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histoire

L’Anseelisme fait fédération ?

Par Hendrik Defoort, traduit par Marcel Harmignies
30 avril 2019 17 min. temps de lecture

Au XIXe siècle, il existait des liens étroits entre le socialisme flamand et celui du nord de la France. L’apport des socialistes de Gand a été important dans la mise en place d’une organisation sur le sol français. L’exemple de la coopérative socialiste gantoise « Vooruit » y a joué un rôle central.

Dans le dernier quart du XIXe siècle, on prétendait souvent dans le Nord « qu’il n’y avait que des Belges qui étaient socialistes ». On a aussi longtemps dépeint le leader socialiste Jules Guesde comme le «député des Belges naturalisés et non pas des véritables Français de l’arrondissement » (Lentacker, 251). Les développements économiques et la composition sociologique de la population qui leur est étroitement liée firent du Nord un département important pour le mouvement ouvrier socialiste en essor durant le dernier quart du XIXe siècle. Dans l’historiographie de ce mouvement, le Nord est présenté comme « le guesdisme fait fédération » (Willard, 1993, 242). Le rôle de chef de file de la fédération du Nord vis-à-vis de toutes les autres fédérations de France donne une importance particulière aux liens assez nombreux établis entre milieux socialistes de Flandre et du nord de la France. Si nous laissons de côté toute forme d’essentialisme dans la définition du « socialisme » pour le voir purement comme « ce que les socialistes ont fait ou font », ne devons-nous pas alors en rester là et décider que le Nord peut être bien mieux défini comme « l’anseelisme fait fédération » ?

1879: exit «les voies trompeuses du coopératisme»

La répression sanglante de la Commune en 1871 eut comme suite la mort ou l’exil de milliers de militants du mouvement ouvrier et confirma de manière effarante le comportement fondamentalement répressif du pouvoir républicain. Le contraste était grand entre les innombrables factions sectaires internes au mouvement ouvrier français et le Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD) organisé, axé sur la conquête d’un pouvoir politique. Le charismatique Jules Guesde fut l’un des grands tenants de la reproduction, en France, de l’exemple du SPD. À l’occasion d’une série de congrès ouvriers nationaux, on discuta intensément, à partir de 1876, de la voie que devait prendre le mouvement ouvrier socialiste de France. Lors du troisième congrès de cette série, en octobre 1879 à Marseille, Guesde réussit à rallier une majorité autour de lui : en scandant « Vive la Révolution », on adopta le collectivisme comme objectif ultime. Après lecture d’un appel du SPD à s’organiser en parti politique indépendant, la Fédération des travailleurs socialistes de France fut mise en chantier : « C’est l’orientation politique et révolutionnaire de Jules Guesde qui a prévalu » (Moreau, 38). Ce tournant ressemblait fort à un coup de main. En effet, les congressistes représentaient une petite avant-garde des travailleurs syndiqués, qui à leur tour se noyaient dans la masse des travailleurs non syndiqués.

Pourtant, le congrès de 1879 constitua une rupture : « Le jeune collectivisme y triompha du vieux coopératisme » (Brizon et Poisson, 205). Tout à fait conformément à la doctrine du SPD, l’organisation coopérative sous toutes ses formes fut proscrite comme invention de la bourgeoisie. En Grande-Bretagne il était déjà très concrètement établi que les coopératives transformaient tous les travailleurs en capitalistes et en petits-bourgeois. Leur « participation » dans la coopérative faisait qu’à court terme ils n’étaient plus réceptifs au moindre radicalisme et qu’à long terme ils s’intégraient complètement à la société bourgeoise-capitaliste. Même ses « adversaires » souscrivaient maintenant au propos de Périer dans Les Associations de coopération, de 1864 : « les sociétés coopératives sont contre les erreurs et les périls du socialisme le plus sûr et le plus généreux des remèdes ».

