La Piscine de Roubaix présente l’exposition Bestiarium,
consacré au travail remarquable de Johan Creten, sculpteur flamand installé à Paris. Bien que méconnu du grand public, Creten est considéré comme l’un des précurseurs majeurs de la céramique et de son renouveau visionnaire sur la scène artistique contemporaine. L’exposition explore l’animalité selon ses aspects politiques, humanistes et monumentaux. Les plats pays y étaient et vous racontent.
Johan Creten (°1963, Saint-Trond) est un sculpteur dont le matériau de prédilection est la céramique. C’est en travaillant dans un ancien atelier de céramique abandonné qu’il commence à intégrer des morceaux de terre cuite dans ses toiles. Il s’inscrit en 1988 à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et prolonge son cursus de sculpture à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Amsterdam.
Les poches bardées de diplômes, le jeune artiste enchaîne les résidences en France, puis aux États-Unis, avant de revenir en Europe et de devenir pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 1997. Mais c’est l’Amérique qu’il choisit pour ses résidences de la fin des années 1990 jusqu’en 2004. De retour en France, Johan Creten passe trois ans à la prestigieuse Manufacture de Sèvres, de 2004 à 2007. Il fait renaître de ses cendres la technique du grès de Sèvres, abandonnée au début des années 1960, et rétablit dans la foulée celle du pastillage, pratiquée au XVIIIe siècle.
La céramique, parent pauvre de l’art contemporain
Quand Johan Creten commence à créer des sculptures en céramique dans les années 1990, ce matériau n’a pas la cote dans le monde de l’art, qui le relègue dans une autre catégorie «moins noble»: celle de l’artisanat. L’époque est au conceptuel et au minimalisme, la céramique y est qualifiée de kitsch et de fonctionnelle. L’artiste, lui, reste fidèle à son médium fétiche et se voit exposer dans des galeries et des institutions majeures (dont au Louvre en dialogue avec Bernard Palissy, au Bass Museum of Art de Miami et à la Wallace Collection de Londres). S’il reste méconnu en Belgique, il est à l’étranger considéré comme une figure majeure de l’art contemporain.
© Creten Studio et Gerrit Schreurs, avec l'autorisation de la galerie Almine Rech, Bruxelles
Dans la même veine que le sculpteur allemand Thomas Schütte ou Lucio Fontana – figure incontournable de l’art italien –, Johan Creten est un fervent défenseur de l’introduction des matériaux traditionnels, tels que bronze et la céramique, sur la scène contemporaine. C’est d’atelier en atelier que l’artiste, nomade dans l’âme, explore les différentes possibilités de son médium. Il utilise précieusement la terre nourricière des pays où il pose temporairement ses bagages. Chacun de ces lieux marque l’expérimentation de différents types de cuisson, d’utilisation de nouveaux émaux pour voir éclore des œuvres énigmatiques.
© Creten Studio et Gerrit Schreurs, avec l'autorisation de la galerie Almine Rech, Bruxelles
D’abord de moyens et grands formats, les œuvres sont des masses informes, noires ou blanches, parfois agrémentées de différents tons, le tout avec un équilibre subtil entre espace et volume. Progressivement, l’abstraction fait place à des œuvres plus figuratives comme des animaux hybrides (The collector), mais aussi des visages de femmes (Vierge d’Alep). Avec le temps, ses œuvres allégoriques se déploient pour devenir monumentales et majestueuses, toujours empreintes du véritable ADN de l’artiste, celui de ses jeunes années: la poésie, la beauté et le mystère.
Le succès européen arrive lors de deux expositions parisiennes: en 2016 d’abord, avec l’exposition Ceramix à La Maison Rouge, puis deux ans plus tard à la prestigieuse galerie Perrotin, figure de proue de l’art contemporain. Il faudrait toute une vie pour parler de ce magicien de la céramique, tant son œuvre est prolifique. Il est temps pour nous de faire un tour à La Piscine.
© Creten Studio et Gerrit Schreurs, avec l’autorisation de la galerie Almine Rech, Bruxelles
De petites et grandes bêtes à la beauté humaniste
C’est une immense «Chauve-Souris» (2014-2019) qui trône dans le jardin du musée. Malgré ses 1265 kilos et tout ce qu’elle peut évoquer de négatif, l’artiste rend son chiroptère accueillant, avec dans son dos quelques marches pour que les visiteurs puissent s’installer dessus. Une volonté humaniste, caractéristique de l’artiste, que l’on retrouve aussi sur les ailes qui sont gravées de poèmes (de Colin Lemoine et d’Aggie van der Meer).
© Creten Studio et Peter Lennby, avec l’autorisation de la galerie Emmanuel Perrotin, Paris
L’aspect social et politique se retrouve dans certaines œuvres de l’artiste, qui se fait aussi militant. C’est le cas de l’installation de 2000 intitulée «C’est dans ma nature». Celle-ci est composée de dix panneaux de fausses briquettes, sur lesquels s’intègrent des bas-reliefs en céramique, figurant insectes et humains. Réalisé dans le cadre d’une collaboration avec des collégiens d’Aulnay-sous-Bois vivant en HLM, ce projet avait pour but de dénoncer la dégradation de ces immeubles. La proposition fit l’objet d’un refus catégorique de la mairie.
© Creten Studio et Gerrit Schreurs, avec l’autorisation de la galerie Almine Rech, Bruxelles
Dans une salle aux murs immaculés sont disposés dix-sept animaux gigantesques, tous plus virtuoses les uns que les autres. Et que dire de ces couleurs intenses et vibrantes qui explosent à nos yeux? Mais quelque chose nous retient dans notre jubilation. C’est le silence qu’imposent avec respect chien, loutre, hérisson, pélican, mouche, mouton et araignée, tous figés dans ce qui ressemble à une fin du monde. Johan Creten, qui se réclame anti-naturaliste, nous embarque dans une fable muette (que Jean de la Fontaine aurait certainement appréciée) empreinte d’humanisme, dans laquelle il sonde les âmes de ces animaux sans lesquels nous ne serions rien. Un homme et un artiste prodigieux!