Le design comme moteur
L’an prochain, Lille pourra porter le titre de Capitale mondiale du design. Ce titre lui a été décerné par la World Design Organisation (WDO), l’organisation mondiale du design. L’objectif est de dynamiser toute la Métropole européenne de Lille (MEL) par le design. Une approche à grande échelle qui vise à faire de la région une référence mondiale. Ce programme est-il davantage qu’une campagne de marketing ou cette région est-elle vraiment un foyer d’idées nouvelles ?
Le titre prestigieux de capitale mondiale du design (World Design Capital ou WDC en anglais) est décerné tous les deux ans par la World Design Organization ou WDO, une organisation non gouvernementale dont le siège est à Montréal et dont l’histoire remonte à 1957. Les précédentes capitales mondiales du design ont été, entre autres, Helsinki (2012), Le Cap (2014), Taipei (2016) et Mexico (2018). A l’issue d’une longue période de sélection, la Métropole européenne de Lille s’est retrouvée en finale face à Sydney et a finalement remporté le titre. Ce titre de World Design Capital (Capitale mondiale du design) correspond à un projet de promotion d’une grande ville organisé par l’International Council of Societies of Industrial Design afin de reconnaître et de récompenser les réalisations de cette ville dans le domaine du design.
Le design comme catalyseur de développement
Depuis un certain temps déjà, Lille s’affirme par son action en faveur de l’innovation et organise de grands évènements. En 2004, elle s’est portée candidate à l’organisation des Jeux olympiques. Ces jeux ont finalement eu lieu à Athènes, mais la cité nordiste a su conquérir un autre titre, celui de Capitale européenne de la culture.
Lille a ainsi acquis une notoriété internationale et les investissements considérables liés à cette désignation ont porté leurs fruits pour l’ensemble de la région dans les années qui ont suivi.
Tous les efforts se concentrent maintenant sur le design afin de dynamiser la ville, ou plus exactement la Métropole européenne de Lille (MEL) avec l’ensemble de la zone frontalière, qui s’étend jusqu’à Courtrai et Tournai au nord, et jusqu’à Amiens au sud et au reste de la région Hauts-de-France à l’ouest.
Impliquer tous les habitants en améliorant leurs conditions de vie dans la région grâce au design
Le WDC (World Design Capital) est un programme d’évènements qui se déroule sur plus d’un an. Ce titre offre la possibilité de se réinventer, de nombreuses manières et avec un impact dans de nombreux domaines. L’élément déterminant qui a permis à Lille Métropole de l’emporter sur ses concurrentes, est précisément sa vision transversale et inclusive du design comme catalyseur du développement. L’ambition affichée de faire du design le moteur des transformations dans tous les domaines de la politique de la ville a convaincu le jury, d’autant plus que l’histoire et le patrimoine de la région en faisaient partie.
Non sans emphase, Lille se propose comme objectif, grâce au design, de concevoir, dessiner et expérimenter un monde plus juste, plus beau et plus vertueux, tant sur le plan économique, social et culturel que pour le développement, l’environnement et le cadre de vie. La maire de Lille, Martine Aubry, met surtout l’accent sur la mobilisation et la participation de l’ensemble de la population, afin d’impliquer tous les habitants en améliorant leurs conditions de vie dans la région grâce au design.
Une région pilote du design
La région, densément peuplée, doit faire face à tous les problèmes des grandes villes et répondre aux défis contemporains, qui viennent se greffer sur un passé marqué par le cycle de la pauvreté intergénérationnelle dans les banlieues, le chômage et la criminalité frontalière. Les qualités de résilience et d’initiative de cette région sont remarquables et deviennent légendaires. La volonté d’aller de l’avant pour procéder à des changements importants sans occulter les défis actuels honore la ville. La métropole lilloise, avec ses
1 200 000 habitants, ses 90 villes et communes, ses 110 000 étudiants, et ses 80 sièges d’entreprises, sinon plus, veut en être un exemple inspirant : la République du Design.
Les qualités de résilience et d’initiative de cette région sont remarquables
La mise en œuvre du WDC reçoit un large soutien régional, national et international. À l’échelle internationale, Lille Design 2020 veut également introduire, de manière littéralement transfrontalière, « un peu d’Europe ».
Des conférences, des sessions de formation, des activités accessibles à tous, des sites Web attrayants, des publications, une vaste campagne de communication et la valorisation des talents sensibilisent un large public au design.
Un concept clé du WDC est le « POC » ou « Proof of concept » (preuve de faisabilité). Tout un chacun peut proposer un projet lié au design : non seulement les designers professionnels, les développeurs de produits, les entreprises et les collectivités, mais aussi les établissements d’enseignement, les associations, les artistes et les citoyens. Chaque projet proposé est testé sur sa faisabilité et reçoit le soutien, après sélection, d’encadrants professionnels, à chaque étape de son élaboration. Un accompagnement attentif permet aux porteurs de projet d’intégrer le design et de parvenir à des solutions réalisables ou de transformer leur propre structure. Une grande attention est également portée au statut du designer et aux formations. De multiples concours et appels d’offres ouverts doivent attirer des talents dans les domaines les plus divers : architecture, économie créative, soutien artistique et résidences, consultation pour la création d’un parcours évènementiel autour du Louvre-Lens, appel à candidature du Grand Prix de la Création de la Ville de Paris, ateliers pour entreprendre dans la création et se professionnaliser…
Parmi les projets ambitieux à long terme, citons l’Observatoire régional du design, qui dresse un inventaire du design à partir de données statistiques, et grâce auquel Lille Métropole pourra se mesurer à d’autres régions et, à l’instar de Saint-Etienne, devenir une région pilote attestant de l’évolution de ce secteur en France.
