Le combat oublié des Belges et des Néerlandais dans la guerre de Corée
Après l’invasion de la Corée du Sud par les troupes nord-coréennes, le 25 juin 1950, les États-Unis demandèrent très vite l’aide des Nations Unies. Peu après, la Belgique et les Pays-Bas envoyèrent également des militaires en Asie. En définitive, près de huit mille volontaires venus des Plats Pays prirent part à la guerre de Corée. Les États-Unis leur ont décerné la plus haute distinction militaire pour leur participation. Mais ils sont oubliés depuis longtemps dans leur propre pays.
Initialement, la Belgique et les Pays-Bas n’étaient pas enthousiastes pour prêter main forte aux États-Unis dans leur croisade contre le communisme, à l’autre bout du monde. Ils avaient d’autres préoccupations. Ainsi, le gouvernement belge voulait d’abord satisfaire aux obligations de l’OTAN, tout juste créée. En premier lieu, l’armée devait être réorganisée, de manière à être conforme à la nouvelle alliance internationale. Dans ce processus, on ne voulait pas que des militaires expérimentés soient envoyés loin de chez eux, certainement pas alors qu’une guerre pouvait éclater en Europe. Et puis il y avait aussi la Question royale qui culminait à ce moment et causa la chute du gouvernement Duvieusart I en juillet 1950. Cependant, le nouveau gouvernement Pholien décida d’envoyer des troupes en Corée. La constitution belge n’autorisant pas l’intervention d’appelés sur des théâtres d’opérations hors frontières, la Belgique expédia un bataillon d’infanterie uniquement constitué de volontaires.
© «National Army Museum», Londres.
Aux Pays-Bas, les opérations de police venaient de s’achever en Indonésie et le gouvernement voulait plutôt investir dans le redressement du pays que dans une guerre lointaine. La crainte qu’avait le Premier ministre Willem Drees de voir le conflit dégénérer en une nouvelle guerre mondiale, joua aussi un rôle. Pour donner satisfaction aux Américains, les Pays-Bas décidèrent d’envoyer le contre-torpilleur Hr. Ms. Evertsen et une ambulance en Corée. Les Américains n’apprécièrent pas du tout et ils menacèrent de réduire l’aide accordée aux Pays-Bas dans le cadre du plan Marshall. Le 17 juillet, les Pays-Bas finirent par virer de bord et envoyèrent des soldats, également tous volontaires.
Les critères pour être admis étaient stricts. Aux Pays-Bas on recrutait des volontaires âgés de 19 à 35 ans, possédant déjà une expérience militaire d’une année. Le nombre d’inscriptions s’étant révélé très satisfaisant après cet appel, on ajouta la condition supplémentaire d’une expérience en climat tropical. Cela signifiait que la préférence allait à des soldats ayant déjà servi en Indonésie. Tous contrôles et formations effectués, il resta pour le premier contingent de volontaires 627 Néerlandais et 781 Belges (parmi lesquels 82 Luxembourgeois) pour être envoyés en Corée. Finalement, sur la durée de la guerre de Corée, 4 748 Néerlandais et 3 171 Belges participeront aux combats.
Fidélité à la patrie
Les motivations des volontaires pour aller se battre en Corée étaient très diverses. Tandis que les uns recherchaient l’aventure, d’autres voulaient y aller par idéalisme, pour faire barrage au communisme. Beaucoup se présentaient pour des raisons économiques. Après la Seconde Guerre mondiale, le niveau du chômage était assez haut et partir en mission en Corée, c’était s’assurer un revenu appréciable grâce à la prime de risque inhérente.
Parmi les volontaires néerlandais, un groupe important avait combattu en Indonésie. À leur retour, ces soldats n’avaient pas reçu un accueil chaleureux de la part de la population néerlandaise, du fait de l’information négative donnée dans la presse sur quelques excès de l’armée. De ce fait, sentant qu’ils ne pouvaient plus s’acclimater à la société civile, ils s’engagèrent à nouveau dans l’armée, où ils pouvaient effectivement trouver un esprit de camaraderie.
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Une même raison animait les jeunes volontaires qui, durant la Seconde Guerre mondiale, avaient séjourné, enfants, dans un camp d’internement japonais. Leurs expériences traumatiques n’étaient pas entendues, dans la mesure où le peuple néerlandais ne se souciait que de digérer les expériences endurées durant l’occupation allemande. Pour échapper à l’apathie de la société néerlandaise et pour gagner de l’argent, eux aussi s’inscrivaient pour servir en Corée. Cette décision n’était pas prise à la légère. Dans les camps d’internement, les gardiens de camps sud-coréens avaient souvent été plus cruels à l’égard des prisonniers néerlandais que les Japonais. Et maintenant, ils devaient aller leur apporter de l’aide?
