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Giovanna Massoni: «Le design n’est jamais neutre. Il est profondément politique.»

31 mars 2020 18 min. temps de lecture Le design aujourd’hui

Commissaire d’exposition, journaliste et experte en stratégie de communication, depuis 2005 Giovanna Massoni explore les notions de durabilité, d’accessibilité et d’innovation sociale. Consultante pour entre autres Addict Creative Lab, DesignSingapore Council, United Nations Environment Programme (UNEP), European Economic and Social Committee (EESC), AWEX, Wallonie Design, Flanders DC et Wallonie-Bruxelles Design Mode.

Responsable, depuis 2007, de la communication et de la création d’un label commun pour la promotion du design belge à la Design Week de Milan, elle a été commissaire des expositions Belgium is Design à la Triennale di Milano en 2011, 2012 et 2013. Guest-curator à la Biennale internationale de design de Saint-Etienne (2006, 2008, 2015) et directrice artistique de Reciprocity Design Liège – Triennale internationale de design & innovation sociale
(depuis 2012). Elle œuvre pour une compréhension du monde du design privilégiant un discours inclusif et transdisciplinaire, se focalisant sur les dynamiques culturelles et sociales qui lient personnes et objets.

Giovanna Massoni est commissaire de la Maison POC Économie circulaire (Couvent des Clarisses, Roubaix) dans le cadre de Lille Métropole capitale mondiale du design 2020.

www.designstreams.net (site en construction)

Autrefois, le design était la mise en forme (entre mise en scène et mise en pratique?), l’emballage d’un produit donné, le fait de le rendre «esthétique». Le designer avait devant lui un produit et un client. Il exécutait ce qu’un client lui demandait. Il y avait et il y a encore pour beaucoup de gens, si vous voulez, IKEA d’un côté, et de l’autre le design des «boutiques» qui proposent des objets beaux (une chaise, une lampe), mais pas toujours fonctionnels – un peu comme la haute couture dans les défilés de mode – et terriblement chers. Quelle est selon vous la définition du «design» aujourd’hui?

«Plus l’intervention est peu visible mieux le design est réussi, car cela prouve qu’il peut s’intégrer avec discrétion et efficacité dans un contexte.»

«Pour commencer je dirais que le design est une démarche qui peut concerner l’écosystème d’une ville autant qu’une cuillère. Les bons designers sont habitués à se pencher sur des questions macroscopiques autant que sur des questions plus courantes et plus simples: comment rendre un quartier plus agréable à vivre ou comment concevoir une cuillère pour gauchers, par exemple. Le design est partout, souvent «invisible»: car le travail du designer consiste à transformer un objet, un contexte, un service en l’améliorant, en plein respect des utilisateurs qui en bénéficieront. Et je dirais même que plus l’intervention est peu visible mieux le design est réussi, car cela prouve qu’il peut s’intégrer avec discrétion et efficacité dans un contexte.

Il y a 40-50 ans, les designers travaillaient en partenariat avec des industriels. Et avec l’aide de ces derniers et des artisans qui travaillaient pour eux, ils créaient quelque chose de fonctionnel, de beau et d’utile, sans penser aux chiffres d’affaires que ces objets pouvaient générer. Ils étaient en quelque sorte des visionnaires. Souvent, on tend à utiliser le mot «design» en tant qu’adjectif et d’attribuer à ce mot un côté luxueux. On en fait quelque chose d’absolument beau à voir mais impossible à s’approprier. Parallèlement, une nouvelle génération de designers commence à se dire: «Bon, au lieu de continuer à fabriquer des chaises, essayons d’élargir notre vision à des problématiques plus urgentes qui nécessitent des solutions et qui ne concernent pas uniquement le milieu domestique qui regorge de tout, pour tous les goûts. Essayons plutôt de nous pencher sur des questions réelles comme l’écologie ou la migration, et d’ainsi intervenir dans les systèmes de la société». Aujourd’hui, on parle beaucoup d’innovation sociale et publique et de la manière dont le designer intervient dans ces secteurs méconnus des amateurs de design et aux yeux de qui le design se limite à une lampe ou à une chaise.

