Le Grand Tour : un autre regard sur l’Eurométropole
Une équipe transfrontalière réalise déjà depuis trois ans Eurometropolis News, une lettre d’information hebdomadaire avec des actualités concernant l’Eurométropole Lille-Courtrai-Tournai. La série narrative Le Grand Tour, contenant des histoires moins connues de l’Eurométropole, complète maintenant le tableau : de Poperinge à Ath, de Comines à Fretin. Une réflexion, à mi-chemin du Grand Tour.
Poursuivons à la première personne, car le soussigné est un des trois volontaires qui ont lancé Eurometropolis News en 2016. Il est ancien collaborateur de programmes télévisés transfrontaliers et passionné depuis des années par la région frontalière.
C’est le cœur battant que j’attendais à la fin août 2018 au café Limoniet du côté wallon du mont de l’Enclus. Cela faisait des années que Le Grand Tour figurait sur ma liste d’envies et le moment du départ était enfin arrivé. Mon premier interviewé de la série était Joachim Wannyn, un Flamand installé dans la commune wallonne d’Orroir et musicien des deux côtés de la frontière franco-belge. Il personnifie en fait le genre d’histoires que nous proposons depuis 2018 dans Le Grand Tour. L’entretien avec Joachim a été riche et surprenant, tout comme tous les entretiens ultérieurs. Aujourd’hui, nous sommes en juillet, dix mois plus tard, et 40 des 60 histoires prévues ont été publiées.
© Lukas Noels - Eurometropolis news
« Si on habite par ici et qu’on se retire en se limitant à sa propre langue, on voit la moitié des possibilités. Mais si on regarde autour de soi et qu’on parle avec tout le monde, on a toutes les possibilités », dit un homme qui s’était joint à notre entretien de comptoir au Limoniet en cette soirée du mois d’août l’an dernier. Et il exprimait ainsi parfaitement l’élan qui a donné naissance à Eurometropolis News et plus tard au Grand Tour.
Eurometropolis News a démarré en partant d’un émerveillement constant, d’un étonnement de trouver à moins de 20 ou 30 kilomètres un paysage vallonné dominé par la nature, mais tout aussi bien une agglomération urbaine de plus d’un million d’habitants et proposant tous les atouts pour lesquels nous nous déplaçons en général à Anvers ou Bruxelles. Ce projet d’actualité a également éte lancé pour combler une lacune. Jour après jour, de chaque côté de la frontière, nous nous heurtons à des seuils à franchir pour faire la connaissance de nos voisins.
© Bart Noels - Eurometropolis News
Car les médias ne nous aident pas vraiment. La télévision transfrontalière a été liquidée par la suppression des subventions. Les médias locaux et régionaux se focalisent sur leur propre terrain et seuls des faits divers transfrontaliers ont encore une chance d’être publiés. Quant aux médias nationaux, ils ne s’intéressent que par bribes à ‘l’autre côté’. Auchan, Décathlon, le mont Rouge, le shopping et les tours du Broel, voilà la belle caricature en train de prendre forme. Le seul rayon d’espoir : Ons Erfdeel vzw, jadis avec les annales De Franse Nederlanden, aujourd’hui avec les sites web www.les-plats-pays.com et www.de-lage-landen.com.
C’est à partir de cet émerveillement et de cette lacune qu’a démarré Eurometropolis News : chacun des volontaires se sent motivé par le désir de raconter ce qui est intéressant dans notre région frontalière, au-delà des frontières nationales et linguistiques.
