À l’occasion des dix ans de la naissance du musée de Flandre à Cassel, les plats pays ont rencontré Sandrine Vézilier-Dussart, une directrice audacieuse et engagée qui contourne les difficultés avec énergie et positivisme. Un entretien.
Rappelons d’abord que ce bâtiment était un musée municipal d’art, d’histoire et de folklore avant d’être départementalisé en 1997. Après treize années de travaux d’envergure et de nombreuses réflexions autour de divers projets scientifiques, le musée de Flandre -perché sur le mont Cassel, un village de 2300 âmes- devient le 23 octobre 2010 une véritable institution muséale. Son ambition? La promotion active de l’art flamand de la Renaissance et de l’art contemporain.
Les plats pays : En dix ans d’existence, vous avez présenté pas moins de seize expositions temporaires dont trois ont remporté le label d’«exposition d’intérêt national». En quoi cela consiste-il?
Sandrine Vézilier-Dussart: C’est un appel à projet du ministre de la Culture dans le but de mettre en valeur les expositions des musées de France hors Paris. Nous avons eu ces labels pour nos expositions aussi bien thématiques -comme «La Flandre et la mer» en 2015, «L’Odyssée des Animaux» en 2016- que monographiques avec «Gaspard de Crayer» en 2018. Le fait d’en avoir obtenu plusieurs en si peu de temps est une véritable marque de reconnaissance pour le musée de Flandre. On a reçu un budget de 20 000 euros, mais cela a surtout été une aide majeure en termes de visibilité, grâce au travail de communication du ministère.
© Dominique Silberstein
Les plats pays : Avez-vous une politique d’accessibilité pour les visiteurs à mobilité réduite?
Sandrine Vézilier-Dussart: Absolument! Nous avons d’ailleurs remporté le prix du «Patrimoine pour tous» en 2016, récompensant les établissements prônant une politique d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. Nous avons mené ce chantier dès 2007 en l’incluant dans l’avant-projet de la réhabilitation et des travaux du musée. J’ai milité pour que l’on solutionne aussi bien l’accessibilité physique que l’accessibilité à l’œuvre. La première concerne des réglementations urbanistiques pour faciliter le déplacement des déficients visuels ou des personnes très âgées munies d’une canne par exemple. Pour la seconde, l’accès aux œuvres, prenez le cas des visiteurs mal ou non-voyants. Ils n’ont pas d’autre choix que la visite guidée! C’est pour cela que nous avons inséré, devant chaque œuvre, des maquettes tactiles. Pour nous, l’autonomie de tous les visiteurs est un enjeu central.
Les plats pays : C’est finalement un musée pour tous et toutes que vous proposez?
Sandrine Vézilier-Dussart: Oui, si les maquettes tactiles étaient à l’origine de notre réflexion pour un public mal et non-voyants, on s’est aperçu au fil du temps que les enfants avaient aussi envie de les toucher ou bien des personnes déficientes mentales. C’était des choses que nous n’avions pas intégrées puisque que l’on se focalisait sur une catégorie particulière. J’ai compris qu’il fallait vraiment travailler sur les outils de médiation et non pas cibler un public. C’est là qu’on est vraiment gagnant-gagnant.
Les plats pays : La tranche d’âge de votre public est de 45-50 ans, avez-vous essayé de la rajeunir?
