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pays-bas français, société

Avez-vous le «bon» diplôme pour travailler de l’autre côté de la frontière?

Par Conny Van Gheluwe, traduit par Maxime Kinique
23 octobre 2024 9 min. temps de lecture

En avril 2024, Septentrion et les plats pays ont organisé un symposium sur le thème de la collaboration transfrontalière, avec l’appui de partenaires du nord de la France et de Flandre belge. Ce jour-là, dans l’Hospice Comtesse de Lille, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les différences dans la législation et la réglementation, qui compliquent cette collaboration. Le témoignage d’une jeune enseignante belge de néerlandais est édifiant à cet égard. Après avoir étudié le néerlandais à l’université de Lille, celle-ci décide d’aller enseigner en Wallonie. Un choix qui ne devrait pas rencontrer d’écueils, vous dites-vous spontanément? C’est tout le contraire, en réalité. En cause: l’équivalence des diplômes, une vieille blessure qui occasionne encore des douleurs aussi vives qu’inutiles.

La mobilité professionnelle transfrontalière devrait être une évidence dans la région frontalière formée du nord de la France, de la Wallonie et de la Flandre. Elle est non seulement synonyme de plus-value dans le développement (professionnel) personnel, mais elle fait en outre partie de la solution pour remédier au déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail. De surcroît, elle peut être utilisée comme levier afin de stimuler le développement socioéconomique dans la région frontalière. En pratique, pourtant, un taux élevé de mobilité professionnelle entre la France et la Belgique se révèle être un objectif difficile à atteindre.

Si l’on jette un œil aux statistiques des travailleurs frontaliers des provinces de Flandre-Occidentale et du Hainaut qui partent travailler en France, on constate que la situation n’a pour ainsi dire pas évolué pendant la période 2018-2023: le nombre d’ouvriers frontaliers de Flandre-Occidentale traversant la frontière franco-belge pour raisons professionnelles affiche une augmentation insignifiante (de 787 à 790 unités) alors que le contingent hennuyer ayant opté pour la même trajectoire de carrière a, lui, légèrement diminué (de 6 587 à 6 475 unités).

Toutefois, si l’on s’intéresse aux travailleurs frontaliers français qui viennent travailler dans les provinces de Flandre-Occidentale et du Hainaut, on observe un recul spectaculaire: de 6 215 à 3 373 unités en Flandre-Occidentale et de 21 436 à 15 138 au Hainaut. Les raisons de ce phénomène sont multiples et complexes, et la situation peut être très différente d’un secteur ou d’une région à l’autre. Il est clair, cependant, que les personnes qui souhaitent aller travailler de l’autre côté de la frontière doivent encore et toujours composer avec des différences en matière de législation et de réglementation -et avec des procédures administratives complexes et difficiles à surmonter-, qui compliquent fortement leur projet.

Un taux élevé de mobilité professionnelle entre la France et la Belgique se révèle être un objectif difficile à atteindre

La signature de la déclaration de Bologne il y a tout juste 25 ans a pourtant donné une impulsion importante vers un Espace européen de l’enseignement supérieur (EEES). En 2024, cependant, les défis et obstacles restent nombreux, à commencer par la reconnaissance automatique des qualifications. Se référant à un engagement pris à Paris en 2018, la conférence EEES des ministres de l’Enseignement organisée fin mai 2024 à Tirana a confirmé qu’il s’agit d’une des trois conditions essentielles pour que ce projet d’Espace européen de l’enseignement supérieur aboutisse.

Pour l’heure, cet engagement ne s’est toutefois guère traduit par des résultats. La région frontalière France-Wallonie-Flandre n’échappe pas à la règle: les habitants de cette région qui, aujourd’hui, veulent aller travailler de l’autre côté de la frontière, dans l’enseignement ou un autre secteur, doivent encore et toujours posséder le «bon» diplôme. Ceci s’applique également aux fonctions pour lesquelles la loi n’exige aucun diplôme spécifique. Beaucoup d’employeurs rechignent encore et toujours à recruter des candidats possédant un diplôme étranger. De plus, il n’est pas rare que des employeurs/des secteurs bien déterminés (le secteur public, par exemple) conditionnent l’attribution d’un statut ou l’octroi d’une rémunération à des critères de diplôme. Les travailleurs étrangers peuvent certes décrocher un emploi, mais pas à des conditions correspondant à leurs qualifications.

