Partagez l'article

littérature

Le côté néerlandais de Joris-Karl Huysmans

6 octobre 2023 6 min. temps de lecture

Joris-Karl Huysmans, le plus «hollandais» des Parisiens, a contribué à faire connaître l’art des Plats Pays au public francophone. De son vivant, il a aussi connu une certaine notoriété aux Pays-Bas, pays d’origine son père. Cette notoriété a été récemment ravivée par un roman de Houellebecq. Dans un livre destiné aux lecteurs néerlandophones, le chercheur Marc Smeets dévoile le côté néerlandais de Joris-Karl Huysmans.

Pendant longtemps, Paris a été considérée comme le centre de la littérature mondiale et le français comme une langue internationale. Cette situation a laissé des traces dans l’histoire de la littérature européenne, qui au XIXe siècle encore était fortement marquée par les tendances littéraires françaises. Aux Pays-Bas, et de surcroît en Flandre belge, les bibliothèques comme les particuliers possédaient des œuvres littéraires ou scientifiques françaises non traduites.

Bien entendu, il s’agissait d’une voie à sens unique: bon nombre de critiques littéraires néerlandophones lisaient, écrivaient et parlaient le français, tandis que le cas contraire était plus que rare. En revanche, le voyage culturel dans les Plats Pays était prisé par les artistes français qui y appréciaient les paysages et à la culture, en particulier la peinture.

Dans ce contexte, Joris-Karl Huysmans (1848-1907), qui ne maîtrisait pas le néerlandais, a pu contribuer au contact entre les cultures néerlandaise et française. Habitant à Paris, il s’imprègne jusqu’à l’âge de huit ans de l’atmosphère chaleureuse, du calme et du confort des maisons dans le Brabant septentrional lors des visites à sa famille paternelle. Après la mort du père, les liens familiaux se distendent, mais Huysmans correspond toujours –en français– avec un oncle, professeur de dessin, qui l’encourage dans sa carrière d’écrivain.

Charles Marie Georges devient Joris-Karl

Inspiré par la collection de maîtres anciens néerlandais et flamands du Louvre, qui comprend pour sa plus grande fierté une toile d’un ancêtre Huysmans, il se consacre à la rédaction de critiques d’art en plus de son travail de fonctionnaire dans un ministère. Rapidement, ces articles sur la peinture «hollandaise» – comme il le dit – seront publiés dans les revues de l’art.

À partir de 1874, Huysmans s’engage également dans la voie littéraire et publie un recueil de poèmes réalistes en prose, en grande partie consacré à l’art ancien des Plats Pays. Il néerlandise son nom d’écrivain: Charles Marie Georges devient Joris-Karl. (Oui, Karl, la forme allemande, et non Karel. Pour des raisons de prononciation peut-être?)

En 1876, avec son premier roman, Marthe, sur la vie d’une prostituée, et un article défendant les thèses d’Émile Zola, il rejoint le groupe des écrivains qui se disent naturalistes. Il sera admis au cercle de Zola et impliqué dans la naissance de l’Académie Goncourt. Bien qu’initialement discrédité pour avoir écrit sur les bas-fonds de la société, Huysmans gagne en reconnaissance. Dans les années 1880, il est très connu en France.

Reconnaissance difficile aux Pays-Bas

Cependant, sa prose lardée de descriptions crues de la misère sociale et physique a du mal à se frayer un chemin au pieux pays de son père. Les rédacteurs des revues littéraires qui le lisent osent à peine consacrer des critiques à ses œuvres qui passent pour négatives et malsaines. La famille de Huysmans aux Pays-Bas, d’obédience catholique stricte, le désapprouve également. Ceci joue probablement un rôle dans un problème d’héritage qui lui fait perdre les liens avec sa famille néerlandaise après la mort de son oncle.

Huysmans, convaincu que seuls les peintres impressionnistes non conventionnels en France sont progressistes, en phase avec leur époque, tourne le dos à la peinture ancienne et à la nostalgie. Dans le domaine artistique également donc, ses liens avec les Pays-Bas se relâchent. Néanmoins, la nostalgie de la chaleur et le confort de la maison hollandaise décorée avec les tableaux des maîtres comme il l’a connu dans sa jeunesse l’accompagnera tout au long de sa vie.

Aux Pays-Bas, Huysmans trouve finalement un véritable défenseur en la personne d’Arij Prins, le premier écrivain et critique naturaliste néerlandais. Grâce à lui, le romancier et critique d’art déjà célèbre en France sera publié et suivi dans son évolution par certains hommes de lettres progressistes néerlandais.

Écrivain mystique

Toutefois, le pessimiste Huysmans ne leur rend pas la tâche facile. Préoccupé par des questions d’ordre spirituel, il abandonne le naturalisme de Zola et poursuit une longue recherche personnelle et littéraire qui le mène, via l’occultisme et le symbolisme, au mysticisme chrétien et à une intense pratique de piété. Ce changement s’avère incompréhensible pour les écrivains néerlandais qui l’admiraient pour son réalisme naturaliste.

