Le demi-contournement de Lille n’apporte que demi-satisfaction
Depuis des années, le trafic transfrontalier de poids lourds est l’objet de discussions entre les autorités françaises, flamandes et wallonnes. D’après Christophe Boval, aucune solution n’est en vue dans l’immédiat.
Il y a une petite vingtaine d’années, le Westhoek a été passablement ébranlé par un projet français de construction d’une nouvelle autoroute qui allait traverser partiellement le territoire west-flamand et dont le but était de réduire le trafic des voitures et surtout des camions dans l’agglomération lilloise. Finalement, les pouvoirs publics français eux-mêmes ont enterré en douce ce projet de A24 ou LAALB (Liaison autoroutière Amiens-Lille-Belgique), car il suscitait également pas mal d’objections dans l’Hexagone. Depuis lors, il n’est plus question d’une nouvelle autoroute au sens propre du terme, mais le trafic (notamment de poids lourds) transitant par Lille et les alentours n’en reste pas moins une source latente de frictions entre les autorités françaises, wallonnes et flamandes.
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La signalisation routière est incontestablement l’un des sources de frictions. Prenez les poids lourds qui viennent de Paris et qui n’ont pas pour destination Lille. Sur la A1, au sud de l’agglomération lilloise, ils sont contraints de gagner la Belgique par Tournai au lieu d’emprunter une voie plus courte telle que la N227 (par Villeneuve d’Ascq) ou la N356 (par Saint-Maurice). En sens inverse, donc nord-sud, à hauteur de l’échangeur E17xE403 d’Aalbeke, la direction de Paris via Tournai n’est signalisée qu’à titre indicatif. Aucune obligation, alors, pour les poids lourds, de faire le détour sous peine d’amende.
Flandre et Wallonie solidaires
L’explication de ce flou est simple: pour des raisons de sécurité routière, les Français veulent éloigner le fret de transit de l’agglomération lilloise –la mesure de fin 2006 a été prise après quelques accidents graves impliquant des camions– et cette mesure s’inscrivait en outre dans la lutte contre la pollution de l’air. Les Français voient dans le contournement par Tournai une bonne variante. La Belgique est consciente de cet état de choses, mais estime qu’elle n’a pas à endosser purement et simplement un problème français et, surtout, n’admet pas que la France impose son point de vue. Cette situation conflictuelle dure depuis plus de quinze ans, et la solution ne semble pas imminente.
Durant l’été 2021, Michel Lalande, alors préfet de région, a tenté de persuader les partenaires belges de mettre en place à Aalbeke à titre expérimental une déviation obligatoire, de façon à identifier les éventuels problèmes et à pouvoir chercher à y apporter des solutions. La réaction côté belge a été, c’est le moins qu’on puisse dire, tiède, et Georges-François Leclerc, le nouveau préfet de région nommé entre-temps à Lille n’a pas remis la question sur le tapis.
Petite mise au point: les divergences de vues ne se situent évidemment pas entre la France et la Belgique, mais entre la France, la Wallonie et la Flandre. La direction des routes en Belgique est une matière régionale, le pouvoir fédéral n’y joue aucun rôle. Mais, une fois n’est pas coutume, les autorités flamandes et wallonnes sont sur la même longueur d’ondes. Ceci ne manque pas de piquant si l’on sait que la route dont il est question concrètement est la E403 Tournai-Bruges, qui était encore à la fin du siècle dernier l’objet d’un différend typique entre Flamands et Wallons. L’achèvement de cette route sur sol wallon fut à l’époque utilisé comme monnaie d’échange pour le prolongement de la N58 depuis Comines-Warneton à travers le territoire flamand jusqu’à la A19 à Menin.
Cela dit, les autorités de part et d’autre conviennent que la E403 et la E42, en particulier les échangeurs d’Aalbeke (avec la E17 de et vers Gand-Anvers) et de Froyennes (avec la E42 de et vers Lille) ne peuvent absorber une augmentation substantielle du trafic de poids lourds.
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Du côté wallon, surtout, l’accent est mis sur des inconvénients d’ordre pratique. La Flandre défend de surcroît sa position de principe selon laquelle il n’est pas logique d’interdire le fret de transit sur des autoroutes de type E, celles-ci ayant, par définition, vocation à accueillir le transport international. Le ministre flamand des Travaux publics, Kris Peeters, a même, en son temps, alerté la Commission européenne à ce sujet.
Dans une Flandre en mal d’aménagement du territoire, les autoroutes sont à peu près les seuls axes de circulation sur lesquels la présence des poids lourds reste incontestée. Donner suite à la sollicitation de la France pourrait très bien constituer un précédent pour des demandes visant à dévier en Belgique également le trafic autoroutier de fret, ce qui irait à contre-courant de l’objectif poursuivi. La Flandre s’évertue depuis un quart de siècle à aménager le réseau routier de manière plus hiérarchisée, veillant à ce que le trafic (de fret) de transit emprunte des voies qui ne sont pas les plus courtes, mais les mieux équipées.