Ces dernières années, toutefois, on constate que les lignes commencent à bouger sous l’effet de la pénurie de main-d’œuvre sur le marché du travail. Les employeurs/secteurs font montre de davantage de souplesse et s’érigent même de plus en plus souvent en chantres d’une migration économique ciblée.

La situation est plus préoccupante dans les professions réglementées, où il faut posséder un diplôme reconnu ou passer des examens avant de pouvoir exercer légalement. En Europe, les professions réglementées diffèrent malheureusement d’un pays à l’autre, de sorte qu’on se retrouve avec un écheveau difficile à démêler. Heureusement, la Commission européenne a pris une première initiative afin de clarifier les choses en créant un portail et les outils y afférents.

Pour autant, les candidats à un emploi de l’autre côté de la frontière ne sont pas encore au bout de leurs peines, car les critères par profession réglementée peuvent également varier selon les pays. Ce n’est pas parce qu’un diplôme spécifique est suffisant pour exercer dans un pays qu’il le sera automatiquement dans un autre. Les autorités peuvent en effet fixer d’autres exigences relatives à un nombre d’heures de stage, à des formations spécialisées, etc. Afin d’obtenir une équivalence de diplôme, les futurs travailleurs peuvent s’adresser à des instances spécifiques. La France et la Belgique sont ainsi membres du réseau ENIC-NARIC, un partenariat entre centres d’information nationaux sur la reconnaissance académique des qualifications.

Un centre NARIC officiel existe tant en France qu’en Flandre et en Wallonie. Chacun de ces centres dispose d’un site web où vous pouvez voir si vous avez besoin d’une équivalence de diplôme. Si oui, le centre NARIC vous fournira un accompagnement individualisé. Cet accompagnement est (en grande partie) gratuit, mais les procédures sont complexes et les délais peuvent être relativement longs pendant les périodes où le centre NARIC reçoit beaucoup de demandes. Chez ENIC-NARIC France, par exemple, vous devez actuellement attendre en moyenne entre trois et quatre mois après l’introduction de votre demande avant que le centre commence à la traiter. Et s’il manque ne serait-ce qu’un seul petit élément dans votre dossier, vous devez réintroduire votre demande et la procédure recommencera à zéro.

Un accord bilatéral entre la France et la Belgique, à l’instar de ce qui existe déjà au niveau du Benelux, pourrait faire avancer les choses

De surcroît, si votre patience est récompensée et que vous obtenez finalement une équivalence de diplôme, cela ne signifie pas forcément la fin de votre parcours du combattant. Dans certains cas, en effet, le droit d’exercer une profession peut être soumis à d’autres conditions que le diplôme. En Belgique, par exemple, des règles linguistiques s’appliquent dans l’enseignement. Les enseignants doivent non seulement pouvoir justifier d’un diplôme spécifique, mais ils doivent également démontrer qu’ils maîtrisent la langue d’enseignement -le néerlandais en Flandre et le français en Wallonie. Un enseignant français qui envisage de donner des cours de français dans l’enseignement régulier en Flandre devra ainsi démontrer sa connaissance du néerlandais en produisant un certificat ou en réussissant un examen linguistique.

Tout ceci démontre que la conclusion de la conférence de Tirana au sujet de la nécessité d’une reconnaissance (automatique) des diplômes est pleinement justifiée. C’est une évolution nécessaire si l’on veut réellement faciliter la mobilité professionnelle. Mais vu la lenteur de la prise de décision pour ce qui touche à l’enseignement et la complexité de cette problématique, cette reconnaissance (automatique) des diplômes ne sera probablement toujours pas une réalité d’ici à la prochaine conférence EEES. En attendant, un accord bilatéral entre la France et la Belgique, à l’instar de ce qui existe déjà au niveau du Benelux, pourrait faire avancer les choses.