«Le design n'est ni un adjectif, ni un produit, mais bien une attitude.»

Par conséquent, je dirais que le design n’est ni un adjectif, ni un produit, mais bien une attitude: c’est la manière d’observer et d’envisager des solutions à des problèmes. Aujourd’hui, il est très difficile de donner des définitions, des réponses ou de créer des produits qui améliorent nettement notre manière de vivre, parce que l’on vit à une époque où une solution est immédiatement dépassée par une autre. Les idées, les réponses et les propositions circulent incroyablement vite. Je pense que l’on doit commencer à ralentir le rythme de production, non seulement d’objets, mais aussi d’idées. Il faut se rendre compte qu’une solution doit être adaptée au milieu où le problème surgit et prévoir un temps d’expérimentation, d’adaptation et de correction s’il le faut. Le design devrait davantage être attentif au tissu social où se situent les destinataires de ces projets.»

Le contexte du design ne cesse donc de s’étendre. C’est clair. Or la réflexion aussi a beaucoup évolué. On parle beaucoup de design thinking. Cette manière de penser «design» pose trois questions: celle de la feasibility (faisabilité: est-ce possible techniquement?); de la viability (viabilité: est-ce économiquement viable?) et de la desiderability (désirabilité: est-ce vraiment désirable?). Qu’en pensez-vous?

«Depuis les années 1980, le design thinking est une méthodologie courante dans le milieu professionnel du design. À mes yeux, le design thinking représentait en quelque sorte le fait de réintégrer un temps de réflexion collaborative avant de faire, de produire et de surconsommer. J’estimais ce mode de penser prometteur: il fallait analyser le besoin effectif d’un produit, son usage et ses utilisateurs avant même de le confectionner. Mais aujourd’hui, on abuse souvent de la définition, surtout depuis que son utilisation a pour but d’augmenter la désirabilité, et donc d’augmenter les ventes d’un produit (marketing), plutôt que l’innovation et l’amélioration d’un objet ou d’un service par rapport à ses utilisateurs.

En effet, ce qui me dérange dans cette définition, c’est d’appliquer le mot «désirabilité» à un bien de consommation, car on s’éloigne alors totalement de la finalité principale du design qui n’est pas d’attirer de nouveaux consommateurs, ni d’inspirer de nouveaux désirs, mais bien de gérer le désir et d’essayer de lui redonner une valeur éthique qui n’est pas de «posséder un produit» mais bien d’«aller à l’encontre»: la recherche d’un bien commun, l’amélioration de notre système de vie, de notre société, du vivre-ensemble etc.»

Dans ce sens, que pensez-vous de la thèse selon laquelle nous vivons dans un monde obsédé non pas par la connaissance, mais par les «expériences»? Le géant Apple a très bien compris que l’expérience, c’est-à-dire le lien émotionnel avec le produit, était déterminante.

«Je suis critique vis-à-vis de cette quête obstinée d’expériences. Toutefois, si l’on se tourne vers la philosophie, on doit se rendre compte que l’individu s’approprie la beauté d’un objet à travers l’expérience. L’expérience est, en effet, un philtre fondamentalement humain qui permet à chaque individu d’atteindre quelque chose de bien, de beau et d’agréable. Le problème réside encore une fois dans la manière dont une démarche «marketing» s’approprie certaines définitions, qui sont à la base tout à fait pertinentes et justes, pour vendre son produit. Je ne vois aucun mal à souhaiter profiter d’une expérience. Je conçois que tout un chacun puisse faire l’expérience d’un système qui améliore sa manière de vivre, d’un objet qui provoque en lui des émotions, mais la question reste de savoir si cet objet est accessible à tous. La question est également de savoir si l’on ne peut profiter d’une belle expérience que si l’on possède quelque chose ou si l’on peut également s’offrir une expérience gratuite.»

Abordons un autre sujet. Vous avez écrit que «l’économie circulaire représente un bon point de départ pour une réflexion sur le monde du design d’aujourd’hui». Comment?

