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«Le moment est venu de rémunérer plus convenablement les athlètes féminines»

Par Hind Fraihi, traduit par Marcel Harmignies
17 septembre 2019 7 min. temps de lecture Hind Fraihi

Des attentes et des préjugés irréalistes font que les sportives ne touchent encore qu’une fraction des gains de leurs homologues masculins. Dans aucune autre discipline le Gender Pay Gap ne se fait sentir aussi fortement que dans le football et le cyclisme, deux sports extrêmement populaires dans les Plats Pays. Il est temps d’opérer un changement en profondeur, estime Hind Fraihi.

L’ancien footballeur international néerlandais Frank de Boer fut, début août 2019, au centre de l’attention dans la presse américaine. En partie pour avoir remporté avec Atlanta United, l’équipe qu’il entraîne, la Campeones Cup. Mais en premier lieu, pour ses propos particulièrement malheureux sur le football féminin. Ainsi, il qualifia d’ «idée ridicule» l’hypothèse d’une égalité des gains des hommes et des femmes dans le football. Le Néerlandais a depuis présenté ses excuses, mais il a tout de même touché une corde sensible.

Pour bien comprendre, je veux évoquer deux informations notables issues des rubriques sportives du début des vacances d’été. Après la finale de la Coupe du monde féminine de football opposant les Pays-Bas aux États-Unis à Lyon, le stade était rempli de slogans réclamant l’Equal Pay. De la sorte, le public s’associait à la dénonciation par la joueuse vedette Megan Rapinoe du fait que les femmes ne percevaient qu’une fraction du gain de leurs homologues masculins. Fin juin, c’est Jesse Vandenbulcke qui remporta le titre de championne de Belgique de cyclisme. La nouvelle n’était pas extraordinaire en soi, mais l’essentiel se trouvait dans les interviews accordées après coup. La sportive y souleva un coin du voile sur la nécessité pour elle, quotidiennement, de jongler avec ses fonctions de maman, d’étudiante, de coureuse cycliste, d’associée – employée dans une sandwicherie. «Parfois je m’entraîne un peu moins. Une couche sale, ça ne se programme pas», résumait-elle désenchantée.

Une grande inégalité dans le football et le cyclisme

On ne va pas rencontrer de sitôt de telles informations à propos de footballeurs ou de coureurs cyclistes masculins. Nulle part le détestable Gender Pay Gap – le fossé entre salaires des hommes et des femmes -, n’est aussi affirmé que dans ces disciplines. Quelques exemples ? Lors de la compétition cycliste italienne Strade Bianche (les Routes Blanches), le vainqueur chez les hommes remporte 16 000 euros, tandis que la plus véloce des femmes doit se contenter de 2 256 euros. Grosso modo, le montant total des récompenses dédiées aux femmes représente à peine le quart de celles des hommes.

Pour ce qui est du football, c’est encore pire si possible. En octobre 2018, la FIFA annonça fièrement qu’elle doublait le montant total des prix pour la Coupe du monde féminine à 30 millions de dollars. Ce que les caciques du football oublièrent de mentionner, c’est que les hommes pouvaient se partager largement 400 millions. À elle seule, la France championne du monde a remporté 38 millions, soit environ 8 millions de plus que la dotation totale attribuée aux 24 équipes participantes à la Coupe du monde féminine. Pour couronner le tout, j’ajoute qu’une récente étude de la BBC révèle qu’un joueur de football reçoit en moyenne environ 175 fois plus qu’une femme qui essaie de gagner son pain (sec) en dribblant sur un gazon.

Le moment d’un changement profond est venu.

Des chiffres exorbitants, des chiffres iniques. Et pourtant on ne semble pas disposé dans le monde du football à y apporter un changement structurel. Cela reste encore trop dépendant d’initiatives individuelles. Comme en Norvège où la fédération de football décida en 2017 de porter le budget de la sélection féminine au niveau de celui de l’équipe masculine. Les joueurs étaient même disposés à céder une part de leurs ressources commerciales à leurs collègues féminines. Geste galant et solidaire, diriez-vous. Du moins, à première vue. Car en y regardant de plus près, on constate qu’une équipe titulaire d’un titre de championne du monde, de deux titres européens et d’une médaille d’or aux Jeux olympiques doit aller quémander à une équipe au palmarès vierge, une égalité de traitement.

De nombreux adversaires

Les opposants à une rémunération égale sont donc nombreux. Grosso modo, on peut les partager en deux équipes. L’équipe FC Dédain se compose essentiellement de journalistes sportifs, de commentateurs et (d’anciens) footballeurs qui considèrent encore le football féminin comme un «hobby de lesbiennes». Les Oranje Leeuwinnen (les Lionnes orange) ont offert une magnifique prestation lors de la Coupe du monde féminine 2019 et enthousiasmé tout un pays.

Pourtant l’analyste Johan Derksen estime que leur jeu «ne vaut pas le coup d’œil». Le reporter sportif Sjoerd Mossou parle à son tour dans le quotidien Algemeen Dagblad de «division en sous-sol», d’un «engouement créé par les gens de marketing et les médias» et «de femmes qui ont presque cent ans de retard». Hugo Borst, encore un analyste du même genre, trouvait quant à lui qu’une bonne idée serait de présenter un top-5 des plus jolies filles de la Coupe du monde.

