L’art subtil de trouver un p*tain de titre de livre
Des titres de toutes les sortes et de tous les formats ornent les couvertures de livres. Alors qu’autrefois, ils n’étaient jamais assez longs, dans le monde néerlandophone, ils se doivent aujourd’hui d’être courts et percutants. Et pourquoi pas même en anglais, n’excluant pas un gros mot, le cas échéant. L’autrice Anne van den Dool s’est penchée sur le sujet, épluchant également au passage les titres de sa propre bibliographie.
Comme j’étais fière du titre de mon premier roman! Je m’en souviens comme si c’était hier… Un titre de mon cru: Les fleurs peuvent casser. Un titre d’une subtile ambiguïté, me félicitais-je. En effet, si une première lecture suggérait naturellement que les tiges peuvent se casser, une seconde laissait envisager que les fleurs sont elles-mêmes en mesure de casser quelque chose ou quelqu’un. Tellement littéraire!
Mon agent, Willem Bisseling, moitié du duo de l’agence littéraire Sebes & Bisseling, s’empressa de couper court à mon autocongratulation. «Pas de fleurs dans le titre!» fut sa première réaction: on n’aurait attiré qu’un public de vieilles dames. Il déconseillait en outre un titre qui exige un tel effort de réflexion du lecteur. Les épaules basses, je retournai à ma table à dessin.
Ce fut là mon premier coup d’œil dans les coulisses de l’art de trouver un titre convenable. J’appris ainsi que les premières associations sont essentielles. Il fallait d’un côté que le titre soit évocateur, mais, de l’autre, que cette évocation n’amène pas une trop grande partie du public à écarter d’emblée le livre en question. Comme mes fleurs qui cassent, par exemple.
Sitôt reconnaissables
Il est bon en outre que le titre reflète honnêtement le contenu du roman, histoire d’éviter une déconvenue au lecteur. Pas de titre qui fuse pour une histoire lente, pas d’envolée romantique pour un thriller glaçant.
Alors que je flânais dans une librairie, dépitée par le refus de mon agent, je découvris combien nous sommes conditionnés en effet à identifier le genre d’un livre à son titre. L’heure du crime est assez explicite, mais des titres inquiétants comme La cage dorée, Insoluble ou L’ombre des disparus orientent tout aussi facilement nos cerveaux vers le genre du thriller, surtout s’ils sont aidés par une couverture sombre soulignant la menace imminente.
Et devinez où nous placerons des livres dont les titres sont PS: Oublie-moi!, L’Ange de Marchmont Hall ou L’île aux papillons? Bingo, dans le coin rose bonbon des romances! Les livres de développement personnel se reconnaissent quant à eux à leurs titres en forme de question, éventuellement accompagnée d’un sous-titre explicatif.
Nous sommes conditionnés à identifier le genre d’un livre à son titre
Les contes de fées aussi sont immédiatement reconnaissables, grâce, par exemple, à l’énumération en couverture des personnages principaux. Un best-seller récent est L’enfant, la taupe, le renard et le cheval de Charlie Mackesy, traduit en néerlandais par l’écrivain Arthur Japin, lui-même friand d’éléments féeriques. Cela dit, attention à ne pas se laisser duper: Het lied van ooievaar en dromedaris (Le chant de la cigogne et du dromadaire), l’épais et complexe roman d’Anjet Daanje, lauréate du prix littéraire Boekenbon Literatuurprijs 2022, n’est pas un conte de fées!
Bien évidemment, le titre ne doit pas avoir été utilisé de trop nombreuses fois. Avant de trop m’attacher au titre de travail de mon nouveau manuscrit, j’ai appris à m’astreindre à une brève recherche en ligne de titres similaires déjà existants. Pour cela, on peut procéder de manière très professionnelle via le catalogue néerlandais www.titelbank.nl, mais une requête éclair sur Google fait aussi des merveilles. Par chance, et à mon grand soulagement, Vluchthaven (Port de salut), le titre que je souhaitais donner à mon deuxième roman, s’avéra n’être encore que le nom d’un restaurant zélandais, situé dans un village d’à peine trois mille âmes.
Des phrases complètes
À la vitesse à laquelle les livres sont publiés de nos jours, il est de plus en plus difficile de mettre le doigt sur un titre vraiment original. Ces dernières années, une parade consista à recourir à des phrases complètes en guise de titre, m’explique mon agent lorsque je l’interroge. Chaque année, il voit passer des centaines de titres néerlandais ou étrangers. Nous nous souvenons tous du succès du Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson, bientôt suivi par L’analphabète qui savait compter, des titres censés dévoiler par la même occasion le caractère humoristique des deux romans.