Par cet accord conclu dans le giron du Benelux, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg reconnaissent automatiquement le niveau des diplômes de l’enseignement supérieur délivrés par leurs partenaires. Cette reconnaissance automatique est toutefois assortie de conditions: une instance doit garantir la qualité des formations dispensées et les diplômes doivent être décernés par un établissement d’enseignement supérieur agréé. L’accord n’apporte pas encore de solution au problème de la reconnaissance de certains diplômes spécifiques, mais au moins n’est-il plus nécessaire d’introduire une demande de reconnaissance de niveau auprès du NARIC. Cet accord entre pays du Benelux a d’ailleurs été étendu aux pays baltes en mai 2024.

Plusieurs initiatives

La région frontalière ne pourrait-elle pas échafauder elle-même des solutions? Il en existe à divers niveaux, et qui sont déjà partiellement opérationnelles aujourd’hui. En voici trois exemples.

Outre les points de contact nationaux officiels et les portails et outils électroniques, diverses initiatives complémentaires ont été lancées au sein de la région frontalière afin d’informer les travailleurs et les employeurs des deux côtés de la frontière au sujet de l’équivalence des diplômes et de les orienter vers les instances compétentes. Ces initiatives sont aussi bien structurelles que spécifiques à un projet (à l’instar des projets Interreg à grande échelle tels que Compétences sans frontières (1) et concernent des secteurs tels que l’enseignement (l’orientation professionnelle en matière d’apprentissage, par exemple), l’économie et l’emploi. L’International House West Flanders, qui vient d’être créée et qui organise des rencontres informelles entre des «experts du vécu» (des travailleurs qui travaillent déjà de l’autre côté de la frontière aujourd’hui), entre autres, et de futurs travailleurs, constitue un exemple d’initiative dans le secteur de l’emploi.

Le projet Interreg Compétences sans frontières que nous venons de mentionner a servi de théâtre d’expérimentation pour l’organisation de formations transfrontalières communes pour des secteurs spécifiques. On a investi dans des compétences nécessaires afin d’exercer des métiers en pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs tels que l’alimentation et la construction. Les expériences ont été compilées dans une feuille de route. Ceci montre clairement, entre autres, qu’une connaissance approfondie des différences de part et d’autre de la frontière est essentielle. Les candidats à un emploi de l’autre côté de la frontière ignorent encore trop souvent quels diplômes ou certificats sont nécessaires ou constituent un atout.

Une analyse des offres d’emploi les plus fréquentes dans la région frontalière apporte déjà son lot d’informations importantes, même si les partenaires du projet ont une réserve importante à émettre à cet égard: étant donné que les travailleurs frontaliers ne font pas nécessairement partie du public cible des employeurs, les exigences linguistiques sont généralement absentes des offres d’emploi. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’une offre d’emploi en Flandre ne mentionne aucune exigence linguistique que les personnes intéressées par cette offre peuvent automatiquement considérer que la connaissance du néerlandais n’est pas indispensable.

Par ailleurs, les employeurs eux-mêmes sont de plus en plus disposés à investir dans l’accompagnement et la formation on-the-job. Cette tendance n’apporte certes aucune solution pour les personnes diplômées de l’enseignement supérieur, mais peut contribuer à ce que le travailleur reçoive plus facilement des attestations spécifiques ou complémentaires dans les métiers techniques (un certificat «fabrication de chariot élévateur», par exemple) ou les professions des soins de santé (comme l’exigence d’avoir suivi un stage).

Que les choses soient claires cependant: ces initiatives ont une utilité, mais elles sont trop limitées (dans le temps). Elles ne permettent pas de traiter la racine du problème – le besoin urgent d’une équivalence automatique de diplôme. Travailler de l’autre côté de la frontière ne sera plus facile que si les différents niveaux de pouvoir parviennent enfin à concrétiser cet espace d’enseignement unique en Europe.

1.  Ce projet s’inscrivait dans le cadre du programme Interreg France-Wallonie-Vlaanderen et est entre-temps terminé. Les outils, guides, etc. qui ont été développés à cette occasion restent toutefois disponibles ici.

Conny Van Gheluwe

Directrice de l’agence de rédaction Sproke.

info@sproke.be

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