Le doux frisson de la fraude: Michel Quint évoque ses souvenirs de la frontière
Quelles expériences et idées la frontière entre le nord de la France et la Belgique évoque-t-elle à celles et ceux qui ont vécu une (grande) partie de leur vie dans sa proximité? Nous avons posé cette question à différentes personnes. Pour l’écrivain français Michel Quint, qui a vécu une grande partie de sa vie non loin de cette frontière, celle-ci constitue une invitation à la transgression.
Dans les années 1960, j’habitais Wattrelos, ville frontalière avec Herseaux, Belgique. Et je fréquentais le lycée Maxence Van der Meersch à Roubaix. L’auteur de La Maison dans la dune, roman qui parle de fraudeurs. Et dès lors, peut-être dans un réflexe littéraire, la frontière a toujours été pour moi, quand elle existait encore, un prétexte à transgression. Pour mes parents aussi je crois.
Par exemple… Aussi souvent que possible nous allions manger des glaces à Menin, Menen, en territoire néerlandophone, Chez Pitch, quelle que soit la saison.
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La métropole lilloise comptait bien sûr des salons qui offraient des produits de qualité, glaces et pâtisseries diverses que j’étais capable d’engloutir au plus près de chez nous sans le long déplacement dans la Citroën paternelle, mais rien ne semblait remplacer une expédition à Menin. Je ne voyais pas bien l’intérêt de déguster un sorbet, deux boules au chocolat dans le bruit feutré de conversations en néerlandais, sinon que mes parents avaient là trouvé, dans cette habitude, une forme de snobisme, comme s’ils prenaient régulièrement le thé à Berlin ou à New York.
Ils voyageaient. Mais pas seulement… En effet ma mère prétendait qu’elle ne pouvait cuisiner qu’avec une marque de margarine belge dont j’ai oublié le nom… En France nous avions Astra si je me souviens des publicités, mais seule la margarine belge avait le droit de cité chez nous.
Je soupçonne ma mère d’avoir pris cette décision avec un rien de colonialisme inconscient de piller un pays conquis. Elle aurait pu décider de n’utiliser dans sa cuisinière que du gaz algérien ou ukrainien. S’y ajoutait, j’y reviens, le doux frisson de la fraude. Parce que mon père achetait de l’essence, moins chère en Belgique, sans faire le plein pour ne pas être pris par la douane au retour par le «Risquons Tout» (le nom est explicite!), et des cigarettes. Un paquet. Ainsi il n’avait pas l’impression de mentir au douanier qui demandait si nous avions quelque chose à déclarer. Ma mère montrait sa margarine…Nous vivions ainsi une aventure à notre mesure.
Par la suite, pendant mes années d’étudiant, je fréquentais les bals populaires du pays flamand où je rencontrais de douces demoiselles néerlandophones avec qui aucun mot n’était échangé. Nos lèvres se parlaient quand même… Mais c’est une autre histoire….