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Texture, le musée qui raconte l’histoire du lin dans le bassin de la Lys

Par Virginie Platteau, traduit par Sophie Hennuy
4 octobre 2023 9 min. temps de lecture En mode musée

De la robe à l’huile, en passant par le dollar et le violoncelle, les utilisations du lin sont pratiquement infinies. L’industrie du lin, qui s’est développée sur les rives de la Lys, a apporté une prospérité sans précédent dans le sud de la Flandre-Occidentale. Le musée Texture de Courtrai porte un regard contemporain sur la façon dont cette industrie a pris son essor au cours des siècles derniers et l’importance que peut avoir le lin aujourd’hui.

La Flandre est réputée pour ses textiles depuis des siècles. Après la laine et les draps dans les villes de Bruges et d’Ypres au Moyen Âge, le lin a marqué quant à lui l’histoire à partir du XVe siècle. Le lin de base, tissé en masse dans le bassin de la Lys, était principalement destiné à un usage quotidien. Les produits de luxe tels que la dentelle et le damas étaient très prisés par la noblesse et par la bourgeoisie.

Au XIXe siècle, l’industrie du lin fut une source d’opulence sans précédent pour le bassin de la Lys, et plus particulièrement pour la région de Courtrai, dans le sud de la Flandre-Occidentale. Aujourd’hui encore, le Courtrai flax est un produit de qualité, connu et recherché aux quatre coins du monde.

Le musée Texture est installé sur les rives de la Lys, dans un bâtiment construit juste avant la Première Guerre mondiale par la société anglaise Linen Thread Company qui servait de centre d’emballage et d’expédition de lin teillé. L’établissement jouissait d’une solide réputation dans le secteur linier.

Une collaboration avec des filatures irlandaises et écossaises et un gros volume d’achats groupés ont permis à la compagnie de comprimer les prix. Non sans une touche moqueuse, le bâtiment était parfois surnommé vulgairement «le syndicat anglais». Il incarne l’importance que l’industrie linière internationale attachait à cette plante.

Jardin Textile

La visite de Texture commence à l’extérieur. Un Jardin Textile a récemment été aménagé sur la plaine qui jouxte le musée. Des jardinières surélevées accueillent des plantes tinctoriales et textiles telles que le lin, le chanvre, la garance, l’ortie, le jute et le pastel.

Reconnecter le public avec les origines des textiles végétaux et le passé de la région, c’est la mission que poursuit le musée

Chaque mois, des amateurs et amatrices se retrouvent autour du Jardin Textile pour expérimenter la production locale et durable. L’apprentissage mutuel, l’échange et la transmission de techniques textiles séculaires sont au cœur du projet. Reconnecter le public avec les origines des textiles végétaux et avec le passé de la région, c’est précisément la mission que poursuit le musée, à l’intérieur de ses murs également.

Au rez-de-chaussée, le cabinet des curiosités nous plonge directement dans l’expérimentation. Une superficie d’un are est consacrée à la découverte des multiples usages du lin, qui est loin de se limiter à la confection d’une chemise d’été. La fibre de lin est un composant insoupçonné de nombreux objets du quotidien. Nous pouvons y voir, toucher et humer l’extraordinaire polyvalence de ces plantes plutôt délicates aux fleurs d’un bleu profond dans une boîte où chaque partie est explorée.

Le dollar en lin

Depuis les graines de lin utilisées dans l’alimentation animale aux étoupes servant d’isolant acoustique, rien n’est gaspillé dans cette culture ancestrale; tous les sous-produits sont exploités. Ainsi, l’égrenage des fibres permet l’extraction simultanée de l’huile des tiges, le linoléum des revêtements de sol est lui-même un dérivé des fibres de lin, également présentes dans les feuilles de cigarettes et dans les billets d’un dollar. Depuis le début des années 1960, la plus ancienne entreprise de lin au monde, située non loin de Courtrai, fournit aux États-Unis le lin utilisé dans les billets du fameux dollar américain. C’est à la fibre de lin qu’il doit sa résistance et son toucher soyeux. En outre, les billets américains craquent moins que les billets des euros, entièrement en coton.

