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Première mondiale à Rotterdam: le musée Boijmans rend accessible au public l’intégralité de son dépôt

Par Edo Dijksterhuis, traduit par Marieke Van Acker, Arthur Chimkovitch
1 décembre 2021 8 min. temps de lecture En mode musée

L’ouverture du Depot Boijmans Van Beuningen à Rotterdam constitue une première mondiale: il s’agit du premier dépôt de musée d’art entièrement accessible au public. Non seulement le Depot Boijmans propose-t-il une expérience particulière et une architecture iconique, mais il offre aussi une réponse sérieuse à qui cherche à justifier l’existence des musées.

Tout comme d’autres lieux et bâtiments rotterdamois avant lui –le Cygne (le pont Érasme), le Koopgoot (la gouttière commerçante, pour le Beurstraverse), le Crayon (la Blaaktoren) et le Flipspuit (le jet de Philippe, pour la fontaine de la Hofplein)– le Depot Boijmans a récemment reçu le surnom de Pot. Que le nouveau dépôt du Musée Boijmans Van Beuningen ait bénéficié d’un nom populaire avant même son ouverture officielle indique à quel point la population locale l’a déjà adopté. En témoignent également les milliers de selfies qui ont été pris ces derniers mois devant la façade-miroir du bâtiment.

Et lorsque, au mois de septembre de l’année passée, les portes se sont ouvertes pour un aperçu d’un week-end, les sept mille tickets d’entrée sont partis au bout de trois heures. Les visiteurs qui ont réussi à en obtenir un étaient follement enthousiastes à leur sortie.

Or l’enthousiasme n’a pas toujours été au rendez-vous. Lorsque Sjarel Ex, directeur du musée Boijmans, a présenté pour la première fois ses plans pour le nouveau Dépôt, ils ont été balayés vite fait, car perçus comme mégalomanes et onéreux. Les amoureux de la nature se sont opposés à un projet prévoyant de construire dans le parc du musée, ce qui impliquait notamment l’abattage de 255 acacias. Le Conseil pour l’art et la culture de Rotterdam a donné par deux fois un avis négatif, jugeant que les plans n’étaient pas suffisamment élaborés, tant pour ce qui est du contenu que de l’aspect financier. Enfin, au conseil communal, les discussions se sont transformées en débats enflammés lorsque le coût s’est avéré plus important que prévu.

Pour un tel projet, le montant final de 92 millions d’euros n’est en réalité pas si extravagant. Il est en tout cas bien plus raisonnable que la somme de 259 millions d’euros à laquelle on estime la rénovation et la transformation du musée Boijmans même. C’est d’ailleurs précisément ce projet-là qui a tout déclenché. La construction du Dépôt n’est pas un projet de prestige émanant d’un directeur qui voit poindre l’âge de la retraite et souhaite une dernière fois marquer les esprits. C’est une nécessité pure et dure. L’ancien espace de dépôt dans la cave du musée n’était que médiocrement sécurisé et, en cas de pluies abondantes, l’eau y entrait à flots. En 2016 cela a même forcé l’évacuation de la collection archéologique. Heureusement, à ce moment-là, la grande majorité de la collection avait déjà été mise en sécurité dans cinq dépôts situés aux Pays-Bas et en Belgique.

Des œuvres encore jamais exposées

Tous ces tracas ont vite été oubliés lorsque, le 5 novembre, le roi Willem-Alexander est venu couper le ruban de cérémonie. La présence royale s’imposait pour cette première mondiale: l’ouverture du premier dépôt d’art au monde qui soit intégralement accessible au public. En cela, Boijmans va plus loin que certains autres musées. Pour visiter le Sammlungszentrum du Musée national suisse, par exemple, il est nécessaire de prendre rendez-vous. À Bâle, Schaulage
se contente de donner aux visiteurs une idée de l’espace de dépôt présent, sans toutefois les y admettre. Au musée V&A East, où sera abritée à partir de 2024 la collection de textiles et de céramiques du musée londonien Victoria & Albert, certaines portes resteront également closes.

Actuellement, les musées doivent essentiellement leur droit d’existence à l’interaction avec le public, de préférence aussi large que possible

Son dépôt radicalement ouvert permet au Musée Boijmans Van Beuningen de répondre à une des principales questions, peut-être la plus urgente, auxquelles sont confrontés les musées du vingt et unième siècle. Ces institutions ont été créées, jadis, afin d’y conserver des objets estimés précieux pour les générations futures. Longtemps ces trésors ont eu une visibilité limitée, réservée aux experts et aux riches bienfaiteurs. Mais avec la démocratisation de la société, une importance croissante est donnée à l’accessibilité et au partage. Actuellement, les musées doivent essentiellement leur droit à l’existence à l’interaction avec le public, de préférence aussi large que possible.

Ce qui pose problème, c’est que les collections permanentes ont du mal à séduire le public. Les expositions temporaires sont, elles, beaucoup plus populaires, incluant de spectaculaires emprunts d’œuvres venues d’ailleurs ou des œuvres nouvelles. Cette «foirisation» et cette course aux blockbusters visant à augmenter le nombre de visiteurs et à satisfaire les différents subventionnaires donne peut-être plus de visibilité aux musées, mais pas à leurs collections. À cela s’ajoute que les salles accueillent toujours moins d’œuvres en raison de l’actuelle esthétique de la sobriété sur le plan de l’aménagement. Entre-temps, les acquisitions et les legs enrichissent les collections et les dépôts se remplissent d’œuvres qui ne sont jamais exposées.

