Ancien complexe de divertissement «populaire», le Fresnoy est devenu un lieu majeur de la formation et création artistiques audiovisuelles et numériques en France. Un lieu ouvert au public, idéal pour un nouvel épisode de notre série Passage.
Le fait qu’elle soit vide, car entre deux expositions, la rend peut-être encore plus impressionnante. La grande nef, comme on l’appelle ici, fait 45 mètres de long sur 23,5 de large et une hauteur de plafond de 10,60 mètres. Au XXe siècle, ce vaste espace était le cœur d’un complexe bien connu des Tourquennois et Roubaisiens qui pouvaient y danser, y faire du patin à roulettes, assister à des matchs de catch ou de boxe, avant d’enchaîner avec une toile au cinéma et un repas… «Nombre de couples se sont formés ici», sourient Michèle Vibert, directrice de la communication, et Stéphanie Robin, administratrice.
© Nicolas Montard
Nous sommes au Fresnoy, Studio national des arts contemporains. À la frontière entre Roubaix et Tourcoing, ce lieu explore désormais d’autres formes culturelles. C’est d’abord une école qui, depuis 1997, forme des étudiants venus du monde entier en post-master (bac + 5). «La vraie originalité du concept, c’est le croisement des disciplines, les artistes viennent réaliser un projet autour de l’image. Ils ne vont pas faire du cinéma dit classique, ils croisent les langages audiovisuels sur les supports traditionnels, argentiques et électroniques (photographie, cinéma et vidéo) comme sur ceux de la création numérique.»
Durant deux ans, les 48 étudiants bénéficient d’une véritable capacité de production: plateau de tournage, laboratoire photo, studios de production sonore, atelier bois-métal, fablab… . Quand ils sortent du Fresnoy, ils ont ainsi réalisé deux œuvres diffusées ensuite dans des lieux d’exposition, des festivals, etc. 450 à 600 diffusions sont comptabilisées chaque année par l’équipe dirigeante du Fresnoy! «C’est un vrai tremplin pour ces jeunes». Dont certains volent très haut ensuite.
© Nicolas Montard
Cette année, deux anciens étudiants du Fresnoy représenteront leurs pays à la Biennale de Venise: Julien Creuzet pour la France, Kapwani Kiwanga pour le Canada. Mati Diop, elle, vient de recevoir l’Ours d’or à la Berlinale après le Grand Prix du festival de Cannes en 2019. Les productions sont placées sous la direction d’artistes professeurs-invités qui en profitent pour réaliser un projet: Tsaï Ming Liang, Bruno Dumont, Muntadas, Ryoji Ikeda, Christian Rizzo, Robert Henke, Mathieu Amalric sont passés par là.
Ouvert sur la ville
Cette école constitue en même temps la deuxième porte d’entrée du Fresnoy. Celle d’un lieu de culture, ouvert sur la ville. Il y a d’abord les expositions, deux par an. La plus prisée est le rendez-vous d’automne, Panorama, qui présente la cinquantaine de travaux (films, vidéos, installations, performances ou œuvres numériques) des étudiants… Pas une simple exposition de fin d’année: ici, il y a un catalogue, les galeries et programmateurs s’y rendent… Mais le grand public peut aussi découvrir ces œuvres durant deux à trois mois, en profitant régulièrement de visites guidées thématiques (pour les enfants, en guise de brunch, etc.).
© Le Fresnoy / N. Dewitte - Le Fresnoy / Yue Cheng
Le Fresnoy a aussi gardé sa vocation de cinéma. C’est même l’une des dernières salles arts et essai de la métropole lilloise. «Il y a une vraie programmation intéressante, avec nombre d’événements autour des séances, reprennent Stéphanie Robin et Michèle Vibert. Et un vrai prisme pour le jeune public». Dans les salles, qui disposent encore d’un projecteur 35 mm, le mercredi soir, tout un chacun peut aussi assister à la Cinéthèque: soit des propositions de films de patrimoine parfois très connus, parfois complètement oubliés. La séance est toujours présentée, voire prolongée d’une discussion à l’issue de la projection.
Le Fresnoy, qui accueille aussi des projets en production sur sélection, c’est donc également une expérience architecturale. Emprunter son escalier monumental extérieur pour déambuler sur les hauteurs entre les anciens toits de tuiles de 1905 et les passerelles métalliques est un passage obligé. Bernard Tschumi avait choisi à l’époque où le bâtiment était en friche –il était fermé depuis les années 70– d’en conserver les principaux éléments et de les intégrer sous cette nouvelle enveloppe. Et dire qu’à quelques jours près, ce lieu de divertissement populaire aurait dû être transformé en… supermarché de bricolage.
© Nicolas Montard
Transfrontalier dans l’âme
Depuis les années 1990, Le Fresnoy a fait des petits dans ce quartier à cheval entre Tourcoing et Roubaix. Pictanovo, Ankama (un acteur majeur du jeu vidéo), les écoles ArtFx et Piktura –liste non exhaustive– forment désormais un pôle autour des industries créatives, La Plaine Images. Le Fresnoy en est l’une des articulations, comme il veut être aussi moteur dans la dynamique transfrontalière. S’il faut encore accentuer la communication auprès du public flamand, la Belgique est une préoccupation quotidienne.
«Il y a quelques années, nous avions accueilli ABC, Art Belge Contemporain, une très belle exposition», reprennent les deux femmes. «Autour de Panorama, nous avons initié également des journées professionnelles avec le Kikk Festival à Namur et la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui ont donné lieu à des rencontres professionnelles ici et là-bas.» L’aventure sera réitérée cette année et devrait être élargie avec la Flandre. «On travaille avec Werk Tank qui est à Louvain, l’idée est de réaliser un parcours entre les trois lieux. Avant un événement plus spécifique à Louvain en 2025.»
© Nicolas Montard
Un autre projet est dans les tuyaux, Creativ’up, autour de des industries créatives. L’idée est de réunir Hauts-de-France, Flandre et Wallonie autour de projets explorant recherches scientifiques, économie et création… «Ça peut être un projet d’un artiste qui a besoin de compétences en recherche, une entreprise en demande de sphère artistique. Par exemple un développement autour de nouvelles expériences de médiation dans un musée». Cette dimension transfrontalière, qui semble parfois si compliquée chez d’autres acteurs culturels rencontrés lors de notre série Passage, est ici évidente. Ce n’est pas illogique, analyse le duo: «Avec la production de projets, nous sommes obligés d’avoir une culture partenariale forte. Cela se ressent aussi dans le transfrontalier».
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