une entreprise de lin située non loin de Courtrai fournit aux États-Unis le lin utilisé dans les billets du dollar américain

Linum usitatissimum. Le nom latin de la plante de lin est éloquent puisqu’il ne signifie rien moins que «extrêmement utile». L’intérieur du musée est lui-même constitué de produits à base de lin, depuis l’isolation au revêtement de sol. Le lin en tant que base de matériaux de construction connaît une revalorisation progressive pour ses nombreuses applications et sa grande durabilité. L’anecdote veut que le lin ait même joué un rôle dans la réalisation de l’Agneau mystique. Jan Van Eyck peignait en effet sur des toiles de lin et utilisait en outre de l’huile de lin comme liant pour ses pigments afin d’obtenir une peinture d’une belle tenue.

Les usages et les possibilités du lin, la plus légère et solide des fibres naturelles, dans des composites aux multiples usages, sont impressionnantes. Un violoncelle en lin trône même dans la pièce. La flamme pour cette petite plante dont les champs bleu pâle illuminaient jadis les étés d’antan est bel et bien ravivée. Dans ce cas, pourquoi le lin n’est-il plus transformé en masse dans la région malgré un tel potentiel?

Industrie décentralisée

La pièce du premier étage apporte un éclairage historique limpide. La salle de la Lys retrace l’histoire mouvementée de l’industrie du lin, qui fluctue comme un cours d’eau, avec des périodes de gloire et des moments de crise profonde.

Durant le XVe siècle, Courtrai se spécialise dans le tissage de damas. Le damas est une étoffe en fil de lin tissée de façon à laisser apparaître un motif en arrière-plan lorsqu’on la regarde sous un certain angle. L’industrie de la dentelle s’épanouit également.

Le XVIe siècle voit prospérer l’industrie textile, avec une augmentation considérable de la production de lin après la découverte de l’Amérique. Le lin flamand trouve alors un vaste marché en Espagne, qui l’exploite pour alimenter son commerce avec le Nouveau Monde. Ce phénomène illustre bien le fait qu’une industrie locale est indissociable d’évolutions géopolitiques et économiques plus vastes.

Au XVIIIe siècle, l’industrie du lin, presque exclusivement rurale, est encore la seule industrie de Flandre. Sachez qu’il s’agissait d’une industrie décentralisée; pas question à l’époque d’implanter de grandes usines dans les villes. De petites usines de rouissage et de teillage germent autour de la Lys. Au fil des ans, la production se déplace vers l’aval. La différence de situation et de statut social entre les différents métiers de l’industrie du lin était de taille et la hiérarchie stricte.

Golden River

Le rouissage des tiges de lin pour les assouplir était effectué dans les mares et les ruisseaux. C’est au XIXe siècle, lorsque le lin est roui en masse dans les eaux courantes de la Lys, qu’apparaît la légende selon laquelle l’eau de la Lys possèderait des vertus chimiques spéciales propices au rouissage, ce qui vaut au cours d’eau son surnom de rivière d’or». Il est probable que les récits populaires aient inversé la cause et la conséquence; en effet, le hasard veut que le rouissage donne une teinte jaunâtre aux eaux de la Lys. Ensuite, au sens figuré, la Lys a apporté or et prospérité à la région.

Avec l’apparition de nouvelles techniques telles que le rouissage à chaud, le traitement du lin peut également se faire plus bas sur la rivière. Les méandres de la Lys sont rectifiés pour accueillir un trafic fluvial plus dense, les anciens bras du cours d’eau perdent leur débit et de nouvelles industries s’installent le long de nouveaux canaux. Cela permet une compréhension historique de l’émergence des constructions en ruban et de l’urbanisation progressive des villages liniers.

Pendant des siècles, l’industrie textile a été le gagne-pain de milliers de personnes, car toutes les étapes de traitement et de transformation étaient effectuées à la main. La mécanisation, la concurrence étrangère, l’essor de l’industrie du coton et des textiles synthétiques en provenance des pays à faible revenu en Europe de l’Est et en Extrême-Orient ont porté un sérieux coup à l’industrie du lin en Flandre. En même temps que l’industrie du lin, c’est ainsi tout un vocabulaire voire un mode de vie qui s’éteint peu à peu.