D’Ypres à Bruges, par exemple, vous êtes censé emprunter les autoroutes A19/E403, quoique le parcours soit un peu plus long que par les routes régionales N313/N32. En corollaire, les itinéraires respectifs sont conçus de façon à induire le comportement approprié: sur les autoroutes, tout est mis en œuvre pour garantir la fluidité de la circulation. En revanche, le réseau régional est davantage étudié en fonction de la sécurité routière et du confort de fréquentation. La réduction de la vitesse y est assurée à grand renfort d’îlots directionnels, de rétrécissements, de ronds-points et autres moyens. Ajoutons que le fret est, en certains endroits, canalisé par une limitation de tonnage, de sorte que les chauffeurs optent quasi automatiquement pour l’itinéraire recommandé, en l’occurrence ici l’autoroute.
La Flandre s’évertue à aménager son réseau routier de manière à ce que le trafic (de fret) de transit emprunte les voies non pas les plus courtes, mais les mieux équipées
Ainsi que nous l’écrivions plus haut, le nouveau préfet laisse (provisoirement?) tel quel le sujet du contournement de Lille. Cela ne signifie nullement qu’il y ait une solution sur le fond. On pourrait, au mieux, dire qu’il y a accord sur un point: le désaccord. Du point de vue français, la E42/E403 reste la solution adéquate pour détourner la circulation de véhicules que l’agglomération de Lille n’intéresse pas. Et ce, d’autant plus que la N227 ou la N356, comme leur numérotation l’indique, ne sont pas des autoroutes, mais des voies rapides, avec des accès et sorties en plus grand nombre et plus courts, davantage de virages, donc de risques de conflit, bref plus insécurisants pour les transports de transit lourds. Les autorités flamandes et wallonnes continuent de s’entendre sur le rejet d’une solution qui leur fait endosser toute la charge. Par conséquent, tout porte à croire que la situation demeurera quelque temps encore inchangée.
Le projet Seine-Escaut comme solution ultime
Une chose, en tout cas, est certaine: les plans de réalisation de la A24 étant rangés aux oubliettes, il faut faire une croix sur toute chance de voir l’aménagement d’une autoroute complémentaire dans l’enceinte ou à proximité de l’agglomération de Lille. Il y a plus de quinze ans déjà, le débat public concernant la A24 a clairement montré que cette autoroute ne peut trouver, ni au propre ni au figuré, sa place dans un site fortement urbanisé tel que Lille. Non seulement les objections d’ordre écologique sont de plus en plus nombreuses, surtout face à la crise climatique, mais le scepticisme s’accroît également sur la question de savoir si, à terme, ajouter des autoroutes résout vraiment les problèmes de mobilité.
S’il est vrai que, dans un premier temps, une nouvelle autoroute permettrait de se donner un peu d’air, elle risquerait d’attirer davantage de véhicules, ce qui ne tarderait pas à engendrer de nouveaux engorgements. Une nouvelle voie qui raccourcit la durée du trajet inciterait un plus grand nombre de personnes à effectuer le déplacement. À l’inverse, on s’abstient ou on limite ses déplacements si le temps de parcours est trop long. Cela s’applique autant pour les travailleurs que pour les entrepreneurs, les commerçants ou les personnes qui se rendent à un concert.
Le scepticisme s’accroît sur la question de savoir si, à terme, ajouter des autoroutes résout vraiment les problèmes de mobilité
Ajoutons à cela que les bouchons sur les routes sont provoqués en premier lieu par les voitures et non par les camions. La preuve en est a contrario que, durant la récente crise du coronavirus, la circulation a été plus fluide parce que l’obligation de travailler à domicile et la réduction de l’offre en matière de loisirs entraînaient une forte diminution du nombre de véhicules privés. Au sortir de cette période de crise sanitaire se développe la prise de conscience que, plutôt que de nouvelles routes, c’est un transport public plus performant qui est le plus à même d’améliorer de façon durable la mobilité et son confort.
Pour ce qui est du transport du fret sur de longues distances, il est prévu un modal shift très prometteur, comportant en premier lieu le projet, assez pharaonique, de percement d’un canal de 100 kilomètres qui est appelé à relier le bassin de la Seine et celui de l’Escaut et fait partie du projet Seine-Nord porté par la France, la Wallonie et la Flandre.
Pendant ce temps, les mesures à prendre sur le réseau routier existant privilégieraient une meilleure signalisation et l’élimination de situations à risques, souvent à l’origine d’accidents et génératrices de gros embarras de circulation.
Une grande première belge dans ce domaine est le projet dit «De Vlecht» (La Tresse). Réalisé par l’AWV (Agentschap Wegen en Verkeer ou Agence flamande pour la sécurité routière), ce projet a permis la mise en place de bretelles d’entrée et de sortie de la E17 à Waregem. À un tel endroit, où, aux heures de pointe en tout cas, la densité est telle que l’on roule pare-chocs contre pare-chocs dans un sens comme dans l’autre, cette «tresse» a pour but de permettre au trafic de s’écouler de manière beaucoup plus fluide, notamment pour qui doit sortir à gauche.