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L’afrikaans, une langue en danger

Par Ingrid Glorie, traduit par Pierre Lambert
27 octobre 2022 17 min. temps de lecture

De nos jours, l’afrikaans continue à souffrir d’un certain discrédit. En outre, comme de nombreuses autres langues en Afrique du Sud, il fait face à la concurrence rude de l’anglais. Sa survie semble dépendre de la réponse à cette question: s’agit-il, oui ou non, d’une langue autochtone? Si l’avenir de l’afrikaans est incertain, la résistance s’organise toutefois pour lutter contre son déclin, et pas uniquement dans la communauté blanche.

«L’afrikaans et les langues khoï et san sont des langues autochtones de l’Afrique du Sud», pouvait-on lire, le 11 mai 2022, sur le site d’information sud-africain Netwerk24. L’article se basait sur un avis juridique adressé à Blade Nzimande, le ministre sud-africain de l’Enseignement supérieur, des Sciences et de l’Innovation. Bien que le ministre ait reçu cet avis dès octobre 2021, sa teneur venait juste d’être révélée, sept mois plus tard1.

L’avis souligne que l’afrikaans est une langue indépendante (donc pas un dialecte du néerlandais), qui plus est indigène de l’Afrique du Sud. Par conséquent, refuser d’allouer à l’afrikaans les ressources auxquelles il a droit en tant que langue autochtone serait contraire à la Constitution sud-africaine et à divers arrêts rendus précédemment par la Cour constitutionnelle2.

La Demokratiese Alliansie ou DA parle de «victoire historique pour la protection et la promotion de la diversité culturelle et linguistique de l’Afrique du Sud»3. Mais pourquoi la reconnaissance de l’afrikaans et des langues khoï et san en tant que langues autochtones est-elle si importante? Et que signifie cet avis pour la position de l’afrikaans en tant que langue d’enseignement dans les universités du pays?

L’afrikaans dans la Constitution de la «nouvelle» Afrique du Sud

Les partis qui rédigèrent la Constitution de la «nouvelle» Afrique du Sud dans les années 1990 avaient compris que la langue était liée à l’identité et qu’elle pouvait donc être –pour reprendre les termes du linguiste néerlandais Hans Bennis– «tant un facteur de cohésion qu’une force de division dans et entre les groupes d’individus» 4. Dès le premier chapitre de la Constitution de 1996, on trouve une clause linguistique stipulant que l’Afrique du Sud aurait désormais onze langues officielles: l’anglais, l’afrikaans, le zoulou, le xhosa, le sotho du Nord et du Sud, le tswana, le tsonga, le swazi, le venda et le ndébélé du Transvaal. Aux termes de la Constitution, toutes ces langues ont droit à un traitement égal. La mise en œuvre d’une politique linguistique aux niveaux national, provincial et local devait garantir la possibilité pour chaque citoyen d’utiliser autant que possible sa propre langue dans ses contacts avec les autorités. Il fallait en outre créer les conditions permettant à chaque langue de poursuivre son développement. Ce dernier point s’appliquait également aux langues des Khoïkhoï et des San, ainsi qu’à la langue des signes sud-africaine.

Deux autres articles stipulaient que les établissements d’enseignement publics devaient dispenser le plus possible leurs cours dans la langue des élèves et des étudiants, et que tout citoyen avait le droit d’utiliser sa propre langue et de participer à la vie culturelle de son choix.

La note sur la nouvelle politique linguistique, entrée en vigueur le 1er février 2022, contient des recommandations en vue de promouvoir l’emploi des langues autochtones. Une intention à première vue louable. Mais en lisant attentivement le texte, on se rend compte qu’il y est désormais uniquement question des langues autochtones noires. L’anglais, devenu la langue dominante en Afrique du Sud depuis 1996, n’a certes pas besoin de soutien. Mais l’afrikaans et les langues khoï et san se voient soudain exclus de cette politique.

Une langue originaire d’Europe mais propre à l’Afrique

L’afrikaans est-il une langue autochtone? Sur cette question, les points de vue divergent, même parmi les linguistes.