Jules Guesde était le grand-prêtre absolu de ce nouveau discours anticoopératif. Son argumentation principale se référait sans cesse à la Loi d’airain des salaires, énoncée par Ferdinand Lassalle : la minimisation des salaires est une tendance inéluctable du système capitaliste. Appliquée aux coopératives de consommation, cette loi impliquait que les profits temporaires apportés éventuellement par le système coopératif se traduiraient inévitablement par une baisse des salaires. Son simplisme économique explique peut-être le grand pouvoir de séduction de cette Loi d’airain des salaires. Marx lui-même montrait déjà dans Le Capital que les salaires présentaient au contraire une très grande élasticité, mais cela n’empêchait pas de nombreux marxistes d’appliquer cette loi des salaires de Lassalle comme argument contre l’utilisation des organisations coopératives en tant que moyen de la lutte des classes. Exception faite des sempiternelles répétitions sous forme de quantité d’articles et de conférences, cette théorie fut propagée surtout par la brochure de Jules Guesde, parue la première fois en 1879 et rééditée à plusieurs reprises jusqu’en 1906, intitulée La Loi des salaires et ses conséquences.

Naturellement on trouvait encore, après 1879, des « socialistes » membres à titre individuel d’organisations coopératives préexistantes. Le nombre d’adhérents et les chiffres montrent toutefois que le mouvement coopératif était au plus mal en France. Outre le discours dogmatique de Jules Guesde et de ses partisans, c’est encore par le retrait de personnages comme Benoît Malon que se manifeste le plus clairement la séparation des chemins entre socialisme et coopératisme. Au début des années 1880, il ne subsiste plus rien de son enthousiasme initial ni de son engagement coopératif. Celui qui est attaché à la cause ouvrière doit prendre garde aux « voies trompeuses du coopératisme » (Malon, 373).

1880 : des colons rouges dans le Nord

La croyance à la pseudo loi des salaires était naturellement déterminée, dans une très large mesure, par le contexte. Elle correspondait en effet parfaitement à des préjugés spécifiques répandus chez des travailleurs placés dans un contexte en mutation rapide, mettant de fait des populations importantes en situation de complète dépendance du travail industriel. Cela modifiait nombre de liens sociaux. On ne travaillait plus dans une sorte de « relation professionnelle familiale », mais purement pour des sous. Le salaire devait donc, plus qu’autrefois, être en rapport avec le travail fourni. Une telle perception du travail fut déterminante pour l’apparition d’organisations ouvrières. Les marques les plus visibles de ce glissement étaient naturellement les grèves. En tout cas dans le Nord où, entre 1870 et 1890, pas moins de 209.353 grèvistes, durant 3.589 jours furent impliqués dans 431 mouvements. Sous ce rapport, la grande grève d’avril-mai 1880 dans le secteur du textile qui mobilisa jusqu’à 35.000 ouvriers, est représentative. Ce fut un événement fondateur pour l’ensemble du mouvement ouvrier français : « le début de la popularisation du mouvement ouvrier » (Noiriel, 107). Durant la grève, cependant, on put surtout mettre en évidence dans le Nord le travail de propagande et l’action de pionniers des socialistes venus de Gand. Michelle Perrot est l’une des rares historiennes à attirer sans cesse l’attention sur le rôle des Belges dans la grève d’avril-mai 1880. Elle la prend même régulièrement comme archétype des grèves authentiques, spontanées des années 1880 qui contrastaient fortement avec les grèves ultérieures, dirigées par des syndicats bureaucratiques (Perrot, 90, 169, 287, 325, 355). Cette vision n’est cependant pas satisfaisante. L’influence principale des socialistes gantois sur la grève fut précisément d’en canaliser la spontanéité. Ils insistèrent sur le fait que de telles grèves spontanées n’avaient aucun sens, parce que le patronat était assez solide pour attendre la reprise du travail par les ouvriers inorganisés. Sans cesse, on martelait la nécessité de l’organisation .

Dans le courant de 1879, les socialistes de Gand entreprirent une forme de propagande plus ou moins systématique dans la « colonie belge ». À partir de la fin juillet 1879, ils organisèrent des réunions juste sur la frontière, en terre belge. Les points inscrits le plus couramment à l’ordre du jour étaient « conseils pratiques » et « l’utilité de l’union », mais dès février 1880 le leader gantois Anseele y commenta également, par exemple, le « programme de Gotha » du SPD, distribué ensuite en traduction. La propagation initiale des idées socialistes dans le Nord n’est pas tant à inscrire au compte de Jules Guesde, qu’à celui des sociaux-démocrates belges qui avaient préparé le terrain à partir du milieu des années 1870. Dans le courant de l’été 1879, les premiers petits groupes socialistes furent constitués dans le Nord et ils disposaient déjà à Roubaix et Armentières d’un solide réseau de distribution pour leur presse – Volkswil, De Werker, La Voix de l’ouvrier
– et toutes sortes de brochures. La tension au sein des classes dirigeantes durant la grève d’avril-mai 1880 transparaît ne serait-ce qu’à la quantité d’énergie et de moyens investie par beaucoup de directions dans la rédaction de rapports et de télégrammes afin d’avoir vue sur les événements. Il était manifeste dès le début que le mouvement était conduit par des « meneurs belges », depuis le sol belge.

