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arts

Le duo Daems van Remoortere dessine un trait allant de l’astronomie à l’intelligence artificielle

Par Ian Mundell, traduit par Marieke Van Acker, Arthur Chimkovitch
3 juin 2021 10 min. temps de lecture

Avec son travail sur la lumière, le duo anversois Daems van Remoortere se projette dans différentes directions. D’une part, les œuvres que réalisent les deux artistes pour des galeries s’appuient sur l’abstraction géométrique et l’astrophysique. D’autre part, leurs stimulantes installations multimédias soulèvent des questions sur l’espace public et la société. En 2020, la ville d’Anvers a annulé l’installation de l’une de ces réalisations publiques, la jugeant trop provocatrice pour le centre-ville.

Lena Daems (née en 1988) et Frederik van Remoortere (né en 1986) se sont rencontrés à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, où ils ont collaboré au cours de leurs dernières années d’études. Lena Daems s’est spécialisée en photographie et a obtenu son diplôme en 2011, alors que Frederik van Remoortere a suivi la formation In Situ de l’Académie, un parcours qui se concentre sur l’art intégré au site. Il a obtenu son diplôme en 2008.

Durant ses études, van Remoortere a créé le collectif Lampekap (Abat-jour) pour le développement de projets combinant différents médias et formes de performance. La composition du groupe variait selon le projet, comprenant au besoin des réalisateurs de film et de théâtre, des écrivains, des musiciens et des interprètes. Daems a été impliquée dans certains des projets de Lampekap, qui figurent désormais parmi les premières œuvres du duo Daems van Remoortere.

Le premier projet à avoir un impact a été Het Raam (La fenêtre) (2012). Cette installation dans le quartier commerçant du Meir à Anvers proposait la projection aux fenêtres, à la nuit tombée, de scènes filmées d’un roman policier. En se déplaçant d’une fenêtre à l’autre, les spectateurs, devenant voyeurs, découvraient les lieux du crime et pouvaient ainsi reconstituer le récit.

Avec Fresco (2013), le duo s’est déplacé à l’ intérieur. Une trentaine de spectateurs étaient invités à s’allonger sur un grand canapé circulaire, le regard dirigé vers le plafond. Là, une projection de film ouvrait comme une fenêtre sur le ciel. Des silhouettes nues marchaient, roulaient et s’étalaient sur fond de nuages bleus. Clin d’œil à la longue tradition des plafonds en trompe-l’œil, cette œuvre est également teintée d’un soupçon de voyeurisme. L’installation abritait d’ailleurs une image cachée: vue d’en haut, la disposition des spectateurs sur le canapé s’apparentait à l’iris d’un œil immense.

Ces deux projets Lampekap exploitaient un thème qui se prolonge dans le travail du duo Daems van Remoortere: la relation entre l’espace privé et l’espace public. Mais avec le recul, la véritable création charnière semble être Lichtlijn (Trait de lumière) (2013), leur première œuvre conçue en fonction de la lumière et de la géométrie.

Cette installation a été réalisée au sein du centre artistique anversois De Studio, où un escalier a été percé d’une série de trous circulaires et carrés. La projection d’un faisceau lumineux à travers les trous avait pour effet que des ombres circulaires se superposaient sur des trous carrés, et vice versa. Le résultat était une abstraction géométrique perçant le bâtiment. Le mouvement des gens dans l’escalier faisait monter et descendre la lampe génératrice des ombres, provoquant ainsi l’expansion et la contraction de celles-ci. Les artistes ont puisé leur inspiration chez l’«anarchitecte» américain Gordon Matta-Clark. En 1977, celui-ci avait créé Office Baroque en perçant des trous dans les sols d’un immeuble anversois. Mais Lichtlijn est plus discret, plus précis aussi, presque comme une maquette pour un projet plus grand, dans un bâtiment plus grand.

Parallèlement à ces installations Lampekap et indépendamment de celles-ci, le duo Daems van Remoortere s’est lancé dans la réalisation d’œuvres pour des galeries. Les deux artistes y ont développé leur intérêt pour la géométrie, la lumière, le temps et l’interaction des espaces public et privé. Situées clairement dans la tradition de l’abstraction géométrique, ces œuvres sont pourtant inhabituelles de par le lien clair qu’elles maintiennent avec la réalité observable. Blues of Pools (Bleu de piscines) (2019), par exemple, reproduit la géométrie des lignes de couloir d’une piscine, déformée par les mouvements dans l’eau. Quant à Blinds (Store) (2018), cette création est conçue comme un store vénitien circulaire avec des lamelles en verre. En tant qu’abstraction géométrique, l’œuvre propose une composition avec des lignes et un cercle; en tant qu’objet, elle subvertit la fonction du store, en laissant entrer à la fois la lumière et la vue.

