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Le colloque des acteurs des langues régionales a lieu en Flandre française. L’occasion d’une clarification ou d’une fuite en avant?

18 octobre 2024 6 min. temps de lecture

Plusieurs organisations faisant la promotion des langues régionales de France se réuniront ce week-end en Flandre française. Une occasion opportune de présenter l’opinion du linguiste Didier Samain sur la question houleuse du dialecte flamand dans la région.

Du samedi 19 au lundi 21 octobre 2024, la Flandre française accueille le 38ᵉ colloque de la FLAREP (Fédération des Langues Régionales dans l’Enseignement Public) à Steenvoorde, à Esquelbecq et à Lille.

Ce rendez-vous annuel des acteurs des langues régionales est un moment bienvenu et important, une excellente occasion de faire le point de l’enseignement de ces langues en milieu scolaire, en se nourrissant de l’expérience des différents acteurs qui en assurent la promotion. La situation de la Flandre française est toutefois particulière à plus d’un titre, ce qu’il convient de rappeler aux non-spécialistes.

En effet, contrairement aux autres langues régionales transfrontalières, le flamand, ou plus exactement la version qui en sera présentée lors de ce colloque, est dépourvu de forme écrite spécifique. En Alsace, au Pays basque ou au Pays catalan, la forme écrite de la langue régionale est celle en usage officiellement dans le pays voisin. Autrement dit, les langues régionales promues en milieu transfrontalier sont des langues transfrontalières.

Il en va différemment du vlaemsch, la langue promue par l’ANVT (Akademie voor Nuuze Vlaemsch Taele, Institut de la Langue Régionale Flamande), dont les positions différentialistes ont été à l’inverse, à plusieurs reprises, soulignées par les linguistes de profession. C’est ainsi que Jan Pekelder parle même des «particularistes de l’ANVT», tandis que Laurent Puren déplore qu’ils se coupent du néerlandais (la forme écrite) et de la Flandre belge.

Ailleurs en France, les langues régionales promues en milieu transfrontalier sont des langues transfrontalières

Cette situation est problématique car l’ANVT revendique, et possède de fait, un monopole sur le dialecte flamand dans le nord de la France, alors même que ses représentants ne sont pas des linguistes, et que la plupart d’entre eux ne sont pas davantage des locuteurs natifs de cette langue. On peut donc s’interroger sur la qualité des enseignements ainsi dispensés et une mise au point est nécessaire.

Forme écrite et forme orale

Les notions de «langue» et de «dialecte» ne font pas consensus chez les spécialistes et entrer dans le détail de ces discussions nous entraînerait trop loin. En revanche, tous s’accordent à distinguer forme écrite et forme orale des langues. Ils considèrent que la langue écrite est la forme normalisée (sur un territoire généralement assez vaste) de formes orales qui varient quant à elles d’un endroit à un autre.

C’est le cas pour le néerlandais qui est la variante normalisée du flamand reconnu comme langue régionale. Nous pouvons ici comparer les situations linguistiques dans les régions germaniques que sont l’Alsace-Moselle et la Flandre française, qui (en dehors de la période qui a suivi 1870) présentent de nombreuses similitudes. En Alsace-Moselle, l’allemand est la forme écrite des dialectes alsaciens et mosellans.

Si nous observons la situation historique dans le nord de la France, celle-ci se révèle identique. C’est en néerlandais que la Bible a été traduite à partir du XVIe siècle. Il en va de même des textes du Dunkerquois Michiel de Swaen (1654-1707) ou de la grammaire du Casselois Andries Steven (1676-1747), en passant par les textes des chambres de rhétorique (jusqu’en 1939) ou les catéchismes du diocèse de Lille (jusqu’en 1932). On le voit, les exemples abondent.

Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, la langue écrite n’est pas la simple transcription d’une langue ou d’un dialecte oral. C’est ainsi que le français écrit correspond à des réalités lexicales, morpho-syntaxiques et phonétiques extrêmement différentes selon qu’on parle le français de Dunkerque ou celui de Marseille, alors qu’il y a bien une seule langue écrite!

Or, en se basant sur une conception erronée de la langue écrite, l’ANVT a défini récemment une norme écrite à la fois artificielle et fossilisée, car basée exclusivement sur l’usage oral des derniers locuteurs. Plus absurde encore, cette règle a été appliquée à la toponymie, au mépris (ou plus probablement dans l’ignorance) des archives attestées, qui sont quant elles en… néerlandais! En découvrant certains panneaux de signalisation, le linguiste que je suis hésite entre hilarité et consternation.