L’afrikaans commença à se forger vers la fin du XVIe siècle, au gré des contacts entre les marins néerlandais et les Khoïkhoï, la population locale de la région du cap de Bonne-Espérance. Les Néerlandais empruntèrent essentiellement à la langue des Khoïkhoï des indications topographiques et des noms d’animaux et de plantes, comme Karoo (semi-désert, le mot signifiant «pays de la soif»), couagga (ancienne espèce de zèbre) et dagga (chanvre). En 1652, la VOC (Compagnie néerlandaise des Indes orientales) établit une escale au Cap, exposant la langue néerlandaise à de nouvelles influences, et tout particulièrement à celle des esclaves importés d’Asie du Sud et du Sud-Est et d’Afrique de l’Ouest et de l’Est. La lingua franca sur les navires qui amenaient ces esclaves au Cap était un mélange de malais et de portugais. Beaucoup d’entre eux étaient employés dans les cuisines, d’où le nombre singulièrement élevé de termes alimentaires qui passèrent du malais à l’afrikaans: piesang (banane), koejawel (goyave), mielie (maïs), bobotie (plat à base de viande hachée), etc.

Le phénomène du redoublement, comme dans plek-plek (çà et là) et nou-nou (bientôt), est également issu du malais. Peu à peu, les colons pénétrèrent plus à l’intérieur des terres, entrant ainsi en contact avec des peuples bantous, tels que les Xhosa et les Zoulous. Ils leur empruntèrent essentiellement des termes spécifiques aux cultures locales, tels que indaba (assemblée des anciens), lobola (dot) et sangoma (guérisseur). En 1806, les Britanniques s’emparèrent du pouvoir et l’anglais se mit à exercer une profonde influence sur la langue des colons néerlandais.

À vrai dire, la langue usuelle au Cap avait cessé d’être le néerlandais dès la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les habitants de la colonie appelaient leur langue Kaaps-Hollands (hollandais du Cap), l’appellation «afrikaans» ne se propageant réellement qu’après 1875. Cependant, les emprunts à d’autres langues furent principalement d’ordre lexical. Il se produisit une certaine simplification (avec notamment la disparition de la conjugaison du verbe), mais le vocabulaire, la morphologie et la syntaxe restèrent largement ceux du néerlandais. C’est pourquoi les linguistes sud-africains Wannie Carstens et Edith Raidt concluent dans leur ouvrage Die storie van Afrikaans (L’Histoire de l’afrikaans, 2019) que l’afrikaans est une langue «originaire d’Europe, mais propre à l’Afrique»5.

Les militants linguistiques soulignent que l’afrikaans est né en Afrique; c’est même la seule langue qui fait référence au continent africain dans son nom

Les militants linguistiques estiment que cette conclusion ne va pas assez loin. Ils soulignent que l’afrikaans en tant que langue est né en Afrique; c’est même la seule langue qui fait référence au continent africain dans son nom.

«La question est de savoir quelles portes resteront fermées si l’afrikaans n’est pas considéré comme une langue autochtone», note Conrad Steenkamp, secrétaire général de l’Afrikaanse Taalraad (ATR), qui regroupe plus de trente organismes de défense de l’afrikaans. «Sur le plan politique, cela signifie que l’on peut qualifier un groupe de personnes comme étant ‘l’Autre’. Cela creuse un fossé entre les gens et constitue une tentative de marginalisation des minorités. Cette stratégie politique est dangereuse.»

Démographie de l’afrikaans

Selon les dernières statistiques, le zoulou est la plus parlée des onze langues nationales officielles, suivie du xhosa, de l’afrikaans et de l’anglais. Cependant, la plupart des Sud-Africains sont polyglottes et beaucoup apprennent l’afrikaans comme deuxième ou troisième langue. Par conséquent, l’afrikaans sert souvent de langue de communication entre personnes appartenant à des groupes linguistiques différents. Quelque 48 % des Sud-Africains maîtrisent l’afrikaans.