Même l’ami de toujours, Arij Prins, se montre critique à l’égard de ses derniers livres, parmi lesquels une hagiographie de sainte Lidwine de Schiedam. Seuls quelques ecclésiastiques à l’esprit ouvert suivront encore avec attention et compréhension l’écrivain «converti» dans la presse catholique néerlandaise. Le chemin choisi par Huysmans l’inscrit dans le mouvement appelé décadentisme, basé à la fois sur un sentiment de déclin et de modernité, typique des années 1880-1900.

En même temps que sa foi catholique, Huysmans retrouve ses liens avec les Pays-Bas, même si cette fois-ci, ils remontent au Moyen Âge, des Primitifs flamands, de Sainte Lidwine et des communautés spirituelles laïques telles que les Frères (et Sœurs) de la vie commune et les béguines. Au XIXe siècle, ce dernier mouvement était encore vivant en Flandre et aux Pays-Bas, mais, au grand regret de Huysmans, avait disparu en France. L’écrivain a tout de même essayé de vivre en tant qu’oblat en communauté avec des amis, dans une maison à côté du plus ancien monastère français. Mais l’expulsion des congrégations religieuses vers 1900 en France et une maladie grave l’ont empêché de réaliser l’idéal d’une vie spirituelle commune.

Huysmans chez Houellebecq

Depuis le succès du roman Soumission (2015) de Michel Houellebecq, un véritable renouveau de Huysmans s’est amorcé, en France et ailleurs. Le protagoniste de Soumission, François, est en effet un spécialiste et admirateur de Huysmans qui cherche, à l’instar de son idole mais un siècle plus tard, les valeurs perdues des sociétés occidentales.

Dans Soumission, Houellebecq faisait (fictionnellement) entrer Huysmans dans la fameuse collection La Pléaïde, ce qui a apparemment eu un impact sur le réel: quatre ans plus tard, en 2019, Gallimard faisait paraître Romans et Nouvelles de J.K. Huysmans dans sa plus prestigieuse collection.

Aux Pays-Bas et en Flandre, où Houellebecq est bien suivi, l’effet Houellebecq se fait aussi sentir. Alors qu’avant 2019, seuls les romans Marthe et À Rebours (Tegen de keer) étaient disponibles en néerlandais, deux livres de Huysmans ont depuis été traduits pour la première fois. Il s’agit du roman En ménage (Aan de vrouw) et de la nouvelle La retraite de Monsieur Bougran (De pensionering van Monsieur Bougran).

Un Hollandais parisien

On découvre le côté néerlandais de Huysmans, et notamment l’histoire de la réception critique de son œuvre aux Pays-Bas, dans Een Parijse Hollander, Joris-Karl Huysmans (Un Hollandais parisien, Joris-Karl Huysmans) écrit par l’enseignant chercheur Marc Smeets de l’université Radboud de Nimègue. Ce livre retrace de manière détaillée le rôle qu’a joué le pays du père de Huysmans dans l’évolution de sa vie personnelle et artistique. Cet aspect demeure méconnu des lecteurs français de Huysmans.

En vrai bâtisseur de ponts, Smeets a publié en néerlandais et en français plusieurs ouvrages biographiques sur Huysmans. Il est également coéditeur de la Pléiade et de l’édition critique des œuvres de Huysmans publiées en neuf volumes chez Classiques Garnier entre 2017 et 2020. De même, Smeets contribue régulièrement à la revue de la Société J.-K. Huysmans.

Je ne sais pas si une traduction en français d’Een Parijse Hollander est en vue, mais, pour les curieux, sachez qu’au moins un article en français du même auteur au sujet de la réception de Huysmans aux Pays-Bas est accessible sur le web.

Marc Smeets, Een Parijse Hollander, Joris-Karl Huysmans (Un Hollandais parisien, Joris-Karl Huysmans), uitgeverij Verloren, Hilversum (Pays-Bas), 2021.
Dorien-Kouijzer

Dorien Kouijzer

critique et journaliste culturel

Commentaires

La section des commentaires est fermée.

Lisez aussi

		WP_Hook Object
(
    [callbacks] => Array
        (
            [10] => Array
                (
                    [000000000000267a0000000000000000ywgc_custom_cart_product_image] => Array
                        (
                            [function] => Array
                                (
                                    [0] => YITH_YWGC_Cart_Checkout_Premium Object
                                        (
                                        )

                                    [1] => ywgc_custom_cart_product_image
                                )

                            [accepted_args] => 2
                        )

                    [spq_custom_data_cart_thumbnail] => Array
                        (
                            [function] => spq_custom_data_cart_thumbnail
                            [accepted_args] => 4
                        )

                )

        )

    [priorities:protected] => Array
        (
            [0] => 10
        )

    [iterations:WP_Hook:private] => Array
        (
        )

    [current_priority:WP_Hook:private] => Array
        (
        )

    [nesting_level:WP_Hook:private] => 0
    [doing_action:WP_Hook:private] => 
)