L’histoire du musée Boijmans illustre ces tendances. Lorsque le musée a intégré en 1935 le bâtiment du Museumpark, sa collection tout entière était exposée dans les salles. Quatre-vingts ans plus tard, sept pour cent seulement des possessions sont visibles, un taux qui n’est pas inférieur à la moyenne.

Espace piranésien

Grâce à l’ouverture du Dépôt, tout cet art resté invisible devient d’un coup accessible. Et cela se fait d’une manière bien plus passionnante que dans n’importe quelle exposition permanente, aussi radicale en soit la conception. À la différence de ce qui se passe dans une exposition, le regard n’est pas promené d’une image à l’autre afin de construire ainsi un récit spécifique. Ici, le visiteur se voit accorder un regard dans les coulisses du musée, là où se raconte le récit des récits: le rassemblement d’œuvres d’art.

Les 151 000 objets rassemblés en 172 ans par Boijmans ont été répartis sur six étages, marqués par cinq différentes zones climatiques en fonction des différents matériaux. L’on y trouve aussi quatre ateliers de restauration pour photographie, textile, papier, peintures, métal, bois et céramique.

L’art est partout et ce dès avant l’entrée dans le bâtiment. À l’extérieur est projetée une nouvelle vidéo réalisée par Pipilotti Rist. Cette artiste a exposé à plusieurs reprises au musée Boijmans. Le directeur Ex entretient avec elle des liens professionnels depuis son passage au Centraal Museum à Utrecht. À l’intérieur se rencontrent des œuvres emballées, d’autres posées sur ou contre des échafaudages, d’autres encore dévoilées et entièrement visibles. Pour des raisons que l’on comprend, impressions, dessins et photos restent emballés afin d’éviter les dégâts causés par la lumière. Mais qui souhaite les voir peut prendre rendez-vous dans un espace d’étude séparé. Une salle est prévue également pour le visionnage de films.

L’atrium héberge treize vitrines destinées à des mini-expositions temporaires. Elles ont presque l’air de flotter, l’art s’apparentant ainsi à un spectacle de magie. Les pièces principales se voient le mieux depuis les escaliers qui traversent l’espace intérieur et qui en font un espace très piranésien.

Le Dépôt est plus qu’un lieu de conservation et d’exposition pour la collection du musée. De la surface disponible de 15 000 mètres carrés, 15% sont loués à des entreprises et des particuliers. Parmi les premiers clients figure KPN, un des plus anciens et importants réseaux d’entreprises des Pays-Bas. Les revenus générés par la location et la billetterie (les adultes paient 20 euros l’entrée) sont une composante importante dans le modèle d’exploitation. Sur une durée de trente ans, le Dépôt aura permis d’absorber en grande partie son coût.

Camouflage

À concept innovant, forme innovante. Pour cela, Boijmans a trouvé en Winy Maas un partenaire de choix. L’homme de tête du bureau d’architectes MVRDV affirme lui-même avoir construit «un bâtiment qui ne ressemble à rien d’existant». Il s’est en tout cas tenu à distance de toute forme de dépôt traditionnelle, soit une boîte fermée peu accueillante. Le Dépôt est tout le contraire: modeste malgré son volume et léger dans son allure. Ces qualités doivent beaucoup aux 1664 panneaux de verre-miroir qui couvrent la façade. Ils reflètent les alentours et font en sorte que le bâtiment s’y fonde, comme une forme de camouflage.

Les arbres situés sur le toit ont le même effet. Les 75 bouleaux et 25 sapins ont été cultivés de façon à ce qu’ils soient en mesure de résister au vent à 34 mètres d’altitude. Un ingénieux système d’irrigation assure leur santé. Ils ont en tout cas l’air plus en forme que les acacias malades qui ont été abattus avant la construction. Vu depuis le haut, la végétation sur le toit fusionne avec le parc. En bas, les liens avec la verdure environnante sont maximalisés par la base svelte du bâtiment en forme de bol. Le Dépôt a littéralement une petite empreinte.

Rotterdam, que Winy Maas appelle le plus grand parc de sculptures des Pays-Bas, s’est enrichi ainsi d’un nouvel ensemble architectural iconique. Par ailleurs, le Dépôt séduira également les non-amateurs d’art: le toit abrite un restaurant où il fait bon déjeuner ou boire un verre en s’en mettant plein la vue. Les longues tables, conçues par les architectes d’intérieur de Concrete, sont repliables de sorte qu’un impressionnant espace événementiel peut facilement être libéré.

Celles ou ceux qui se rendent à la terrasse finissent tôt ou tard, en l’arpentant, par se trouver nez à nez avec la tour du musée Boijmans, qui arrive à la même hauteur. Cette vue rappelle que le musée Boijmans restera fermé pour au moins encore 7 ans. C’est là une importante césure dans le programme culturel d’une ville en croissance qui en demande toujours plus. Dans ce contexte, l’ouverture du Dépôt arrive à pic.

Edo Dijksterhuis

Edo Dijksterhuis

journaliste intéressé par les arts, le design, le cinéma et la littérature

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