© Bart Noels - Eurometropolis News
Écrire sur ce que nous partageons
Le Grand Tour est aujourd’hui le travail de sept journalistes, un ensemble plutôt hétérogène de Français, de Wallons et de Flamands. Aniko Ozorai, par exemple, est présentatrice de JT à NoTélé et une femme particulièrement engagée. Conny Van Gheluwe est une autre de nos rédactrices, qui a déjà cartographié de nombreuses initiatives de transition, choisissant à chaque fois l’intérêt humain comme point de départ. Car c’est de cela qu’il s’agit pour l’essentiel : nous souhaitons présenter dans Le Grand Tour des hommes et des femmes qui cherchent à faire les choses ‘autrement’. C’est ainsi que nous avons pu noter par un après-midi de septembre ensoleillé, devant un crumble de légumes aux pommes de terre bleues, l’histoire de Maxime Giusti, un entrepreneur social qui a fondé à Hellemmes un bar collectif flanqué d’un centre de rencontres. Ou que nous avons écouté à Chercq près de Tournai des volontaires qui ont imaginé une alternative pour un cimetière en installant un parcours du souvenir en haut d’anciens chaufours. Une de nos expériences des plus durables a été de suivre un atelier sur la désobéissance civile à Wazemmes, où des activistes de tous bords s’étaient réunis pour y suivre un cours d’action non-violente.
C’est évidemment un des aspects formidables de ce genre de projets journalistiques : ils nous emmènent dans des endroits où nous ne serions jamais allés sinon.
Et ils donnent évidemment l’opportunité d’écrire sur ce que nous partageons. Jour après jour, le groupe Facebook « Wapi/Tournaisis-Hébergement plateforme citoyenne » établit des contacts entre des chauffeurs, des familles d’accueil et des volontaires dans le but d’accueillir des réfugiés. On va les chercher dans les rues de Bruxelles pour leur donner une famille d’accueil. Exactement ce que fait également Migraction59, mais là, pour des réfugiés qui demeurent en semaine à Calais. L’agriculture aussi est en transition comme en témoignent la ferme sociale Stek à Poperinge, la ferme bio à Rumes ou encore le réseau Slow Food à Silly.
Je partage un projet tout particulier avec le bibliothécaire Jean-Luc Duval. Lorsque j’évoquai l’année dernière Le Grand Tour en sa présence, il m’apprit qu’il profitait depuis plusieurs années de ses jours de congé pour prendre les transports en commun et descendre au petit bonheur la chance à la recherche d’endroits qu’il ne connaissait pas. De cette manière, Jean-Luc a parcouru des secteurs entiers de l’Eurométropole, découvrant un quartier imprévu ou un coin de verdure ignoré. Depuis Le Grand Tour, il m’emmène maintenant de temps à autre pour une balade dominicale. Et après, nous partageons textes et photos et fabriquons un plan interactif, car nous ne demandons pas mieux que de donner à d’autres aussi de vivre l’expérience de ces petites randonnées.
Il faut d’ailleurs féliciter l’Europe et en particulier l’Interreg France-Wallonie-Flandre. Le Grand Tour se réalise au sein d’un soi-disant ‘micro-projet’. La particularité en est que la charge administrative est relativement réduite et que les projets reçoivent un maximum de soutien de la part d’une équipe très professionnelle et tout à fait capable de s’imaginer dans la peau d’une petite organisation de volontaires. Si on se prend la peine d’écrire un tel projet, on a toutes les chances de ne pas être déçu.
© Aniko Ozorai Eurometropolis News
La Grand Tour prendra fin à la fin – justement – de 2019. Dans nos 60 reportages, nous n’aurons certes pas raconté l’histoire entière de la région frontalière. Il y a des parties où nous sommes déjà passés souvent, comme Roubaix ou Tournai ou le Westhoek. D’autres segments de la région, par contre, demeurent encore un peu dans l’ombre. Mais nous pouvons de toute manière déjà vous inviter à rendre visite au Théâtre populaire pour la Flandre française de Flor Barbry et à y faire la connaissance des Saprophytes ou de La petite Fabriek, à faire réparer votre vélo au Busabiclou ou encore à danser le tango à la Vieille Bourse de Lille. Il reste encore plein de choses à raconter. Et pour vous, encore plein de choses à lire.