«L’économie circulaire est en fait un concept qui tend de plus en plus à être sur toutes les lèvres. On connaît tous le ruban de Möbius. Cependant, le design en soi devrait puiser son ADN dans des principes éthiques fixés. Depuis 40 ans déjà, on parle notamment du cycle de vie d’un objet, de l’importance de concevoir le produit du «berceau au berceau» et de définir donc en amont son impact environnemental. À l’époque, bon nombre de designers et d’industriels comprenaient déjà ce problème. Aujourd’hui tout le monde cherche l’adhésion à un nouveau programme écologique. Il faut toutefois faire attention.

La vie d’un objet, le réemploi, la réutilisation, le upcycling – tous ces mots qui proviennent du champ lexical de l’économie circulaire – ne sont pas des vérités absolues. Des designers ont déjà souligné la nécessité d’être vigilant face à certaines manières de recycler. Prenez, par exemple, l’interdiction d’imprimer des courriels, parce que ce geste entraîne l’abattage d’arbres. On a ensuite découvert que l’envoi d’un courriel génère un impact écologique plus important encore que l’impression d’une feuille.

Une vision univoque de l’économie circulaire entraîne beaucoup de risques. Ce n’est pas une boucle, mais plutôt une série de comportements et d’actions, relativement «localisés», liés à un territoire donc, des règles d’adaptation au contexte. Vous savez, à côté d’une large gamme de matériaux qui se prêtent au recyclage ou au réemploi, il existe des matériaux qui ne peuvent pas être réemployés, à l’instar de certains matériaux de construction. Tout n’est pas forcément réutilisable. En ce sens, le recyclage ne garantit pas forcément une diminution de l’impact écologique. Je ne veux toutefois pas critiquer tout ce qui est fait et dit. Néanmoins, il faut se montrer vigilant. Par ailleurs, chaque pays dispose de ses propres normes. Il n’existe ni règles, ni normes communes. Tout ceci pour dire qu’on ne peut pas abuser d’un label «économie circulaire», si l’on se contente de recycler des matériaux, car il se peut que le système de recyclage ait un impact environnemental plus important encore que le recyclage en soi. La définition d’«économie circulaire» ne peut donc pas devenir un label universel en raison du grand nombre de cas spécifiques.»

«Le design n’est jamais neutre. Il est profondément politique.» Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là?

«J’entends le mot «politique» dans le sens d’une position critique dans la société: toujours faire preuve d’un regard critique. La non-neutralité du design consiste à choisir comment faire les choses. Le designer devrait également être en mesure d’exprimer ses choix, de les documenter et de les expliquer suffisamment pour qu’une industrie, un gouvernement ou encore un politicien puissent comprendre comment les systèmes de gestion (industriels, de gouvernance, de production, de distribution des richesses) pourraient évoluer positivement.

Le choix critique d’entamer un projet, de concevoir un objet utile ou d’intervenir dans le tissu social pour réinventer de nouveaux systèmes visant, par exemple, à améliorer la cohésion sociale ou la sécurité d’un quartier. Tous ces choix nécessitent un positionnement politique, un investissement, un engagement social, voire économique. D’après moi, bon nombre de designers sont dotés d’une capacité stratégique, qui est cruciale de nos jours et qui peut influencer une nouvelle économie.»

Revenons-en à la «géographie» du design qui nous concerne ici. Est-ce qu’on peut encore parler d’un design «néerlandais» (Dutch Design); d’un design «belge» – flamand et / ou francophone belge? français? Ces labels sont-ils encore valables?

«J’aime mettre l’accent sur l’importance du contexte où les choses se produisent. Il est évident que le contexte dans lequel le design néerlandais ou belge se forme est crucial. Mais les paramètres changent selon le type de contexte dont on parle, qu’il s’agisse de celui d’une école, d’une industrie, etc.