Les Assises du Design, par exemple, constituent une initiative portée par le ministère de la Culture et le ministère de l’Économie et des Finances visant à intégrer le design dans la politique (inter)nationale, afin renforcer l’attractivité de la France.
Mentionnons enfin un Club d’entrepreneurs, le projet de coopération transfrontalière Tripod avec la Flandre et la Wallonie et l’incubateur Innotex en Tremplin-design, une plateforme qui accompagne les designers à toutes les étapes de leur processus de création.
Approche à grande échelle
D’importants moyens humains et financiers ont été mobilisés pour garantir l’effet de levier et les retombées économiques que WDC fait escompter.
La grande ambition de la région ne se limite pas à renforcer la notoriété de Lille Métropole sur le plan international. L’ensemble du projet vise à transformer notre avenir. Au cours de l’histoire, cette région a dû s’adapter en termes d’industrie, de transition énergétique, de technologie numérique. Dans ces transformations, la créativité et les idées nouvelles ont joué un rôle essentiel, exactement comme dans ce qu’offre le design. Rien de surprenant donc dans le fait que le design est aujourd’hui au service d’autres grandes réalisations, y compris dans le domaine immatériel. « La clé de notre métamorphose », « l’innovation par l’empathie », « une nouvelle forme d’expérimentation collective et pratique » sont quelques exemples d’expressions lyriques figurant dans la documentation du projet. L’approche à grande échelle doit faire de la région une référence mondiale dans la recherche de nouvelles solutions aux problèmes contemporains. La beauté et l’aspect esthétique, qui stimulent le bien-être et la satisfaction, reçoivent l’attention nécessaire. Rappelons des succès commerciaux du passé français, comme BIC (stylos) ou Decathlon, Prisunic (magasins) ou le site de production Bombardier qui a construit dans la région des rames de TGV. Qu’il s’agisse de petits objets quotidiens, de textile, de décoration ou de mobilier, ou bien d’urbanisme, de technologie ou de processus de fabrication, le design va jusqu’à jouer un rôle de cohésion sociale et pourrait contribuer à modifier nos comportements.
Le potentiel du design suscite de grands espoirs pour l’individu, l’entreprise ou la société. Bien entendu, la première priorité est de renforcer la renommée et la compétitivité des entreprises de la région. Un article du magazine publié par Lille Design 2020 indique qu’une étude danoise aurait montré que le taux de croissance des entreprises utilisant le design est, sur 5 ans, de 22 % supérieur à celui de leurs concurrentes. Selon une étude française, le taux d’utilisation du design par les entreprises en France est faible (40%), et inférieur à celui de la Grande-Bretagne (50%) ou des pays scandinaves (60%), toujours dénommés « pays de l’Europe du Nord » dans l’article. Il est frappant de voir que la région lilloise se présente aussi comme
« nord-européenne », afin d’intégrer de la sorte le modèle nord-européen. « Région du Nord », elle l’est dans les esprits, du moins au sud de Paris. De manière tout aussi frappante, un site Internet consacré au projet design qualifie Lille de « capitale des Flandres ».
L’ouverture du WDC, fin décembre 2019, aura lieu juste après la clôture d’ Eldorado, un festival culturel urbain ayant pour thème le Mexique et organisé dans le cadre de Lille3000.
Cet enchaînement de deux évènements aussi importants pose la question de savoir si les investissements colossaux (budget prévisionnel de 15 millions d’euros répartis sur trois ans) ne sont pas trop lourds et si l’énergie que cela implique de la part des habitants ainsi que des organismes privés et des services publics locaux n’est pas excessive. Il est bien entendu trop tôt pour en mesurer l’impact et les effets à moyen et long terme. Est-ce que de nouveaux investisseurs viendront ? Est-ce que de nouvelles activités durables s’implanteront à la suite des expérimentations faites dans le cadre de Lille 2020 – Capitale mondiale du design ? Est-ce que la région peut devenir un foyer d’idées nouvelles et de solutions d’avenir ? Est-ce qu’un produit ou un concept révolutionnaire sera développé durant l’année où Lille sera capitale mondiale du design ? Ou bien faudra-t-il surtout compter sur des visiteurs venus s’émerveiller devant une innovation de pointe spectaculaire qui, dans le meilleur des cas, les inspirera ? Quel bénéfice en tirera l’habitant moyen de la Métropole européenne de Lille, y compris après 2020?
Lille Design 2020 démontrera avec le temps si cet évènement a été davantage qu’une simple campagne de marketing. Le secret d’une grande mobilisation, manifestement possible dans cette région (candidature aux Jeux Olympiques, Lille capitale européenne de la culture) tient sans doute à une démarche d’appropriation collective. L’énergie et la démarche professionnelle déployées pour Lille Design 2020 semblent déjà largement présentes.