Là où s’arrête le journal d’Anne Frank de Bas von Benda-Beckmann est le résultat d’un travail collectif mené par des historiens et historiennes, chercheurs et chercheuses de la Fondation Anne-Frank, par des archivistes, des lecteurs et lectrices mais aussi des témoins. Étoffé par des cahiers iconographiques, l’ouvrage poursuit en quelque sorte le travail de recherches auquel s’est livré Otto Frank, père d’Anne Frank, et seul survivant des huit personnes de l’Annexe.
Face à l’entreprise d’anéantissement, au génocide, à la dilution de l’individu dans le meurtre de masse, chaque miette sauvée de l’oubli compte. «Chaque miette, aussi petite soit-elle, qui nous rapproche de ces expériences et nous permet de mieux comprendre les destins individuels des victimes de l’Holocauste, revêt une grande valeur, non seulement d’un point de vue historique, mais aussi d’un point de vue moral et humain».
L’essai commence là où le Journal d’Anne Frank se termine: il tente de reconstituer l’histoire des huit personnes juives arrêtées (à la suite d’une dénonciation) le 4 août 1944 par la Sicherheitspolizei: Anne Frank et sa sœur Margot, leur mère Edith Frank, leur père Otto, Hermann, Augusta et Peter van Pels et le médecin-dentiste Fritz Pfeffer. La plupart de ces huit personnes vivaient cachées depuis l’été 1942 dans l’achterhuis, à savoir l’Annexe des bureaux de la firme Opekta, situés canal Prinsengracht à Amsterdam.
Il a fallu un méticuleux travail de recherches pour mettre en lumière ce qui est arrivé à la famille d’Anne Frank et aux autres occupants, de leur arrestation à leur déportation dans des camps de concentration et d’extermination. L’ouvrage s’attache aussiauxs circonstances dans lesquelles Otto Frank et les siens ont fui l’Allemagne après l’arrivée au pouvoir de Hitler: la montée de la terreur antisémite dans le IIIe Reich, l’exil du couple Frank aux Pays-Bas, les démarches entreprises par Otto pour émigrer après l’occupation allemande des Pays-Bas en mai 1940, l’impossibilité d’obtenir un visa. Quand, aux persécutions, à la spoliation des biens juifs, succèdent les rafles et les mesures convoquant les Juifs d’Amsterdam en vue d’une «assignation au travail», la famille Frank décide en juillet 1942 de faire de l’Annexe le séjour de leur vie clandestine afin d’avoir une chance de survivre aux arrestations de masse.
Une question complexe, sans réponse univoque, n’a cessé d’être posée. Dans un mélange de rumeurs, d’informations sur la Shoah livrées par la presse clandestine, la radio anglaise, les rares évadés des camps, que savait la communauté juive des massacres qui se perpétraient dans les camps? Lors de leur arrestation, que savaient les anciens occupants de l’Annexe du sort qui les attendait? Ouvrage majeur de la littérature sur la Shoah, Là où s’arrête le journal d’Anne Frank redonne vie aux victimes, à Anne, Margot, Edith et aux autres en comblant les lacunes de l’Histoire, en reconstituant tant que faire se peut leurs déportations dans des camps, même si l’enfer qu’ils ont vécu à Auschwitz, Bergen-Belsen, Mauthausen, la mort qu’ils y trouvèrent demeurent à jamais muets.
L'ouvrage redonne vie aux victimes en comblant les lacunes de l’Histoire
À partir de comptes rendus de témoins survivants et d’un travail acharné de recherches de sources, des images du quotidien vécu par les huit protagonistes surgissent, des précisions quant aux dates aussi. Début 1945, Anne Frank meurt du typhus dans le camp de Bergen-Belsen à l’âge de quinze ans, quelques jours après sa sœur Margot. Leur mère Edith est décédée à Auschwitz en janvier 1945, Hermann van Pels fut gazé à Auschwitz en octobre 1944, sa femme Augusta mourut au camp de concentration de Theresienstadt et leur fils périt dans le camp de concentration de Mauthausen. Quant au médecin et dentiste Fritz Pfeiffer (qui a pour pseudonyme Albert Dussel dans le Journal d’Anne Frank), il trouva la mort dans le camp de concentration de Neuengamme. Rescapé du camp d’Auschwitz que les Russes libérèrent le 27 janvier 1945, seul Otto Frank survécut.
© Wikimedia Commons - CC BY-SA 3.0
L’entreprise nazie d’effacement des traces de la Shoah échoua. Celles et ceux que le IIIe Reich a précipités dans la mort ne se sont pas tus. Ils et elles ont légué des journaux, des témoignages, relayés par la parole des survivants, par des archives laissées par des officiers allemands. Près de quatre-vingts ans après les faits, l’ouvrage de Bas von Benda-Beckmann s’inscrit dans ce mouvement mémoriel qui, revisitant les zones les plus sombres du passé, contribue à alerter sur les menaces de peste brune qui pèsent sur notre présent. Le retour, le mouvement rétrospectif vers la terreur nazie est aussi un mouvement prospectif qui, en prise sur notre contemporanéité, alerte sur la montée des fascismes actuels avec la volonté de les combattre.