On ne peut pas généraliser et parler du design flamand plutôt que du design wallon ou bruxellois. Si on considère la Belgique, on constate qu’il existe un passage, une sorte de nomadisme culturel qui dépasse les frontières. Ce pays fait preuve d’une liberté de vision qui ne s’ancre pas dans un territoire spécifique.»

Vous voulez dire que l’école, la formation du designer est un facteur déterminant?

«Le fait de disposer ou non d’un tissu industriel traditionnel, historique, est essentiel pour la profession de designer.»

«L’école joue un rôle déterminant, mais le contexte économique d’une région aussi. Si on pense au design comme à un milieu de développement économique et industriel, le fait de disposer ou non d’un tissu industriel traditionnel, historique, est essentiel pour la profession de designer. Je constate, en comparant la Belgique à mon pays d’origine, que le tissu industriel italien a généré un tout autre type de designers que ceux présents en Belgique, où la tradition industrielle design n’est pas aussi présente, malgré un passé pourtant relativement florissant. La Belgique a abrité des designers, mais il n’existe pas de véritable design belge, ni de tradition industrielle forte, contrairement à l’Italie, à l’Allemagne, ou encore aux Pays-Bas où se situe entre autres Philips, à Eindhoven, qui joue un rôle toujours aussi important. Le tissu industriel d’un lieu ainsi que la présence d’une école à proximité font de ce territoire un territoire hyperfertile pour le design et font naître une volonté d’innover la manière de produire.

En ce qui concerne la Belgique, son échelle est quelque peu différente et elle abrite trois régions dont les traditions diffèrent fortement. Cette taille génère des échanges qui sont plutôt «culturels»: des designers vont se ressourcer en Flandre avant de déménager à Bruxelles ou vice versa. On y constate la présence d’un mouvement, d’un échange qui génère un ADN beaucoup plus spécifique, un espace beaucoup plus libre, paradoxalement parce que l’industrie ne se situe pas là. Le fait d’avoir un tissu industriel très développé peut aussi constituer un frein à la liberté créative.

Pour ce qui est des Pays-Bas, ce pays est marqué par une tradition pédagogique très ancrée, je pense en premier lieu à la Design Academy, mais également à plusieurs autres écoles, telle que l’Université technique de Delft qui est pourvue d’un système pédagogique très ouvert et orienté vers la transdisciplinarité, qui constitue, à mon sens, le futur du design. La Design Academy a joué un rôle très marquant: son approche spéculative et critique a révolutionné le système design et la manière de l’enseigner. Dès le début, elle a su communiquer de manière très efficace, elle a su être présente. Je dois dire que la politique culturelle néerlandaise a, elle aussi, rendu possible le développement, la diffusion et la visibilité du design néerlandais dans tous les salons et les Design Weeks du monde entier.

Aujourd’hui, je constate une certaine orientation dans le design néerlandais et dans l’enseignement qui est celle de la «recherche». Un éventuel basculement vers de la recherche pure m’inquiète quelque peu. Selon moi, le futur du design réside dans la recherche appliquée, issue de la transdisciplinarité, du dialogue entre les différentes disciplines. J’ai décrit, dans une autre interview, le design comme une table de négociations; cette idée selon laquelle le design peut réunir autour de la table toute une série de disciplines, de compétences, de savoir-vivre, de savoir-penser différents. Le design à lui seul ne peut pas résoudre les problèmes qui dépassent le cadre de ses compétences. Je redoute une suprématie du design. J’entends par là une recherche qui dépasse l’application, qui perd le contact avec la société, qui devient trop spéculative et trop éloignée de la réalité et qui ne fait plus appel à des scientifiques, à des psychologues, à des sociologues etc. Je n’aime pas les professions toutes puissantes.»

La recherche est un avion, et de temps en temps un avion doit atterrir pour prendre de l’essence.

«Exactement, la recherche perd ce contact primordial avec la réalité, surtout dans le secteur de la recherche de nouveaux matériaux où le design peut jouer un rôle déterminant. On constate parfois des extrémismes, des déviations un peu trop métadesign. On remarque une tendance à aller trop loin. Cette orientation n’est pas uniquement présente aux Pays-Bas, bien qu’elle le soit plus qu’en Belgique. Selon moi, la Belgique est beaucoup plus pragmatique.»