Puis vinrent des titres plus philosophiques, prenant la forme d’une mise en équivalence, comme De avond is ongemak (Le soir est malaise, traduit en français par Qui sème le vent), de Marieke Lucas Rijneveld, ou Gebrek is een groot woord (Le manque est un grand mot) de Nina Polak. Et que dire du titre qui envoie volontairement le lecteur sur une mauvaise piste? Citons Une brève histoire du tracteur en Ukraine, publié en 2005 par Marina Lewycka, qui, comme son titre ne l’indique pas, est bien un roman et non un essai.
© Pixabay
Si ces très longs titres sont entre-temps un peu passés de mode dans le domaine du roman, ajoute mon agent, ils font encore recette au rayon poésie. Les grands gagnants du recueil de poésie au titre le plus long pourraient être Ik ga het donker maken in de bossen van (Je vais l’assombrir dans les bois de), œuvre de l’ex-poète national des Pays-Bas Tsead Bruinja, et & de dag ligt open als een ei in zijn gebroken schaal (& le jour est ouvert comme un œuf dans sa coquille brisée), de Bernard Wesseling, deux titres qui surprennent, l’un par sa fin et l’autre par son début, et donnent d’emblée un aperçu de l’originalité qui attend le lecteur à l’intérieur. Bernard Wesseling aurait également pu concourir pour le record du titre le plus long avec son roman We ramen de schade die ons het zicht op de weelde ontneemt (Nous estimons les dégâts qui nous privent de perspectives d’opulence). (Je me demande tout de même si mon agent l’aurait laissé passer, ce titre-là.)
Il faut cependant souligner que ces longs titres ne sont pas une nouveauté. Louis Couperus y recourait déjà en 1906 avec Van oude menschen, de dingen, die voorbijgaan (publié en français sous le titre Vieilles gens et choses qui passent) tandis que six ans plus tôt paraissait déjà Van de koele meren des doods (Des lacs froids de la mort), de Frederik van Eeden. Ce dernier titre est par ailleurs l’exemple par excellence du titre évocateur: on imagine immédiatement les étangs sombres dans le lointain, où l’on pourrait disparaître en un instant. Ce pouvoir de suggestion est certainement un critère à poursuivre en matière de titre.
Emprunter à bon escient
Naturellement, vous n’êtes pas toujours obligé d’inventer votre titre. Prenez par exemple le premier roman de Nina Polak, Wij zullen niet te pletter slaan (Nous ne nous écroulerons pas), dont le titre est emprunté au poète William Wordsworth (We will grieve not). Ou Good Morning, Midnight (1939) de l’écrivaine anglaise Jean Rhys, qui est le premier vers d’un poème d’Emily Dickinson. Ou encore, plus récemment, Kleine haperende vluchten (Petits vols hésitants) de Femke Brockhus, extrait d’un vers de la poétesse et romancière néerlandaise Vasalis. Heureusement, ces deux livres récents de Polak et Brockhus se montrent à la hauteur de leur titre poétique –illustrant du même coup une gestion des attentes réussie.
Ces derniers temps, cependant, nous assistons à un «retour de balancier» sous la forme de titres courts mais percutants, confirme également mon agent. November (Novembre) de Thomas Olde Heuvelt, Bang (Anxieuse) de Lisa Loeb, pour ne citer que deux titres parmi ceux qui ornaient récemment les tables des libraires. Voilà qui pique la curiosité de l’adepte de l’originalité que je suis! Car quelle est la probabilité que jamais personne dans l’histoire de la littérature n’ait déjà eu cette idée? Peut-être devons-nous y voir le signe ultime que tout texte, de nos jours, doit être aussi court et percutant que possible, sous peine de perdre l’attention du lecteur.
Ces derniers temps, nous assistons à un «retour de balancier» sous la forme de titres courts mais percutants
Pour ce problème d’originalité, les auteurs ont toutefois trouvé une solution astucieuse, signalait récemment l’écrivain Jan van Mersbergen dans un blog intitulé Gektitels (titres fous). Il suffit –dans la langue agglutinante qu’est le néerlandais– d’accoler deux mots très ordinaires pour former une combinaison particulière, voire inédite. Parfois, ces combinaisons n’ont rien de bien original, comme Melktanden (Dents de lait) d’Emma Curvers, Bloedbladeren (Feuilles d’irésine) de Naomi Rebekka Boekwijt ou Confettiregen (Pluie de confettis) de Splinter Chabot.