Sandrine Vézilier-Dussart: Nous avions dès le départ le panel famille en tête et c’est pour cette raison que nous avons conçu un tapis d’éveil. En 2010 les outils de médiation pour la petite enfance étaient quasiment absents des institutions. Dans chaque salle, vous pouvez en trouver un que les enfants peuvent manipuler et jouer avec tout ce qui se trouve sur le tapis. Ils sont accompagnés d’une médiatrice, qui leur raconte des histoires et chante des comptines au cours d’un atelier de quarante-cinq minutes. Ils apprennent aussi à retrouver dans les tableaux, les animaux par exemple sur un tapis dédié au paysage. Notre message est de dire qu’il n’y a pas d’âge pour venir au musée, que c’est possible la petite enfance. Pour les adolescents, nous proposons des Escape Games de 1:30. L’idée était vraiment d’établir un lien entre le musée, l’enfant et les parents. Parents et teenagers sont ravis! Ce n’est que depuis trois ans que nous ressentons l’impact de ce public qui s’est véritablement fidélisé. Mais nous restons toujours sur le qui-vive pour moduler toujours plus nos outils de médiation en fonction de l’attente des visiteurs, quel que soit leur âge!
Les plats pays : Et quelle est votre politique d’acquisition?
Sandrine Vézilier-Dussart: C’est vrai que ce que voit le public en tout premier lieu est le dynamisme du musée grâce à ses expositions temporaires et à sa programmation culturelle. Mais pour qu’un musée soit vivant il faut aussi enrichir sa collection. Nous avons donc acheté tout au long de ces années des peintures des XVIe et XVIIe siècles mais aussi de l’art du XXe siècle et du XXIe siècle. Le dernier en date est une œuvre de l’artiste néo-conceptuel belge Wim Delvoye (Möbius, Dual Corpus Direct Current). Car c’est ça l’ADN du musée de Flandre, les œuvres de nature et d’époque différentes qui invitent à des dialogues pour nourrir l’imagination et la pensée.
© Dominique Silberstein, ADAGP Paris 2020
Les plats pays : Comment allez-vous fêter l’anniversaire du Musée de Flandre?
Sandrine Vézilier-Dussart: D’abord par un nouvel accrochage dans la collection permanente afin de mettre en relation des œuvres qui n’ont pas l’habitude de dialoguer les unes avec les autres. Et nous avons également emprunté trois installations contemporaines très originales de Hans Op de Beeck, Koen Vanmechelen et de Panamarenko. Elles sont exposées dans la cour du jardin afin de faire lien entre la beauté du bâtiment et la vue panoramique unique du paysage.
© Dominique Silberstein, ADAGP Paris 2020
Les plats pays : Est-ce que le musée a réussi à conquérir une place dans le monde culturel de cette région et à acquérir un nom de l’autre côté de la frontière?
Sandrine Vézilier-Dussart: Sur le territoire du Nord, on peut être vraiment fier du résultat. En 2010, ce musée était un ovni aux yeux des gens. Personne n’y croyait, surtout quand j’ai annoncé une estimation de 50 000 visiteurs. Évidemment nous n’avions pas le budget pour présenter de grands noms de la peinture, mais c’était un challenge néanmoins très stimulant. On a pu présenter au grand public des artistes oubliés, tout en mettant l’accent sur la pluralité extraordinaire qu’offre la peinture flamande. Contre toute attente, la première année nous avons fait 100 000 visiteurs, puis 70 000 avant de se stabiliser à 50 000. Mais l’année dernière avec notre exposition «Fêtes et Kermesses» nous avons atteint 66 000 entrées! C’est une reconnaissance énorme pour un musée situé dans un village de 2 300 habitants, en territoire rural.
Nous avons en plus un public très fidèle. 70% sont français et majoritairement de notre région, avec tout de même 7% de Parisiens. Du côté de la Belgique, on a encore du travail à faire c’est certain, mais nous avons quand même 20% de visiteurs belges. Nous avons de très bonnes relations avec la Belgique et nous sommes en train de préparer des projets pour le futur. Il y a des musées des Beaux-Arts existants depuis plus de cent ans se trouvant dans des villes importantes qui n’atteignent pas notre chiffre de fréquentation, d’autant plus qu’il est très compliqué de venir à Cassel en train. Nous pouvons nous estimer très heureux. Mais reposez-moi cette question en 2030, car n’oubliez pas que nous sommes un musée très jeune!
musée de Flandre
26 Grand’Place
59670 Cassel
FRANCE