Ce n’est pas tout. Outre qu’il repose donc sur de nombreuses erreurs scientifiques, l’enseignement du «flamand de France» tel qu’il est actuellement promu ne répond à aucun enjeu linguistique ou social. En France, le dialecte local est en effet hélas sorti d’usage dans les années 1980, et compte probablement aujourd’hui moins de mille locuteurs actifs, la plupart très âgés. Désormais dépourvu d’enracinement social, cette langue disparaîtra avec eux.

La situation est toutefois différente dans le Westhoek belge, où le néerlandais standard est la langue écrite mais où le dialecte flamand reste en usage. Du point de vue purement dialectal, l’ANVT pourrait donc exploiter cette proximité, mais elle s’y refuse, préférant inventer, au nom d’un micro-nationalisme d’un autre âge, un «flamand de France» qui serait différent de celui parlé de l’autre côté de la frontière.

De sérieux motifs d’inquiétude

Du point de vue didactique, l’ANVT se met donc dans une situation tout à la fois pédagogiquement insoluble et socialement contestable. Elle est pédagogiquement insoluble, puisque, sauf à faire appel à des enseignants belges, ce qu’elle refuse, l’ANVT ne dispose tout simplement pas d’enseignants compétents. (Comment pourrait-on enseigner une langue qu’on ne maîtrise pas soi-même?)

Elle est socialement contestable, puisque, sous l’appellation de «langue régionale», cela revient à enseigner une langue de facto morte à des enfants pour qui elle est donc langue étrangère. En France, un hiatus temporel de quarante années nous sépare du dialecte flamand comme réalité sociale vivante. Ignorer cette discontinuité relève de la pensée magique.

Et ce n’est pas encore tout. L’introduction de ce flamand reconstitué dans des établissements où il y a déjà un professeur de néerlandais (à Bailleul notamment), en demandant aux familles de choisir entre «flamand» et néerlandais, conduit à fragiliser le néerlandais, pourtant déjà dans une situation très précaire (avec moins de 1% d’apprenants contre plus de 80% pour l’allemand en Alsace). Cette concurrence parfois frontale entre le dialecte et sa langue écrite est unique en France. En Alsace, il y a au contraire complémentarité entre le dialecte alsacien et sa forme écrite l’allemand.

En France, un hiatus temporel de quarante années nous sépare du dialecte flamand comme réalité sociale vivante

Il est difficile enfin de ne pas situer tout cela dans un contexte politique. Force est en effet de constater qu’en se coupant de la langue écrite pour des raisons peu défendables, un petit groupe est parvenu, grâce à l’appui de quelques élus, à monopoliser la question de la langue régionale.

On observera au passage que le colloque de la FLAREP se déroule notamment à Esquelbecq et à Steenvoorde, dans deux circonscriptions de Flandre rurale où deux candidats de centre droit ont été élus d’extrême justesse avec 50,1% des voix au second tour des législatives de juin 2024, face à deux candidats du parti d’extrême droite Rassemblement national (RN). De façon paradoxale, ces deux députés sont des piliers indéfectibles de l’ANVT, une association aux conceptions souverainistes, voire ouvertement identitaires. De manière plus cohérente, les élus RN du Conseil régional ont quant à eux voté le 4 avril 2024 en faveur «du développement culturel du flamand occidental de l’association ANVT».

Émilie Ducourant, candidate de la Gauche aux élections législatives de 2022 et 2024 en Flandre Intérieure, avait en revanche écrit un plaidoyer pour l’ajout du néerlandais au sein de l’Office public des langues régionales des Hauts-de-France. Ce qui est la situation de l’allemand en Alsace. Émilie est la maman d’un garçon scolarisé depuis 2017 dans une école frontalière de Flandre belge. Celui-ci est aujourd’hui parfaitement bilingue français-néerlandais, avec la prononciation west-flamande de ses arrière-grands-parents.

Didier Samain

linguiste et historien des sciences, professeur émérite de sciences du langage aux universités de la Sorbonne et de Paris Cité, et président de la SHESL (Société d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage). Il habite près d’Hazebrouck.

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