) n’avaient «pas toujours suffisamment assumé cette mission». Il était urgent que l’espace linguistique néerlandais se présente en toute décontraction au monde francophone, et l’accent pouvait également être mis sur leurs différences.
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Deleu envisageait déjà depuis un certain temps de lancer une revue en français, et il savait à quoi il s’attaquait. Il avait gagné ses galons avec la revue en langue néerlandaise Ons Erfdeel, dont l’objectif était de promouvoir la coopération entre tous les néerlandophones. En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, Ons Erfdeel (aujourd’hui De Lage Landen) s’était affirmée comme l’une des principales, sinon la principale des revues culturelles de portée générale diffusées dans l’espace néerlandophone. Les premiers numéros de Ons Erfdeel étaient… bilingues (néerlandais-français). Le titre était double: Ons Erfdeel / Notre patrimoine. De sorte que la revue contenait un peu en germe le futur Septentrion.
Dans le mille
Peu avant que Septentrion voie le jour, Deleu avait fondé l’association Ons Erfdeel, ce qui allait lui permettre de mieux donner forme à son idée. Mais avoir une idée est une chose, la concrétiser en est une autre. Quoique, qui connaît Deleu sait qu’il arrive pratiquement toujours à ses fins. Il faut dire qu’il pouvait aussi faire appel à un solide groupe d’amis et de conseillers. Pour n’en citer qu’un: Sadi de Gorter, le premier directeur de l’Institut néerlandais de Paris. Deleu voyait en lui un «fidèle conseiller et ami capable d’ouvrir pas mal de portes». De Gorter réfléchissait d’ailleurs comme d’autres à un titre pour la nouvelle revue. Sa préférence allait à «Mer du Nord».
Comment se présentait le premier numéro? En couverture figurait une sculpture d’Octave Landuyt, un des plus grands artistes flamands de l’heure, et le sous-titre était Revue de culture néerlandaise. Deleu m’écrit que le numéro inaugural «ne pouvait renfermer que des articles de premier ordre», autrement dit: il devait tout de suite donner dans le mille. Il suffit de feuilleter la revue quelque cinquante ans plus tard pour constater que ce fut une réussite. Et nous ne parlons pas seulement des sujets, encore que des articles traitant notamment de Hugo Claus, de Vincent van Gogh, de l’enseignement du néerlandais à l’université de Lille III et de l’Église catholique aux Pays-Bas eussent tout pour retenir d’emblée l’attention.
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Le lecteur d’aujourd’hui reste sidéré devant la stature des auteurs des articles. S’il faut admettre que les éminents néerlandophones qui collaborèrent à ce numéro n’éveillaient sans doute pas d’écho auprès du lecteur d’expression française, l’article d’ouverture portait la signature d’un francophone célèbre: André Malraux en personne. Une fois encore, Sadi de Gorter avait ouvert une porte. Malraux avait choisi pour thème Le Pays d’origine, roman de son ami néerlandais Edgar du Perron. La devise de Septentrion n’était-elle pas «enrichissons-nous de nos mutuelles différences»?
Septentrion était désormais diffusé en pays francophones trois fois par an (et même quatre fois à partir de 1986). Dès le premier numéro, le ton était donné. Plus question pour aucun ou aucune francophone d’encore prétendre ne pouvoir s’informer sur les Plats Pays. Surtout quand on peut le faire dans sa propre langue.