D’aucuns considèrent que l’afrikaans est une langue «de Blancs». À tort, car plus de 6,8 millions de Sud-Africains parlent l’afrikaans chez eux. La majorité d’entre eux, environ 50 % (3,4 millions), sont métis («coloureds») et environ 40 % (2,7 millions) sont blancs. À ceux-ci s’ajoutent quelque 600 000 Sud-Africains noirs et 59 000 d’origine indienne qui emploient l’afrikaans à la maison6. Alors que le nombre de locuteurs de l’afrikaans parmi la population blanche reste plus ou moins stable, voire est en léger recul depuis 1996, il augmente dans d’autres groupes. Au sein de la communauté métisse, plus de 75 % parlent l’afrikaans dans le cadre familial.

L’afrikaans est également parlé en dehors de l’Afrique du Sud. Dans la Namibie voisine, il constitue la langue maternelle de 10 % des quelque 2,1 millions d’habitants. Dans ce pays aussi, l’afrikaans est encore souvent utilisé comme langue de communication entre les membres de différents groupes linguistiques. En outre, de nombreux expatriés sud-africains au Royaume-Uni, en Australie, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, au Canada, etc. ont l’afrikaans comme langue maternelle.

Certaines couches de la population sud-africaine continuent à stigmatiser l’afrikaans comme «langue de l’apartheid». En 1975, le ministère de l’Enseignement bantou avait décrété que certaines matières du secondaire ne pouvaient être enseignées aux élèves noirs qu’en afrikaans, et non en anglais ou dans une langue autochtone. Cette décision eut des effets désastreux sur les chances de ces étudiants de décrocher un diplôme. Le 16 juin 1976, des milliers d’étudiants de Soweto descendirent dans la rue pour protester contre l’emploi de l’afrikaans dans l’enseignement. La police ouvrit le feu, tuant 23 manifestants. Dans les semaines qui suivirent, la violence se propagea à d’autres townships. Les images de la police tirant sur des enfants firent le tour du monde et suscitèrent de vives réactions internationales. L’indignation fut également grande dans la population blanche d’Afrique du Sud. On considère généralement que les émeutes de Soweto marquèrent le début de la fin de l’apartheid.

Sous le régime de ségrégation raciale, certains militants anti-apartheid avaient appris l’afrikaans à la maison. On conserve de cette époque un corpus intéressant de poésie contestataire en afrikaans et il va sans dire que des écrivains tels que Breyten Breytenbach et André P. Brink, radicalement opposés à l’apartheid, faisaient aussi usage de cette langue. Pourtant, certains milieux continuent à afficher une grande défiance envers l’afrikaans. La lutte pour la préservation de l’afrikaans est souvent considérée comme une tentative de retour à l’ancien régime. Ce sentiment anti-afrikaans fut à l’origine des manifestations d’étudiants qui éclatèrent en 2015 et 2016, avec des slogans tels que #AfrikaansMustFall et #OpenStellenbosch. Le refus du ministre Nzimande de reconnaître l’afrikaans en tant que langue autochtone semble aussi dicté par cette méfiance.

Pendant les années d’apartheid, l’«afrikaans standard» était la norme. Aujourd’hui, les linguistes préfèrent parler d’«afrikaans général» pour se référer à la langue utilisée dans les médias écrits et audiovisuels. Ils accordent en outre une attention croissante aux variétés telles que le Kaapse Afrikaans (afrikaans du Cap) le Gariep Afrikaans (afrikaans du fleuve Orange) et le Westkust-Afrikaans (afrikaans du Cap-Occidental), qui sont principalement employées par la communauté métisse. Depuis une dizaine d’années, l’ouvrage de référence Woordeboek van die Afrikaanse Taal (Dictionnaire de la langue afrikaans) intègre des mots issus de ces variétés dans son lexique.