Parfois, cela devient plus intéressant. Wessel te Gussinklo a ainsi écrit De hoogstapelaar (L’empileur), tandis que Mariken Heitman s’est fait remarquer par son Wormmaan (Lune de ver). Ces deux livres ont d’ailleurs remporté d’importants prix littéraires, signe que ce type de combinaison peut s’avérer payant. Jan Van Mersbergen met cependant en garde contre le risque de tomber dans des clichés ou –pire encore peut-être– dans des associations qui dégoûtent, comme le dernier roman de Jamal Ouariachi, Herfstdraad (Fils de la Vierge, du nom de ces fils sécrétés à l’automne par les jeunes araignées) ou Varkensribben (Côtes de porc) d’Amarylis De Gryse.
Anglicisation
Selon mon agent, il y a également la tendance dans le monde néerlandophone, pour les traductions de l’anglais, à s’en tenir au titre original. Les jeunes lecteurs, en particulier, trouvent cool de lire en anglais, observe-t-il. Prenons par exemple les livres jeunesse de Colleen Hoover, tels que It Starts with Us et It Ends with Us, demeurés tels quels en néerlandais (traduits par À tout jamais et Jamais plus en français).
Plus nous pouvons avoir l’illusion de consommer l’original anglais, mieux c’est, d’après mon agent
Mais la littérature pour adultes tend aussi de plus en plus souvent à conserver le titre anglais, quand bien même il existerait une alternative correcte en néerlandais. Parfois, on garde jusqu’à la couverture originale. Cela montre à quel point la langue et la culture anglaises sont sur un piédestal dans notre société, explique mon agent. Plus nous pouvons avoir l’illusion de consommer l’original anglais, mieux c’est.
Une tendance très spécifique qu’il discerne à cet égard est l’utilisation du mot fuck dans les titres, dont l’exemple le plus connu aux Pays-Bas est sans doute le livre de développement personnel de Mark Manson. Intitulé en anglais The Subtle Art of Not Giving a F*ck, le livre a été traduit en néerlandais sous le titre De edele kunst van not giving a fuck (L’art subtil de not giving a fuck). Un titre à moitié traduit, c’est donc possible aussi. (En publication française, cela a donné L’art subtil de s’en foutre).
Ambigu
Depuis que j’ai pris conscience de la multitude d’associations que déclenche un titre de livre, j’ai décidé d’y consacrer du temps dans mes cours d’écriture. Après tout, qu’est-ce qu’un texte sans titre? N’est-ce pas un peu comme un nouveau-né sans prénom? Quoi qu’il en soit, le titre peut servir de panneau fléché, veillant à orienter le lecteur dans la bonne direction.
Tandis que j’essaie de faire prendre conscience à mes étudiants du pouvoir d’un bon titre et que je pars en quête d’inspiration dans leurs textes, je remarque que je retombe sans cesse sur les mêmes réflexes.
Je cherche par exemple le mot le plus original ou la phrase la plus marquante du texte, de préférence un mot que le traitement de texte va souligner d’une vaguelette. L’intérêt est double: non seulement le titre accrochera les yeux du lecteur, mais l’on sera également assuré d’avoir peu de concurrence dans les moteurs de recherche. Je recherche en outre un titre qui contienne une certaine forme d’ambiguïté qui se reflète également dans le texte lui-même. La cerise sur le gâteau, c’est lorsque ce titre présente en plus de belles assonances. Quand tous les morceaux du puzzle sont en place, c’est gagné.
Peut-être que les meilleurs titres de livres, comme les prénoms d’enfants, sont ceux dont on a l’impression qu’ils ont toujours été attachés à la création en question
Pourtant, je dois malheureusement constater que neuf fois sur dix, l’idée d’un titre me vient comme par magie, sans pouvoir reconstituer le moment exact où cela s’est produit. Peut-être que les meilleurs titres de livres, comme les prénoms d’enfants, sont ceux dont on a l’impression qu’ils ont toujours été attachés à la création en question.
Le fait que j’arrive à trouver mes propres titres de livres est, selon mon agent, une exception: un titre est rarement l’œuvre de l’auteur. Ce dernier se préoccupe trop de la représentativité du titre, alors qu’un éditeur ou un agent en a une meilleure perception commerciale. Jusqu’à présent, aucun éditeur ou agent n’a eu à me suggérer un titre pour l’un de mes livres, mais lorsque je me perds et m’empêtre dans la forêt des attentes, je sais que je pourrais recourir à leur aide. D’un autre côté, peut-on être vraiment satisfait d’un nom choisi par quelqu’un d’autre pour sa création? J’en doute.