Tous les deux mois, Hans Vanacker pose un regard personnel sur Septentrion et tire des archives du magazine des textes qui entrent en résonance avec l’actualité. Alors que le tout dernier numéro de Septentrion vient de paraître avec un dossier étoffé sur l’évolution des mentalités en matière de sexualité, le moment est parfaitement choisi pour prendre la mesure du chemin parcouru dans la perception de l’homosexualité.
C’était il y a environ un an, un vendredi soir au marché aux Herbes à Bruxelles. Avec ma femme, je me dirigeais vers la fabuleuse Grand-Place. Il y avait beaucoup de monde dans la rue, nous flânions plus que nous ne marchions. Près de la ruelle qui fait la jonction entre le marché aux Herbes et la Grand-Place, nous sommes tombés sur deux hommes qui se regardaient dans les yeux, amoureux. Soudain, ils se sont embrassés et j’ai entendu l’un d’eux dire: «Je suis tellement heureux d’être à Bruxelles, ici on est libre».
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Je n’ai certainement pas toujours eu ce sentiment, mais ce soir-là, j’étais tellement fier de mon pays. La Belgique, où un couple gay amoureux se sentait accepté et libre. Ce moment a sûrement contribué à mon désir de convaincre le rédacteur en chef qu’un dossier dans Septentrion sur les idées autour de la sexualité dans les Plats Pays s’avérerait être très intéressant. Aujourd’hui, il est enfin publié.
Plusieurs fois j’ai repensé à ce vendredi soir en plein centre de Bruxelles, cependant avec une certaine autocritique. En effet, je me suis souvent senti contraint de faire le lien avec un article publié dans Septentrion en 1998. «Gay, gai, plus de tabous» était le titre révélateur que Henk Krol, rédacteur en chef du Gay Krant, avait donné à son texte. Je l’avoue, à l’époque j’ai eu du mal avec un passage précis de cet article. Henk Krol écrivait carrément que deux hommes devraient être autorisés à adopter et à élever des enfants. Je n’ai jamais eu aucun problème avec les gays et les lesbiennes, je le jure !, mais ce que Krol avait écrit, c’était aller trop loin pour moi. En passant, je n’avais apparemment aucun problème avec deux femmes qui élevaient un enfant ensemble, bizarre.
Entretemps, nous sommes arrivés en 2023 et la société des Plats Pays a évolué. Et moi aussi. Anno 2023, j’ai profondément honte de mon étroitesse d’esprit d’alors.
Pour conclure, l’article de Henk Krol confirme une fois de plus ma conviction que toutes ces années de Septentrion, revue fondée en 1972, sont un trésor ô combien précieux pour ceux qui veulent s’aventurer dans l’histoire des mentalités. Année après année, le lecteur voit évoluer la société des Pays-Bas et de la Belgique. Il y a là certainement du matériel pour une thèse passionnante. Il faudra bien qu’un jour quelqu’un relève le défi.
Gay, gai, plus de tabous affranchissement et mariage des homosexuels aux Pays-Bas
Les Pays-Bas jouissent à l’étranger d’une image extrêmement libérale. Leur esprit de tolérance quasi légendaire leur a valu d’être pendant des siècles un refuge idéal pour ceux que leurs convictions ou leur mode de vie exposaient à des persécutions. L’ouverture à l’égard des homosexuels et des lesbiennes n’y est cependant pas très ancienne. Il y a vingt-cinq ans, les Néerlandais méprisaient ou toisaient les gens sexuellement différents. Mais le changement d’attitude a été très rapide, en bonne partie parce que le courant homosexuel était relativement fort et présentait un profil très médiatique. C’est précisément parce que des personnalités s’y sont affichées bien plus tôt que dans les pays voisins que les jeunes ont pu, aux Pays-Bas, assumer leur homosexualité. Si les enfants juifs ont des parents juifs, les enfants turcs des parents turcs, et les enfants noirs habituellement des parents de même couleur, les enfants homosexuels, en revanche, doivent apprendre à vivre leur différence, car ils ne peuvent se reposer sur des parents qui partagent leur situation. C’est pourquoi il est encore plus important pour de jeunes homosexuels que pour des enfants appartenant à d’autres groupes minoritaires de pouvoir s’identifier à des modèles.
Depuis près de trente ans maintenant, des générations d’enfants hollandais ont des modèles publics dont ils peuvent s’inspirer. De nombreux artistes, tel l’écrivain Gerard Reve, mais aussi un nombre croissant d’hommes politiques et de capitaines d’industrie ne font pas mystère de leurs penchants homosexuels. Il est clair que la jeune génération en a largement bénéficie. Il n’existe quasiment pas d’autre pays au monde ou la population, dans son ensemble, ait une vision aussi positive de ses concitoyens homosexuels. Aux Pays-Bas, les gens qui considèrent l’homosexualité comme une maladie sont eux-mêmes tenus pour malades. La tolérance intégrée apparait également de façon tangible dans le choix des porte-parole -hommes ou femmes- qui ont naguère fait fonction d’avocat, que ce soit de leur propre initiative ou à la demande du mouvement homosexuel hollandais.
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