Cette œuvre de galerie a permis à Daems van Remoortere d’explorer des idées pour de nouvelles installations. Pour Meetingpoint (Point de rencontre), leur exposition solo de 2018 à la galerie Callewaert Vanlangendonck à Anvers, ils ont installé une sculpture publique permettant aux gens de vivre une éclipse solaire. Lorsque le soleil atteignait son point le plus élevé dans le ciel, il s’alignait avec un disque représentant la lune sur la sculpture. De cette manière, une éclipse pouvait être observée depuis une plateforme d’observation en gradins. Les pièces de l’exposition comprenaient une maquette de la structure, des schémas montrant les lignes de vision impliquées et des représentations du processus de l’éclipse.

Ici encore se combinent la géométrie et la réalité observable: un disque bouge pour en obscurcir un autre et cela provoque en même temps un changement capital dans le monde qui nous entoure. Les mouvements dans les cieux sont impressionnants même lorsque nous les comprenons. Si cette œuvre est marquée par un soupçon de théorie, cela ne demeure toutefois qu’un soupçon. Il n’y a pas de formules, pas de textes à déchiffrer, à peine quelques explications, même si les artistes admettent avoir élaboré un récit détaillé (initialement développé comme un scénario pour un film de science-fiction) qui a inspiré leur langage formel.

Meetingpoint est restée une œuvre de galerie et ne s’est pas prolongée par une installation publique. Pour leur nouvelle création publique, le duo Daems van Remoortere a même quitté l’astronomie, sans doute la science la plus ancienne du monde, pour se tourner vers l’une des sciences les plus récentes: l’intelligence artificielle.

Track Tracy (2018) a été conçu pour un espace ouvert entouré de hauts immeubles, après la tombée de la nuit. Les places telles qu’on les trouve dans de nombreuses villes flamandes et néerlandaises s’y prêtent à merveille. Deux grands projecteurs sont installés en hauteur sur l’un des bâtiments. Ils sont dirigés par un ordinateur qui surveille les personnes traversant l’espace à l’aide d’une caméra thermique. Suivant sa propre logique, l’ordinateur sélectionne une personne, projette sur elle un faisceau lumineux et la suit jusqu’à ce que la personne quitte la zone, ou jusqu’à ce que l’ordinateur décide de passer à un autre sujet.

Les artistes décrivent cette installation comme une interaction entre l’intelligence biologique et artificielle, une chorégraphie dans laquelle il n’est pas toujours évident de savoir qui prend les devants. Si, au départ, l’œuvre peut paraître une version bienveillante des projecteurs sélectionnant des gens dans la nuit, les réactions du public ont été extrêmement variées partout où l’installation a élu domicile (jusqu’à présent à Anvers, Louvain, Tongres et Kasterlee en Belgique, Bâle en Suisse et Vlieland et Breda aux Pays-Bas). Certaines personnes essaient de sortir de la lumière ou ont une réaction de colère lorsqu’elles sont repérées. D’autres s’amusent à esquiver le faisceau ou tente d’attirer l’attention de l’installation si elle ne les repère pas. D’autres encore dansent sous les projecteurs.

Track Tracy fait penser aux médias sociaux et à la culture de la célébrité, à l’attention intense qui se concentre sur les individus pendant une courte période puis s’arrête, pour des raisons apparemment arbitraires. L’œuvre nous fait réfléchir aussi sur nos relations avec les ordinateurs, sur le fait d’être vu et «traité», que cela soit significatif ou non. Enfin, et peut-être surtout, Track Tracy évoque la surveillance, la capacité des ordinateurs (et de ceux qui les contrôlent) à suivre nos mouvements, que nous le voulions ou non.