Les socialistes de Gand pilotaient les travailleurs en grève. Le leader gantois Edouard Anseele insistait sur la nécessité d’éviter les affrontements. Ils devaient, en groupe, être d’une dignité irréprochable. Après quelques accrochages initiaux, le mot d’ordre fut suivi. L’absence des faits de grève et rébellion habituels suscita l’étonnement. Impressionnante et visiblement orchestrée, se tint par exemple une réunion de 12 à 15.000 travailleurs le matin du 13 mai à 10h, devant l’hôtel de ville de Roubaix. Après un moment de silence, tous se dispersèrent simplement dans toutes les directions. Mais la dignité et les collectes ne suffirent pas, bien entendu. La grève commencée le 20 avril avait franchi son point culminant à la mi-mai.

Le 26 mai 1880, Edward Anseele harangua un groupe important de grévistes restants durant plus d’une heure et les encouragea à reprendre le travail. Il ne se contenta pas de tenir le discours habituel « l’organisation-est-une-nécessité », mais envoya aussi Charles Bonne au tapis. Jusqu’alors, Bonne était le leader du mouvement ouvrier à Roubaix. Grâce à la grève, un certain nombre de nouveaux meneurs potentiels avaient été révélés qui, en matière d’action politique, souhaitaient suivre l’exemple gantois. Ce n’est pas Guesde mais Anseele qui secoua l’ancien mouvement ouvrier en la personne de Bonne et poussa en avant les nouveaux leaders socialistes comme Henri Carette, Achille Lepers et Gustave Delory. Qu’ils aient, en tant que socialistes, suivi comme nulle part ailleurs « l’orientation politique » – généralement appelée en France le guesdisme – c’était un effet de la campagne menée par les socialistes de Gand qui exposaient là, depuis déjà plus d’un an, les vertus du socialisme politique et leur enthousiasme pour le SPD.

Ces efforts considérables furent poursuivis après la grève. Le mot d’ordre durant les meetings hebdomadaires du début était clair, net et bilingue : « Vous ne pouvez compter que sur vos propres forces […] unissez-vous […] suivez le conseil de vos amis de Gand »3. Naturellement, la formation de « meneurs qui puissent dynamiser, instruire et organiser les masses », localement, en français, était une étape cruciale pour la réussite de leur dessein. De surcroît, on amenait de plus en plus fréquemment des collègues francophones de Bruxelles – la plupart du temps il s’agissait de Louis Bertrand – aux meetings. En dehors d’une direction, la nécessité était surtout d’examiner comment se réunir et s’organiser.

1882 : de l’anseelisme et du guesdime

Les socialistes de Gand intervinrent aussi au plan de l’organisation. Ce n’était pas évident. Charles Bonne et les siens ne s’effacèrent naturellement pas comme ça, et de plus, les nouveaux meneurs locaux manquaient de talents d’orateurs. Un tribun comme Jules Guesde pouvait évidemment y remédier. Les rapports de police établis tant à Lille qu’à Paris mentionnaient régulièrement, dès le courant du mois de mai 1880, l’existence de contacts entre Anseele – nom de code 0306.2809.2381.13753.0307 – et des guesdistes de la capitale et d’ailleurs, visant à donner forme au mouvement dans le Nord. Il ne s’adressa sans doute pas à Guesde lui-même, mais il s’arrangea pour qu’Eugène Fournière, ancien rédacteur de L’Égalité, passé à L’Émancipation, vînt faire des conférences dans le Nord. Fournière ne manqua pas, en l’occurrence, de féliciter les camarades belges du travail accompli.