Pour finir, se trouvaient aussi parmi les volontaires belges et néerlandais, nombre d’anciens collaborateurs de l’occupant allemand durant la Seconde Guerre mondiale, ou même de combattants sur le front de l’est dans les rangs allemands. Pour eux se posait la question de se porter volontaires, ce qui leur offrait une chance de démontrer leur loyauté à leur pays. Un volontaire belge écrivait ainsi lors de son inscription qu’il souhaitait être retenu «pour racheter ce que j’ai fait de mal envers ma patrie, et si je reviens de Corée, solliciter ma réhabilitation, en tant que bon sujet de la Belgique.»
Les froids hivers coréens
Le corps expéditionnaire de volontaires belges pour la Corée embarqua le 18 décembre 1950 sur le navire Kamina et arriva à destination le 31 janvier 1951. Le commandement était confié au lieutenant-colonel Albert Crahay. Les premiers volontaires des Pays-Bas, placés sous le commandement du lieutenant-colonel Marinus den Ouden, étaient partis pour la Corée dès le 26 octobre, sur le Zuiderkruis. À bord, les soldats néerlandais bénéficièrent d’une préparation rudimentaire, comportant quelques cours sur la Corée et sa culture, assurés par le capitaine Frits Vos. Vos était antérieurement enseignant à l’université de Leyde et sera plus tard le fondateur de la Faculté de langue et de culture coréennes.
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En route vers la Corée, ils récupérèrent des volontaires originaires de Turquie et d’Éthiopie. Dans l’ensemble parmi les militaires néerlandais régnait l’angoisse de se retrouver face à des missions de police, à l’écart des combats véritables. Les rapports du front étaient alors encourageants pour les forces armées des Nations Unies. En arrivant, ils apprirent cependant que l’armée de volontaires chinois était entrée en action et que les forces des Nations Unies étaient repoussées.
Ce que les soldats belges et néerlandais ainsi que l’état-major avaient sous-évalué, c’était la rigueur des hivers. Ils avaient pensé à tort que la Corée serait un pays tropical et humide. Les hivers y sont cependant loin d’être doux et des températures de -10° ne sont pas rares. Les soldats arrivèrent donc sans équipement d’hiver et durent être dépannés par les Américains.
La plus haute distinction militaire
Le détachement néerlandais fut incorporé à celui de la France et, du fait de la situation, presque immédiatement engagé sur la ligne de front. Les Néerlandais se verraient confier beaucoup d’opérations durant le reste de la guerre de Corée. Le détachement se distingua dès le début lors des combats autour de la colline 325 et de Hoengseong, du 12 au 15 février 1951. Les Néerlandais avaient reçu pour mission de couvrir la retraite des troupes des Nations Unies face à l’avancée rapide des Chinois. La communication avec la division sud-coréenne sur leur flanc gauche était cependant si mauvaise que cette dernière n’avait pas fait savoir qu’elle s’était retirée et avait abandonné sa position. Quand les Chinois s’approchèrent des lignes néerlandaises, les Néerlandais partirent à tort de l’idée que c’étaient les Sud-Coréens qui se retiraient. Ils se trouvèrent ainsi piégés.
Le commandant du détachement néerlandais, Marinus den Ouden, fut tué lors d’une attaque sur son poste de commandement, ainsi que dix-sept autres Néerlandais. L’aumônier du bataillon ne survécut pas, lui non plus, à l’assaut.
Les autres troupes néerlandaises surent se retirer de façon coordonnée. Mais ils reçurent immédiatement l’ordre de lancer une contre-attaque et de reprendre la colline 325. À deux reprises leur tentative échoua. Mais la troisième fois, même à court de munitions et avec leurs seules baïonnettes, ils réussirent à s’emparer à nouveau de la colline. Pour leur courage, les soldats du détachement reçurent la Presidential Unit Citation, la plus haute distinction américaine qu’une unité militaire étrangère puisse obtenir.