Cela reste un pôle d’attraction très fort.

«Cela reste, en effet, un pôle d’attraction très puissant, car cela a vraiment marqué une réorientation du design et un élargissement de son rôle et de la manière d’analyser de manière critique le système design, le système des objets.»

Et pour en venir à la France, comment considérez-vous le paysage design en France ? Pouvez-vous dire quelques mots sur le Nord?

«En France, chaque territoire possède ses propres manières de fonctionner. Il est vrai que la France ne se limite pas à Paris et on s’en aperçoit de plus en plus, en outre grâce à la nomination de Lille comme capitale mondiale du design ou encore grâce à la Biennale de Saint-Étienne. On s’est tourné vers d’autres réalités du design, loin d’être parisiennes. Paris demeure, sans aucun doute, une ville riche en designers et en réalisations design, en particulier dans le secteur du design mobilier et industriel.

En matière de design de recherche au niveau de problématiques sociales, politiques, etc., le design qui me tient le plus à cœur, je trouve que la candidature de Lille Métropole a produit un changement crucial. Lille a remporté ce statut, grâce à un programme de collaboration entre le design et les entités industrielles, sociales, citoyennes, etc. d’un territoire. Cela signifie que le design n’est plus une profession de bureau, mais bien une profession qui implique de descendre dans la rue, de parler aux gens, de collaborer. »

Pour parler encore un peu de design transfrontalier, quel rôle joue l’Europe dans cette «transfrontalité». Pensez-vous qu’elle crée des opportunités, des chances ?

«D’un côté, l’Europe a joué, joue et jouera un rôle important, car on aspire toujours à devenir une Europe culturellement plus unie. C’est pourquoi les programmes qui soutiennent des actions transfrontalières, permettant à différents pays de se réunir et de former un réseau dans lequel ils travaillent main dans la main, peuvent présenter une utilité sur le long terme. En revanche, ce qui m’inquiète, c’est ce système temporaire qui génère des projets plus ou moins qualitatifs et qui, après trois ans, finit, par conséquent, par générer du vide. Ce système relativement artificiel qui vise à stimuler la collaboration et la création d’un réseau entre différentes réalités européennes, il faut y être vigilant. Il faut faire attention à notre manière d’utiliser ces programmes, parce que si l’on s’arrête après trois ans, on risque d’imputer à ces outils un côté négatif, qui nous fera «desévoluer», plutôt que de nous permettre de continuer par nos propres moyens. L’Europe revêt donc un caractère quelque peu artificiel, bien qu’elle eût une valeur importante, en particulier pour certaines organisations à qui elle a octroyé une aide nécessaire et méritée.»

Pour en revenir à Lille Métropole mondiale, vous êtes la commissaire de la Maison POC Économie circulaire (au Couvent des Clarisses, Roubaix) à partir du 30 avril jusqu’au 31 octobre. Mais qu’est-ce exactement qu’un POC, Proof of Concept? Je pense que vous avez enrichi le concept en ajoutant à la Proof of Concept, la Proof of Collaboration
et la Proof of Commons. Pouvez-vous expliquer cela en quelques mots?

«Pour moi, le plus important aujourd’hui, en travaillant avec cette multitude de projets complètement différents qui sont issus de réalités différentes, c’est que l’on y retrouve de tout : des citoyens, des entreprises, des administrations publiques, etc.