Un projet de Drietalige Woordeboek van Kaaps (Dictionnaire trilingue du Kaaps) a été dévoilé à la mi-2021. On peut espérer que cette initiative mettra fin à la marginalisation de l’afrikaans du Cap et, indirectement, des autres variétés. Aux yeux de l’ATR, toutes les variétés doivent être placées sur un pied d’égalité. Pourquoi un écolier, par exemple, n’aurait-il pas le droit d’écrire wiet au lieu de weet (formes du verbe «savoir»)? Cette démarche inclusive tend à aplanir les différences au sein de la communauté linguistique afrikaans très diversifiée, dans l’espoir de renforcer la position globale de l’afrikaans.

«La langue rend les gens plus forts»

Vingt-cinq ans après la signature de la Constitution de 1996, force est de constater que le gouvernement sud-africain n’est pas parvenu à mettre en œuvre une politique de multilinguisme efficace. L’anglais prédomine dans de nombreux domaines. Et ce, au détriment de l’afrikaans, des neuf langues nationales bantoues et d’autres parlers minoritaires comme les langues khoï et san.

Depuis l’abolition de l’apartheid au début des années 1990, l’afrikaans a perdu beaucoup de terrain dans la politique, l’administration, l’éducation, le droit, l’économie, les médias et les sciences. En revanche, il reste bien vivant dans le monde culturel, notamment grâce aux kunstefeeste (festivals) régionaux et à l’émergence de personnalités métisses dans la musique et la littérature, au cinéma, à la télévision et au théâtre. En règle générale, la culture afrikaans ne reçoit pratiquement aucun soutien de la part des pouvoirs publics. Le rôle joué aux Pays-Bas et en Belgique par des fonds tels que le Letterenfonds (Fonds littéraire) et le Fonds voor de Podiumkunsten (Fonds pour les arts de la scène) est dévolu en Afrique du Sud à de grandes entreprises, des trusts et des mécènes privés.

L’afrikaans peut se prévaloir d’une longue tradition de lutte linguistique, ce qui n’est pas le cas des langues bantoues nationales. Quoi de plus logique pour une personne de langue maternelle zoulou ou xhosa, issue d’un milieu défavorisé et désireuse d’améliorer ses conditions de vie, que d’opter pour l’anglais, la langue du pouvoir économique? La promotion unilatérale de cette langue par le gouvernement sud-africain a donc été encore plus néfaste pour les autres communautés linguistiques. L’égalité et le développement des langues promis par la Constitution de 1996 n’ont donc donné que de piètres résultats. L’intérêt pour la promotion des langues autochtones est un phénomène encore très récent.

La lutte pour la préservation de l’afrikaans concerne principalement la position de cette langue dans les universités. Elle part du principe que la disparition de l’afrikaans dans l’enseignement supérieur entraînerait inévitablement son déclin dans les écoles primaires et secondaires. Or, ces dernières années, un nombre croissant d’universités ont cessé d’enseigner en afrikaans, de sorte que les seuls endroits où il est encore possible aujourd’hui de faire des études dans cette langue sont l’université de Stellenbosch et le campus Potchefstroom de l’université du Nord-Ouest. Le mouvement syndical Solidariteit, majoritairement blanc, a créé sa propre université privée Akademia sous le slogan Studeer in Afrikaans (étudiez en afrikaans). Pour l’instant, elle ne propose qu’un nombre limité de filières.

ces dernières années, un nombre croissant d’universités ont cessé d’enseigner en afrikaans

Beaucoup croient que ce sont surtout les locuteurs blancs de l’afrikaans qui s’inquiètent de l’avenir de leur langue, en en prenant pour preuve l’hostilité ouverte des ministres de l’Enseignement susmentionnés. Mais en réalité, ce sont les Sud-Africains métis et noirs qui sont désavantagés par l’anglicisation. Car la mauvaise maîtrise de la langue anglaise entrave leur accès aux services, aux soins de santé et à l’éducation, par exemple. Ce sont surtout les personnes pauvres, souvent issues de zones rurales reculées, qui en subissent les inconvénients.