Ce dernier aspect de Track Tracy a été une pierre d’achoppement. La première installation de l’œuvre, au musée MAS à Anvers, dans une zone gentrifiée des quais de la ville, n’a posé aucun problème. Mais lorsque, l’année dernière, le service culturel d’Anvers a proposé de l’installer à la Grand-Place, le bureau chargé de la sécurité a annulé l’invitation. Le motif: l’installation provoquerait la peur parmi les résidents. Lorsqu’un journaliste a souligné qu’Anvers regorge de caméras surveillant les mouvements des personnes, le porte-parole de la ville a protesté sans ironie, et affirmé que c’était différent dans ce cas, car les gens auraient vraiment la sensation d’être surveillés.

Alors que Track Tracy était en tournée, le duo Daems van Remoortere a réalisé une nouvelle installation: Ballooning a House (La maison ballonnée) (2019), œuvre conçue une fois de plus pour un espace public de nuit. Il s’agit d’un film montrant une petite maison carrée en brique. Au début, rien ne semble se passer, mais on entend un grincement et des grognements. Ce sont apparemment les briques qui protestent alors qu’une grande sphère noire se dilate à l’intérieur de la maison. La sphère force progressivement les murs à se séparer, provoquant finalement l’effondrement de la construction.

La nuit, les bords de l’écran sur lequel est projeté le film se fondent dans l’obscurité, de sorte que la maison semble réelle. À plusieurs reprises, l’écran a été installé au milieu d’un lac, de sorte que l’image de la maison se reflète dans l’eau. Un tel décor rappelle d’ailleurs la source d’inspiration de cette création: un refuge pour les ouvriers isolés par les crues sur l’île néerlandaise de Tiengemeten.

Selon les artistes, la sphère croissante peut être vue comme le pouvoir imparable de la nature, opposé au besoin humain d’organisation et de définition. La géométrie est une nouvelle fois au rendez-vous, et les formes se succèdent: une sphère fait éclater un cube, l’un des nombreux cubes construits sur la sphère terrestre.

La relation entre d’une part leurs installations et d’autre part leurs créations de galerie devient plus claire dans la création la plus récente du duo. L’installation After Hours (Après fermeture) (2021) consiste en une forme découpée dans le mur d’une usine vide située dans la périphérie d’Anvers. Le trou est rempli d’un store vénitien rose géant. Vu de l’extérieur, c’est une tache de couleur et un changement dans la texture de la construction en acier. À l’intérieur, l’œuvre diffuse la lumière de manière dramatique. Le halo qui apparaît lorsque le soleil est derrière le store fait comprendre qu’il s’agit d’une autre éclipse, ou, qui sait, du lever de la Terre vu depuis l’espace.

Les artistes appellent cette création une ode à Gordon Matta-Clark. Ils suivent son exemple, à savoir la transformation de l’architecture en sculpture, en passant de l’espace public à l’espace privé. En même temps, l’installation rappelle à quel point le duo Daems van Remoortere évolue sur un projet à long terme, poursuit des thèmes d’une pièce à l’autre, créant la superposition de nombreuses couches.

After Hours se poursuit à travers plusieurs pièces dans leur dernière exposition en galerie, avec des variations dans la forme, les couleurs et la structure du store vénitien. Mais le titre de l’exposition, Are we movin’ too slow? (Bougeons-nous trop lentement ?) renvoie à une nouvelle idée d’installation publique. Dans la partie avant de la galerie figure une colline sculptée de terre rouge. Au-dessus de ce monticule tourne un projecteur fixé sur une longue tige. Il s’immobilise à intervalles en un point représentant la position actuelle du soleil, projetant ainsi de la lumière et de l’ombre sur la colline. Il se repose, puis tourne à nouveau.

Ailleurs se renouvellent les lignes et les cercles. Dans Meeting Point Palace (2021), une grille métallique repose sur deux cercles qui se touchent comme dans une éclipse en cours. Et dans End (Fin) (2021), un cercle, un carré et une grille de lignes se superposent. Les différents éléments ne sont pas tous visibles en même temps, leur intensité et couleur changeant en fonction de l’angle de vue. On retrouve ici clairement la série géométrique du duo, mais quelque chose dans la surface suggère également la présence de semi-conducteurs, la géométrie chatoyante hébergeant l’intelligence artificielle.

Are we movin’ too slow? est à la Galerie Callewaert Vanlangendonck jusqu’au 26 juin. Des informations sur les futures installations sont disponibles auprès de la Berserk Art Agency.

Mundell Ian

Ian Mundell

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