Ce qui m’enthousiasme pendant l’accompagnement et en vue de cet événement qui va bientôt ouvrir ses portes (car c’est un laboratoire et non une exposition, il est important de le préciser), ce sont cette énergie et cette envie de non seulement mettre en place un projet en plein développement, mais aussi trouver des manières efficaces de collaborer. On s’est réunis pendant l’accompagnement de ce projet et on continuera de le faire pendant les six mois de la Maison POC durant lesquels les gens se sont dits désireux de collaborer avec les autres porteurs de POC. Ce projet prouve que le design peut générer de la cohésion et, plus encore, une véritable collaboration économique, culturelle et sociale. Par conséquent, je souhaite vraiment que la Maison POC devienne une maison de collaboration orientée vers le bien commun parce que c’est en cela que réside l’objectif principal de l’économie circulaire. Voilà ce que j’entends par Proof of Commons. Et à mes yeux, le bien commun représente tout ce qui intéresse la vie sur cette planète: pour commencer, la nature, mais aussi nos relations sociales, l’humanité, les relations humaines. Tous ces aspects sont primordiaux. Il faudrait recommencer à en parler.»

C’est donc politique dans le vrai sens du mot?

«Absolument.»

Une dernière question: si j’étais un jeune qui cherche une école, une formation pour se lancer dans le design et que je viens chez vous pour vous demander: «Que dois-je faire? Que dois-je être?» Que diriez-vous à ce jeune homme ou à cette jeune femme? Quelles sont les qualités ou les manières de voir requises pour devenir designer?

«Il n’est pas facile de conseiller un jeune de nos jours. Travailler dans le design peut s’avérer difficile. On pense souvent qu’il suffit d’avoir une idée, de faire un dessin, puis de le proposer à une entreprise ou de l’autoproduire, mais ce n’est pas le cas. Il faut se montrer patient et humble. Le design est certes un secteur créatif, mais ce n’est pas un secteur artistique. L’ouverture au dialogue avec l’autre et l’envie de collaborer sont déterminantes parce qu’un véritable designer se doit de reconnaître ses erreurs et de recommencer son projet en vue de le réadapter.

Autre chose importante: il est nécessaire de voyager, de visiter des lieux et des expositions, de parler avec les gens. Il faut apprendre l’histoire du design ainsi que les différentes cultures. Acquérir des connaissances est indispensable dans toute profession, c’est d’autant plus vrai dans le design. Je dirais autre chose encore: il ne faut pas négliger une offre de travail comme designer interne à une entreprise, parce que c’est une formation déterminante.

Elle nous rapproche du réel, des négociations, des confrontations avec autrui, ce qui permet de développer le sens du travail d’équipe qui est indispensable dans cette profession. Enfin, il ne faut jamais oublier que l’on crée toujours pour quelqu’un et qu’il vaut mieux créer avec la personne qui va utiliser le produit, plutôt que de se dire que l’on connaît déjà le consommateur final. L’usager n’est pas un simple consommateur, mais bien notre interlocuteur principal. C’est le sujet.»

C’est beau. Y a-t-il encore quelque chose que vous voudriez ajouter?

« Afin d’étayer ma dernière remarque sur l’usager, j’aimerais mettre l’accent sur l’importance de toujours faire preuve d’un regard ouvert et objectif et sur l’importance de toujours tout prendre en considération, même ce qui ne nous plaît pas. J’ai vécu trente ans partagée entre l’amour et la haine de ce pays et je pense que cette expérience m’a apporté mille fois plus que de vivre dans un pays où je me sens dans ma zone de confort, où je parle ma langue et où je ne vois que des gens qui ont la même nationalité que moi. Cet enrichissement, avant tout transfrontalier, est capital. Aujourd’hui, je suis reconnaissante d’être ici, vraiment, parce que vivre en Belgique m’a permis de m’ouvrir considérablement. Déménager ailleurs est une expérience qui fait beaucoup réfléchir. Vivre en Belgique et bouger entre les lignes, bouger les lignes – car je n’ai fait que bouger les lignes en Belgique, les frontières linguistiques, culturelles, etc.- m’a permis de mieux comprendre les gens et les dynamiques qu’un Belge qui a toujours vécu ici ne questionne jamais. Cette capacité est fortement liée au programme Erasmus ainsi qu’à toutes les collaborations que l’Europe essaye de nouer au moyen de ses échanges et je suis très positive dans ce sens.»

Giovanna Massoni

Giovanna Massoni

commissaire d'exposition - journaliste - experte en stratégie de communication

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