Par conséquent, des associations telles que le DAK Netwerk (Réseau DAK) et le Stigting vir Bemagtiging deur Afrikaans (Fondation pour l’autonomisation par l’afrikaans) soulignent l’importance de l’enseignement dans la langue maternelle. Danie van Wyk, président du DAK Netwerk, qui œuvre en faveur des locuteurs de l’afrikaans issus de communautés défavorisées7, explique: «La langue renforce les capacités des gens. Quand on vous prive de votre langue, vous risquez de perdre votre pouvoir d’action. Un bon système éducatif nous permet de lutter contre la pauvreté. Nous mettons l’accent sur la langue, mais nous œuvrons en même temps à améliorer la situation socioéconomique de notre communauté métisse.»

«Nous avons forgé cette langue»

Après les bouleversements politiques des années 1990, il n’a pas fallu longtemps pour que l’ancienne lutte linguistique reprenne de plus belle dans les rangs des Afrikaners. Peu à peu, les organisations blanches ont commencé à tendre la main aux locuteurs métis de l’afrikaans, qui sont plus nombreux que les Blancs à parler cette langue. Si les Afrikaners parvenaient à associer ces métis à leur combat linguistique, leur cause en sortirait renforcée.

Ces premières tentatives de rapprochement n’étaient donc pas dépourvues d’un certain opportunisme. Mais, aujourd’hui, les locuteurs métis de l’afrikaans ont pris les choses en main, indique Danie van Wyk: «Nous, les Sud-Africains métis, ne voulons pas jouer les seconds couteaux. L’afrikaans n’est pas une langue de Blancs, mais une langue qui inclut tous les locuteurs: blancs et métis.»

Selon Willa Boezak, membre du Conseil des chefs de la Griekwa Nasionale Konferensie, au moins 99 % de sa communauté parle afrikaans. Il rappelle que, lors des contacts initiaux avec les marins néerlandais, les Khoïkhoï furent les premiers à adopter des mots de la langue de l’Autre dans la leur. C’est ainsi qu’ils ont forgé le mot brokwa, contraction du néerlandais brood (pain) et du suffixe khoï -kwa (choses), qui signifie plus ou moins «types de pain». Ce que l’on appelle le Khoe Afrikaans ou Gariep Afrikaans (afrikaans du fleuve Orange) a précédé les premières modifications du néerlandais au Cap. C’est pourquoi les Khoïkhoï sont considérés comme les premiers locuteurs de l’afrikaans. «C’est nous qui avons créé cette langue commerciale à la fin du XVIe siècle au contact des Néerlandais, rappelle Boezak. Alors bien sûr, nous, Khoïkhoï et San, sommes fiers de l’afrikaans.»

Le ton juste

Selon Danie van Wyk, il est important de trouver le ton juste pour mener ces discussions sur l’afrikaans. Certaines organisations sont très contestataires. Après la présentation, à la mi-février 2022, d’un nouveau projet de loi visant à retirer le contrôle des écoles aux conseils des parents et à accroître l’influence de l’État sur la politique linguistique et les règles d’admission, Solidariteit
a aussitôt décrété la «bataille des batailles». Le groupe de pression Afriforum, rattaché à Solidariteit, a déclaré que ce projet s’inscrivait dans une «campagne de haine» menée par le gouvernement de l’ANC contre les enfants et les établissements scolaires afrikaans.

D’autres organisations linguistiques et culturelles adoptent une approche plus modérée. « Nous devons dépolitiser la langue, estime Van Wyk. Les locuteurs de l’afrikaans ne doivent pas constamment plaider leur cause au tribunal. Nous ne voulons pas être associés à des groupes qui portent atteinte à la réputation de l’afrikaans. »

«À mon avis, cette approche belliqueuse est contre-productive », approuve Ria Olivier, Programme Manager à l’ATR. L’afrikaans n’a pas besoin d’adversaires, mais bien d’alliés. Pour forger des alliances, il faut favoriser une citoyenneté inclusive et transformatrice visant un traitement égal de toutes les langues nationales.»

Une victoire à la Pyrrhus?