L’équipe AS Bénéfices Commerciaux comprend quant à elle surtout des journalistes qui se targuent d’une aura plus sérieuse et regardent donc les chiffres. Leur message revient à dire que le football féminin est déjà largement surpayé. Les compétitions attirent moins de spectateurs et génèrent par conséquent moins de recettes issues de la publicité, de la billetterie et des produits dérivés. Il est alors logique que le montant total des primes du Championnat du monde de football pour les hommes soit de 370 millions de dollars supérieur à celui réservé aux femmes. Les hommes ne rapportent que 7% des recettes chez eux, chez les femmes la proportion s’établit à 23%. En chiffres absolus les femmes ne gagnent peut être qu’une bagatelle, c’est leur raisonnement, mais pour ce qui est du pourcentage, elles laissent les hommes largement derrière elles.

Les arguments sont donc disparates, mais en fait le message aux sportives est le même: «Votre sport est encore trop sous-développé. Et en outre beaucoup trop ennuyeux et maladroit en comparaison des hommes. En plus, il ne rapporte guère d’argent. Revenez dans 100 ans. Quand vous aurez appris à jouer.»

Alors, tous ces connaisseurs autoproclamés ont-ils raison? Les compétitions cyclistes et les rencontres de football féminines sont-elles plus paresseuses, moins fulgurantes et donc plus monotones et moins attrayantes pour l’amateur de sport? Sur le plan biologique, cela se tient, les hommes sont globalement plus grands, plus robustes et athlétiques que les femmes. Leurs confrontations sur la route ou sur le terrain paraissent, de fait, plus attrayantes pour les fans. Mais à quoi cela tient-il? Aux performances des sportives, ou à l’attente des «connaisseurs»?

Des attentes irréalistes

Prenons maintenant par exemple le tennis. Dans le top 100 mondial des athlètes les mieux rémunérés, il n’y a qu’une femme: Serena Williams à la place 63. Ce n’est pas par hasard qu’il s’agit d’une tenniswoman. Ce sport a en effet un joli palmarès lorsqu’il s’agit d’égalité des sexes. Dès 1973, l’US Open alloua les mêmes prix aux vainqueurs des deux sexes. En 2007, Wimbledon fut à son tour le dernier des tournois du Grand Chelem à franchir le pas. Par ailleurs, le tennis a également adapté le déroulement des rencontres aux différences biologiques. Ainsi les dames jouent moins de sets que les messieurs.

Le tennis féminin est par ailleurs un sport qui fut très tôt télévisé. Ce qui explique que les amateurs, les journalistes et les commentateurs le considèrent comme un sport «à part» et font moins de comparaisons avec les «meilleures» compétitions masculines.

Le cyclisme et le football féminins ne diffèrent pratiquement en rien des disciplines masculines homologues. De plus, ils n’ont été pris au sérieux que très tard, c’est seulement dans les années 1970 qu’on a pu parler d’un début prudent.

La Chine fut la première nation à organiser une compétition officielle féminine de football. Et le premier Tour de France féminin – La Grande Boucle -, ne fut disputé qu’en 1984. Pour paraphraser Johan Cruyff le plus grand coryphée néerlandais du football: dans ce cas «tout inconvénient a son inconvénient». Comme on a méprisé les sports féminins des décennies durant, ils furent également ignorés des médias et des supporters. Ce qui fait que les journalistes, les commentateurs et donc les fans vont regarder les performances sportives avec des attentes irréalistes.

Une rémunération plus honnête

Allons-nous à nouveau punir les sportives d’aujourd’hui pour la misogynie du passé ? Non, évidemment.

Le moment d’un changement profond est venu. La Coupe du monde féminine de football a constitué un tournant. La finale entre les États-Unis et les Pays-Bas a battu des records d’audience dans de nombreux pays. Selon la FIFA, au moins 1 milliard de personnes ont regardé les matchs de par le monde.

En outre, en la personne de Megan Rapinoe, le sport tient une figure de proue internationale et flamboyante qui dépasse la pure sportive et peut inspirer aux jeunes filles la pratique d’autres sports que la danse ou l’équitation.

Le sport est cependant en général un monde assez conservateur, peu disposé aux changements rapides. Je ne vois donc pas advenir une stricte égalité de rémunération dans un avenir proche. Mais qu’une rémunération honnête soit déjà un premier obstacle franchi. Le plaidoyer de la Néerlandaise Annemiek van Vleuten, double championne du monde du contre-la-montre, pour une indemnité de base semble alors la piste la plus intéressante: «Pour le développement du cyclisme féminin, la priorité n’est pas maintenant l’alignement des gains sur ceux des hommes. Ce serait beaucoup mieux si, en 2020, nous pouvions toutes courir avec un salaire minimum. Tout le monde dans le peloton pourrait alors se consacrer au cyclisme à plein temps.»

De cette manière, plus aucune athlète ne devrait encore confectionner des sandwiches pour payer ses factures. Et cela me semble bien un minimum.

Portret Hind Fraihi

Hind Fraihi

journaliste d'investigation, chroniqueur et auteur
photo © Mariëlle Degeeter

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