Le régiment belge reçut son baptême du feu sur la rivière Han, le 9 mars 1951 et fut engagé lors de la progression des Nations Unies vers la rivière Imjin. Les troupes belges durent alors faire face à une sévère contre-offensive chinoise. Du 20 au 23 avril, les Belges combattirent côte à côte avec les Britanniques contre d’éventuelles infiltrations des troupes chinoises. Elles furent réprimées de justesse, souvent dans des combats au corps à corps. Finalement, le détachement belge assura la retraite du reste de la brigade, bien qu’il eût à déplorer la perte de treize hommes. Pour ce combat héroïque, le bataillon reçut également la Presidential Unit Citation.
Le respect de l’adversaire
Ce qui frappe dans les souvenirs des vétérans, c’est le respect et l’admiration qu’ils portaient à l’adversaire chinois. Un soldat néerlandais parle des bruits qui couraient sur les cruautés des soldats chinois – mieux valait ne pas tomber aux mains de l’ennemi. Alors qu’un caporal de leur unité se trouva blessé au combat et dut rester sur place, ils le retrouvèrent vivant le lendemain. Les Chinois l’avaient déplacé et mis à l’abri.
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L’adversaire était aux yeux des soldats, considéré comme un égal, et non réduit aux termes d’une vision binaire du monde pro/anticommuniste. Un autre vétéran qui servit à partir d’août 1951, rend hommage aux soldats chinois, parce que ceux-ci, malgré le pilonnage de l’artillerie, trouvaient le courage de monter à l’attaque baïonnette au fusil.
Le front de Corée ne bougea plus à partir d’avril 1951. Les troupes belges et néerlandaises étaient mises en position par intermittence jusqu’à la signature de l’armistice le 27 juillet 1953. La mission que la Belgique et les Pays-Bas ont entreprise en Corée pour les Nations Unies, reste la plus meurtrière jamais menée.
© «National Army Museum», Londres.
Au cours de la guerre, 107 soldats belges et 123 soldats néerlandais trouvèrent la mort, 645 Néerlandais et 478 Belges furent blessés. Ce fut une guerre féroce, sans égard pour les morts. C’est ainsi que beaucoup de vétérans belges et néerlandais désignent la guerre de Corée. Ils n’évoquent pas volontiers leurs expériences à cause des souvenirs traumatiques qu’ils portent. Ils parlent des corps qui gisaient pendant des jours au bord de la route sans que personne éprouvât le besoin de s’en occuper. La guerre de Corée est encore souvent qualifiée de guerre oubliée. Le vétéran belge de Corée René Tutteleers parle «d’une guerre oubliée et de vétérans oubliés».
Des traumatismes non traités
Ce qu’on n’a jamais décrit, c’est la durée pendant laquelle se prolonge la guerre pour les personnes directement concernées. Après le retour au pays, la guerre coûta encore la vie à d’innombrables Koreagangers («anciens de Corée»). Le colonel Leendert Schreuders en a fait le récit émouvant. Il a raconté une nuit durant laquelle le bataillon néerlandais montait la garde, quand soudain le sergent vit un groupe de soldats ennemis s’approcher de leur ligne de front, avec des fugitifs parmi eux. Comme il ne savait que faire, le sergent transmit l’information à Schreuders en lui demandant la conduite à tenir. Schreuders ordonna au sergent de tirer sur le groupe, parce qu’ils pouvaient être dangereux dès qu’ils atteindraient les lignes néerlandaises. Le sergent était cependant très réticent à exécuter l’ordre et il raconta par radio au colonel que beaucoup de femmes et d’enfants se trouvaient dans le groupe. Schreuders était cependant résolu et réitéra son ordre d’ouvrir le feu. Le lendemain, les Néerlandais trouvèrent un groupe de dix-huit civils morts, dont des femmes et des enfants. «Je les ai tués, je les ai tués» se lamentait le sergent. L’incident produira des problèmes psychiques des années plus tard et aboutira à un suicide. Le sergent n’avait pas pu faire la paix avec son acte.
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Le suivi médical et la connaissance du stress post-traumatique n’existaient pas encore en 1953. Les vétérans de Corée n’eurent pas droit non plus à une prime de traumatisme comme les autres anciens combattants. Certains porteraient leur vie durant le fardeau mental de leurs expériences traumatiques. La décision du vétéran de Corée Willem de Buijzer a illustré encore récemment l’emprise actuelle de la guerre sur la vie des personnes concernées. Il a fait le choix d’être inhumé dans le United Nations Memorial Cemetery Korea, à Busan. Ainsi, il a été enterré au milieu de ses anciens compagnons d’armes qui l’ont précédé là 65 ans plus tôt.