C’est la Demokratiese Alliansie qui, l’année dernière, avait contraint le ministre Nzimande à demander un avis juridique sur le statut autochtone de l’afrikaans et des langues khoï et san. Dès octobre 2021, le ministre recevait cet avis recommandant de considérer ces langues comme indigènes et d’adapter la politique linguistique en conséquence, mais la nouvelle ne s’ébruita qu’après un recours au Promotion of Access to Information Act (loi sud-africaine sur la promotion de l’accès à l’information) par la DA.

Dans un premier temps, la DA a voulu donner l’impression que le «revirement» de Nzimande était entièrement attribuable aux pressions exercées par son parti. Plus tard, le député du DA Leon Schreiber a toutefois reconnu que ce résultat était le fruit des efforts conjugués de tout un «écosystème». «Conjointement avec la DA […], le DAK Netwerk, l’Afriforum, l’ATR […] et des milliers d’individus ayant signé des pétitions et participé à des manifestations ont contribué à ce succès», a-t-il admis7.

Bien que la DA parle d’une victoire historique, les autres groupes de pression sont moins optimistes quant à une amélioration véritable de la position de l’afrikaans dans les universités. Tout d’abord, bien que le ministre ait été en possession depuis des mois de l’avis rendu, il n’a en rien modifié sa politique. Ensuite, il semblerait que le ministère ait l’intention de promouvoir uniquement les langues anciennement défavorisées, et non toutes les langues autochtones. Dans ce cas, l’afrikaans serait exclu de cette politique. Danie van Wyk a donc réagi de façon réservée à la nouvelle diffusée par Netwerk24. Le DAK Netwerk ne souhaite pas faire de commentaires tant que la note sur la politique linguistique n’a pas été rendue publique.

Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’attitude que les universités vont adopter. La reconnaissance de l’afrikaans en tant que langue autochtone fournit à la communauté afrikaans un argument de poids pour faire pression sur les administrations universitaires, comme l’a souligné Anne-Marie Beukes, linguiste et directrice de l’Académie sud-africaine des sciences et des arts. Mais encore faut-il que la communauté formule cette demande et que les universités y donnent suite. «Chaque université aura encore la possibilité d’enseigner en anglais si cette solution s’avère la moins coûteuse ou si les étudiants en expriment le souhait», estime Beukes8.

Notes:
1. Llewellyn Prince & Christiaan Du Plessis, «Inheemse tale: “Oorwinning vir Afrikaans”» (Langues autochtones : une victoire pour l’afrikaans), Netwerk24, 11 mai 2022.
2. Jean Oosthuizen, «Regsmening bevestig Afrikaans se status as inheemse taal» (Un avis juridique confirme le statut de l’afrikaans en tant que langue autochtone), LitNet, 12 mai 2022.
3. Llewellyn Prince & Christiaan Du Plessis, «Inheemse tale: “Oorwinning vir Afrikaans”» (Langues autochtones: une victoire pour l’afrikaans), Netwerk24, 11 mai 2022.
4. Hans Bennis, «Taal als bindmiddel en als splijtzwam» (La langue comme facteur de cohésion et force de division), NEMO Kennislink, 29 mars 2017.
5. W.A.M. Carstens & E. H. Raidt, Die storie van Afrikaans uit Europa en van Afrika (Histoire de l’afrikaans, une langue originaire d’Europe et propre à l’Afrique), tome 2, Protea Boekhuis, Pretoria, 2019, p. 845.
6. Le terme «coloured» est sujet à controverses. Le mot plus neutre «bruin» (traduit par métis en français) désigne à la fois les descendants des esclaves malais, les Khoïkhoï et les San, souvent mêlés à d’autres groupes ethniques.
7. L’abréviation DAK fait référence à trois chefs khoï de l’époque de Jan van Riebeeck: Doman, Autshumoa et Krotoa.
8. Jean Oosthuizen, «Regsmening bevestig Afrikaans se status as inheemse taal» (Un avis juridique confirme le statut de l’afrikaans en tant que langue autochtone), LitNet, 12 mai 2022.
Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 6, 2022.
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Ingrid Glorie

journaliste indépendante - spécialiste de l’afrikaans et de la culture d’Afrique du Sud

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