Fin novembre 1880, Edward Anseele, Louis Bertrand et Henri Carette discutèrent, à l’issue d’un meeting, de la mise en place d’une structure de parti. Nanti des statuts du Vlaamse Socialistische Arbeiderspartij créé en 1877, Carette fonda au début de 1881 le Parti ouvrier dans le Nord. C’est seulement en juin 1881 que Jules Guesde se rendit pour la première fois dans le Nord et un an plus tard il fut placé en tête de liste lors des élections. Sa première véritable percée et sa reconnaissance à Roubaix et dans ses environs n’arrivèrent cependant qu’après sa conférence commémorative de la Commune, prononcée là-bas en 1882. Anseele s’était attelé à son tour à la même tâche en 1881. Lors du meeting de 1882, Guesde fut également présenté aux participants par Anseele. Le « sceptre socialiste » du Nord
fut pour ainsi dire transmis publiquement.

L’importance considérable de la contribution des socialistes gantois à cette phase initiale se manifesta surtout au plan organisationnel. Malgré toute la rhétorique collectiviste et anti-coopérative de Guesde, le mouvement fut intégralement construit sur le modèle gantois. Au centre de cette organisation se trouvait la société coopérative socialiste Vooruit, créée en 1880. Le succès de Vooruit fut impressionnant. Les socialistes qui, durant des années, dans leur section politique, leur syndicat ou leur mutualité avaient compté en centimes parvenaient déjà, dans le courant de 1882, à rembourser l’emprunt contracté pour démarrer l’affaire. Cinq ans plus tard, en 1887, on comptait déjà en centaines de milliers de francs, et la coopérative possédait plus de deux mille membres, une grande auberge annexe de la boulangerie, une salle des fêtes, des locaux de réunion, un commerce d’habillement et de textiles (soie, coton, lin, laine), trois pharmacies, une presse à imprimer et un quotidien, une importante propriété dans la rue des Chartreux à Gand, un parc de détente sur la chaussée de Courtrai et des terrains situés avenue de l’Industrie.

La coopérative constitua, durant les dix premières années, la seule base de ressources du mouvement ouvrier socialiste à Gand. Indépendamment des bénéfices directs, elle générait des ressources occultes qui allaient au mouvement, une partie des gains n’étant pas distribuée à ses membres mais intégralement consacrée au financement de l’action socialiste.

La transmission dans le Nord de ce message, de ce modèle réussi, ne diffère d’ailleurs en rien de la manière utilisée par les socialistes gantois dans le Borinage ou aux Pays-Bas par exemple. Pour asseoir un mouvement solide, il fallait un « profit immédiat » : fini donc de « prétendre qu’il n’est rien d’autre que la révolution et les cercles politiques pour faire avancer le socialisme » et vive « le développement de nos idées, de notre boulangerie », car c’est bien là la preuve que le socialisme n’est pas une « chimère ». Le discours fut vraiment bien accueilli. En mars 1880 déjà, une première coopérative fut créée, Les Amis fidèles (Roubaix), et en 1882 suivit L’Économie des ménages (Tourcoing).

La Fédération du Nord était particulièrement bien représentée à partir d’août 1880 lors de tous les congrès, de toutes les festivités du mouvement ouvrier socialiste belge. Inversement, les camarades belges étaient, eux-aussi, toujours présents dans le Nord. À cet égard, la participation d’Anseele et Van Beveren, en avril 1884, au congrès national du Parti ouvrier français, non pas en tant que délégués étrangers mais au même titre que Carette et Delory, est significative. Lors d’un congrès régional de groupements socialistes de Gand, Courtrai, Menin, Lille, Roubaix, Tourcoing et Armentières, on évoqua même l’opportunité de reconnaître le Nord comme fédération du Parti socialiste belge constitué en 1879. Ces liens expliquent-ils le fait que les socialistes dans le Nord, plus que partout ailleurs en France, s’investirent dans la participation aux élections aux conseils de prud’hommes, et s’en servirent ? Expliquent-ils l’action de proximité, atypique pour la France mais cruciale pour les guesdistes, par analogie avec les clubs de quartier socialistes gantois ? L’analogie la plus notable reste que, dans les deux mouvements et en dépit de l’opposition théorique dans les deux régions, la coopérative était l’épine dorsale de toute l’organisation.