L’influence du lin sur toute la région est en effet indéniable, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan social. Cette histoire est illustrée dans le détail dans la salle de la Lys. Nous y apprenons que le lundi, la foire au lin de Courtrai ouvrait ses portes et que les négociations des lots de lin allaient bon train. Le paiement s’effectuait au bistrot, arrosé de pas mal de bière.

Véritables mines d’informations, des vidéos conjuguent images historiques et témoignages d’anciens liniers au visage ridé s’exprimant dans un flamand occidental juteux et un jargon unique. Des termes tels que rouissage, teillage, égrenage, étirage, broyage ou encore battage ont presque totalement disparu de notre vocabulaire. D’autres mots se sont par contre enracinés dans la langue néerlandaise au travers d’expressions idiomatiques, telle que over de hekel halen (litt. «passer au peigne à la drège», expression qui signifie «critiquer sévèrement, juger»). La drège, ou peigne à lin, était une planche munie de longues dents solides et épaisses qui peignaient les fibres de lin dans le même sens avant la filature. L’intégration de ce mot dans le vocabulaire néerlandais classique témoigne du rôle déterminant qu’a joué cette industrie pour une grande partie de la population du bassin de la Lys.

Musée du lin 2.0

Texture a vu le jour en 1982 sous le nom de musée du Lin. La crise de l’industrie du lin des années 1960 soulevait la crainte d’une disparition de l’activité économique la plus importante du sud de la Flandre-Occidentale, avec le risque d’emporter avec elle l’histoire et le patrimoine de la région. Une collection éducative d’outils du lin, créée par le fondateur Bert Dewilde, s’est étoffée pour devenir une collection unique en Europe. En 1998, ces outils, dont une arracheuse et une teilleuse classées par la Flandre dans la liste des Fleurons de la Communauté flamande, ont été rejoints par une collection de lin et de dentelle.

Joseph de Bethune, descendant d’une famille de commerçants de lin, a rassemblé une impressionnante collection de textiles. Cette collection compte notamment les damas de Courtrai, de renommée internationale. De superbes vêtements et autres joyaux de cette collection peuvent être admirés au dernier étage. Difficile de ne pas se laisser éblouir par le raffinement et par la sophistication de certains motifs. De véritables œuvres d’art.

Texture n’est pas uniquement tourné vers le passé. Si cela vous intéresse, vous pouvez participer à des ateliers pour acquérir vous-même les gestes ancestraux du traitement du lin, combinés aux technologies modernes. Le musée accueille volontiers les artistes en pleine étude ou à la recherche d’une résidence.

Le photographe et canoéiste Danny Veys a ainsi mené une étude artistique serpentant dans les méandres de l’histoire de la Lys et de ses rives. Pour son projet The flax canoe floats on the golden river (Un canoë de lin flottant sur la golden river), il a vogué au fil de l’eau armé de son appareil photo et découvert la rivière et ses décors sous une perspective nouvelle. Il a collecté et traité de nouvelles images et de nouveaux récits, car l’histoire du lin n’a pas encore été racontée dans cette région.

Un musée contagieux

Vous ne regretterez pas votre visite à Texture. La valorisation de la finesse artisanale, du savoir-faire et l’amour de la matière première et des belles étoffes sont particulièrement contagieux. Impossible de ne pas se demander pourquoi la polyvalence et la durabilité d’une plante telle que le lin ont été supplantées par des tissus synthétiques de qualité inférieure dans l’industrie de la fast fashion. Et si la revalorisation de sa qualité et de sa durabilité pouvait lui apporter un nouveau souffle? Quoiqu’empreint d’une nostalgie de l’artisanat et d’une certaine fierté régionale, Texture raconte le contexte et apporte une vision plus large. En quittant le musée, pensez à regarder les rayons du soleil danser délicatement sur l’eau et voyez la Lys se parer d’un éclat doré.

Site web du musée Texture
Virginie-platteau

Virginie Platteau

journaliste culturelle

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