1900 : « […] cela a bien pris dans le nord de la France »

Le discours anticoopératif classique de Guesde – division de la classe ouvrière, loi d’airin des salaires, « embourgeoisement », … – conservait du succès, mais à partir du milieu des années 1880, d’autres opinions surgirent régulièrement dans les journaux guesdistes. La visite de Jules Guesde et Paul Lafargue au Vooruit de Gand à la fin du mois d’avril 1884 y a-t-elle contribué ? À partir de 1885 on trouve systématiquement, entre autres dans les contributions régionales publiées dans Le Socialiste, des exposés favorables concernant le Vooruit – « qui dans une bouche flamande sonne avec la dureté d’un coup de clairon » -, où l’on souligne à chaque fois « l’organisation supérieure ». Une grande différence avec ce que Paul Lafargue définissait comme « l’état chaotique » du POF (Willard, 1965, 38). À partir de 1885, il fut décidé de suivre résolument l’exemple belge : dans nombre de villes, on créa dans le Nord des coopératives socialistes. L’Union de Lille et La Paix à Roubaix prospérèrent jusqu’à devenir les équivalents français de la Maison du peuple bruxelloise ou du Vooruit gantois.

Et avec succès. Dans les années 1890, le mouvement ouvrier socialiste dans le Nord se débarrassa définitivement de son caractère sectaire. Électoralement, les socialistes avaient le vent en poupe. En 1891, Paul Lafargue fut élu député et un an plus tard le mouvement s’empara des mairies de Roubaix et Caudry. En 1893, Jules Guesde fut élu député de la circonscription de Roubaix et en 1896 les mairies de Lille, Roubaix, Croix, Wignehies et Calais furent conquises. Exactement comme s’ils faisaient fi de Guesde en matière d’organisation, leur socialisme communal si souvent porté aux nues était à l’antipode de ce que prônait Jules Guesde dans l’hebdomadaire national Le Socialiste. Leur programme était sur ce plan très concret et hyperpragmatique. Des compliments décernés également aux socialistes de Gand. Nulle part ailleurs en France le POF n’atteignit cependant des résultats comparables. Ce en quoi le parti ressemblait encore le mieux au Parti ouvrier belge constitué en 1885, c’était l’absence quasi absolue de toute action nationale. Le Conseil national du POF créé en 1889 à Paris n’avait pas le moindre impact. Jules Guesde pouvait bien appeler au respect de la structure hiérarchique et de la discipline du SPD, dans la pratique tout le pouvoir résidait dans les sections locales … comme au POB

La croissance et la vigueur du pouvoir entourant leurs associations coopératives n’échappèrent pas non plus aux innombrables indicateurs de police. On en vint à craindre la constitution d’une véritable puissance, à l’instar de la Belgique. Dans un rapport du 15 juillet 1893, établi par le cabinet de la préfecture de police de Paris sur le socialisme à Roubaix, on soulignait que « les détacher de leurs collègues belges » était la manière de contenir le POF dans le Nord. L’élection de Guesde en août 1893 ne peut pas être considérée indépendamment de la nouvelle loi sur la nationalité de 1889, mais pas non plus de « la percée du Parti ouvrier belge » (Lentacker, 251).

Lors d’une réunion tenue sous la présidence de Jean Jaurès à l’Hôtel des sociétés savantes de Paris en 1900, Anseele déclara, plutôt mesuré et de façon tout à fait pertinente : « Je ne veux pas imposer de tactique […] mais enfin cela a bien pris dans le nord de la France » (Anseele, 159). Dans un article pour le Bulletin mensuel de la fédération des coopératives de la région du Nord de décembre 1909, Gustave Delory, leader absolu du mouvement ouvrier socialiste dans le Nord, relevait une constante au sein de son mouvement : « Si notre affirmation était mise en doute, nous demanderions à nos contradicteurs d’aller en Belgique se rendre compte d’où vient l’énorme force d’organisation de nos amis les Belges ».

Pour les ouvriers socialistes du Nord, Paris était bien plus loin que Gand ou même Bruxelles. S’agissait-il d’une « culture politique commune » (Leleux, 850) ? La formation d’une identité française qui fît contraste avec l’identité belge était, en attendant, un processus extrêmement lent. Une récente étude sur la chanson ouvrière confirme cette image de complexité et de réciprocité. Les socialistes de Lille n’avaient aucun doute là-dessus. Dans les années 1890 ils propagèrent largement le texte du chant Honneur aux socialistes gantois. Sur l’air de L’Internationale du compositeur gantois Pierre De Geyter, cela donnait notamment :

Nous vous en faisons la promesse,

De nous unir en venant grand,

Votre exemple comme une amorce,

Nous fera marcher de l’avant,

Et nous viendrons une force,

Nous le jurons sur notre sang !

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